Monsieur le président, monsieur le ministre des armées, mes chers collègues, alors que nous nous apprêtons à discuter et à voter les crédits de la mission « Défense », je souhaite commencer mon propos en saluant l’engagement et le professionnalisme des femmes et des hommes qui composent nos armées.
Monsieur le ministre, votre budget s’inscrit dans un contexte particulier, au regard de la situation internationale et nationale.
Au niveau international, d’abord, le doux mythe de la « fin de l’histoire », né de la chute du mur de Berlin et cher à certains spécialistes, s’est envolé. La guerre entre États est, malheureusement, de nouveau une option sérieuse et réelle dans les relations internationales. La guerre menée par les armées de Poutine, leader d’une puissance nucléaire, contre l’Ukraine en est l’illustration.
La guerre, avec son lot de morts, de destructions et de drames, est de nouveau présente sur le vieux continent et aux portes de l’Union européenne.
Les anciens empires contrariés – je pense notamment à la Russie, à la Chine et à la Turquie – veulent retrouver leur puissance militaire et diplomatique passée. Ils souhaitent aussi imposer dorénavant une nouvelle lecture du monde et construire une alternative aux pays occidentaux. Les différents votes à l’Assemblée générale des Nations unies, à commencer par ceux visant à condamner l’aventurisme de Poutine, le démontrent.
Comment ne pas interpréter, comment ne pas entendre les propos du président chinois quand il annonce lors du XXe Congrès du parti communiste, sa nouvelle doctrine : assumer la nouvelle puissance chinoise, avec comme matérialisation l’intégration de Taïwan dans le giron de Pékin ?
Je pourrais également évoquer la montée en puissance de la capacité militaire de la Chine, tant sur les mers que dans les airs.
La volonté de puissance chinoise pèse dans le concert des nations et dans la construction de ce nouvel ordre mondial alternatif, et structure durablement l’Indo-Pacifique.
N’oublions pas que la France, qui est une puissance de l’Indo-Pacifique, est l’une des premières touchées par la concurrence stratégique entre la Chine et les États-Unis.
La situation internationale est aussi marquée par notre évolution sur le continent africain.
Monsieur le ministre, votre projet de budget est le premier à être postérieur au départ de la France du Mali et à l’annonce par le Président de la République de la fin de l’opération Barkhane, et ce au profit d’une nouvelle doctrine en termes de présence sur le terrain et de règles d’engagement de nos troupes.
Pour autant, la présence accrue des forces terroristes, ainsi que l’implantation de nouvelles puissances, par exemple les troupes Wagner, doit nous interroger sur l’efficacité de notre stratégie de défense, diplomatie et développement (3D).
Enfin, sur la situation internationale, comment ne pas dire un mot de l’Otan, que le Président de la République estimait être en « mort cérébrale » ? Chacun jugera ces propos. Chacun peut aussi constater le rôle essentiel de l’Otan face à l’agresseur russe.
Nous devons également intégrer la nouvelle dimension de l’Alliance atlantique après l’entrée, soutenue par notre assemblée, de la Suède et de la Finlande. L’entrée de cette dernière ajoute 1 300 kilomètres de frontière entre l’Otan et la Russie.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, s’inscrit également dans un contexte national. Je pense en l’occurrence à l’annonce d’une nouvelle loi de programmation militaire.
Avant de parler de la prochaine LPM, permettez-moi de dire quelques mots de l’actuelle, qui couvre la période 2019-2025.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrette la décision du Gouvernement de ne pas avoir activé la « clause de revoyure » prévue par la LPM, et ce au profit d’un simple débat. Je crois que ce n’était pas à la hauteur de l’enjeu.
Après cet épisode, et plus encore après les propos du Président de la République et de la Première ministre sur une nouvelle gouvernance post-élections présidentielle et législatives, nous nous attendions à une autre démarche. Là encore, que de déceptions ! Pour être plus précis, je dirai que les anciennes méthodes sont de retour.
En effet, c’est le Gouvernement seul, en chambre, qui a rédigé la revue nationale stratégique. Vous avez fait le choix d’écarter le Parlement, de vous priver des compétences qui irriguent le Sénat et sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; je le regrette.
Pour cette raison, les membres de cette commission ont décidé, sous l’autorité du président Cambon, d’engager dès à présent les travaux nécessaires à la nouvelle LPM : d’abord, en menant un travail de « retours d’expérience », sur la guerre en Ukraine, le Sahel et la lutte contre le terrorisme ; puis, en engageant une réflexion, au travers des différents programmes budgétaires, pour doter la France des armées du futur.
Monsieur le ministre, le Sénat sera, une nouvelle fois, au rendez-vous de la construction de la nouvelle LPM. Vous pourrez compter sur notre sens de la responsabilité, et nos armées pourront compter sur notre soutien.
Le projet de budget pour 2023 s’inscrit pleinement dans la trajectoire budgétaire de la LPM ; en apparence, pourrais-je ajouter.
Car si nous retrouvons la fameuse « bosse » de 3 milliards d’euros en 2023, et nous en félicitons, il faut avouer que le contexte économique, avec une inflation forte de 7 % en 2022 et de 4 % en 2023, ainsi que le renchérissement du coût des fluides, de l’énergie et des matériaux viendront grever cette hausse. N’oublions pas que, dans le cadre du PLFR pour 2022, nous avons dû abonder ces lignes budgétaires.
De plus, nous avons l’obligation de recomposer nos stocks après la décision, que nous soutenons, de transférer des armes, notamment dix-huit canons Caesar, à l’armée ukrainienne.
Au regard de la situation internationale, nationale et économique, nous nous devons d’anticiper et de ne pas voter un budget de transition.
C’est pourquoi nous devons examiner les quatre programmes de la mission « Défense » à l’aune de différentes questions. Quelles sont les nouvelles menaces et quelles armées pour y répondre ? Comment envisageons-nous de protéger notre territoire et de renforcer notre souveraineté en matière de défense et d’armement ? Quel rapport entre la Nation et ses armées ? Quel est notre rôle au sein de l’Otan ? Quel est l’avenir de la défense européenne ? Enfin, quelle politique de ressources humaines ?
Si – reconnaissons-le – des réponses se trouvent dans ce projet de budget pour 2023, nous devons encore travailler afin que la prochaine LPM soit un texte à la fois d’anticipation et de réalisation.
Permettez-moi d’ailleurs de dire un mot d’une actualité brûlante : l’annonce d’un accord entre Dassault et son partenaire allemand pour la réalisation du Scaf. Je salue cet accord, d’autant que le contrôle attendu par la partie française a été obtenu. Il faudra veiller à ce que la capacité de vente demeure bien chez l’industriel tricolore, dont le savoir-faire n’est plus à démontrer.
Si des succès existent, la question des coopérations industrielles reste un sujet de préoccupation. D’autant que le Brexit est passé par là, que l’état de la relation entre Paris et Berlin inquiète et que le tropisme allemand pour l’équipement américain demeure. Je pense notamment au char du futur, au bouclier antimissile ou encore au domaine spatial.
Tout cela doit renforcer notre volonté de soutien et de développement de notre industrie de défense. Plutôt que de parler d’« économie de guerre », qui nous semble un concept à préciser, nous devons redéfinir une stratégie et nous en donner les moyens. De la recherche-développement à la formation des personnels, les chantiers sont colossaux.
Monsieur le ministre, c’est en responsabilité et en soutien à nos armées que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce projet de budget pour 2023.
C’est également en partenaire exigeant pour la France, et réaliste face au monde de demain, que notre groupe portera une vision ambitieuse pour la prochaine loi de programmation militaire.