Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter des crédits alloués à la mission « Défense » dans un moment où le monde fait face au retour de la guerre, à la relance de la course aux armements, pour tous les types d’armes et dans tous les domaines – terrestre, aérien, spatial, maritime, cyber –, dans le cadre d’une réaffirmation de puissance de l’Otan non seulement euro-atlantique, mais aussi, désormais, à vocation mondiale.
En Ukraine, nous sommes doublement engagés, par les livraisons d’armes prélevées sur l’équipement de nos forces et par le déploiement renforcé de nos forces sur le flanc Est de l’Otan. Au Sahel, nous tirons péniblement nos forces d’une opération extérieure coûteuse et aux résultats politiques catastrophiques. L’addition totale est lourde pour nos forces armées.
Dans ce contexte géopolitique inquiétant, le budget pour 2023 confirme le respect de la trajectoire budgétaire tracée par la loi de programmation militaire en 2019. L’objectif alors affirmé était celui de la remise à niveau capacitaire de nos forces armées, ce que nous soutenions.
Toutefois, nous alertions sur les déséquilibres de la répartition des crédits, au profit d’une logique de projection interventionniste. Les évolutions en cours confirment nos craintes, et nous désapprouvons vivement la manière dont est préparée la future LPM.
Préparer nos armées à des conflits de haute intensité est une chose : dans ce monde dangereux, nous l’entendons pour nous défendre des attaques possibles contre la Nation, son territoire, notre peuple, ou les prévenir. Mais nous préparer au nom de cette logique à multiplier les champs d’intervention extérieure de nos armées en est une autre.
Le débat sur l’augmentation des crédits doit être lié à la nature des programmes mis en œuvre, qui doivent être réellement centrés sur les objectifs de défense nationale ou de programmes européens dont nous gardons l’usage souverain.
Le cas du porte-avions l’illustre bien. Alors que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial, des ruptures capacitaires sont à craindre, en particulier s’agissant des patrouilleurs de haute mer. Pourtant, notre pays a choisi d’investir massivement dans le projet du prochain porte-avions, dont le coût est estimé à 5 milliards d’euros. Or plusieurs études soulignent la grande vulnérabilité de cette structure en cas de conflit de haute intensité, notamment du fait de son indiscrétion et de l’arrivée de multiples nouveaux systèmes d’armes qui rendraient rapidement obsolète et inopérant le futur bâtiment.
Plus généralement, les états-majors, préparant le terrain pour une seconde LPM à 430 milliards d’euros, pointent du doigt nos lacunes capacitaires si nous étions confrontés à un conflit équivalent à celui du Haut-Karabagh ou encore à celui en cours en Ukraine. À cela s’ajoutent les questionnements sur l’incapacité de la France à tenir un front de 80 kilomètres ou encore un conflit d’une durée de plus de huit jours, faute de munitions.
Monsieur le ministre, il faudra faire des choix sur notre format d’armées. Nous ne pouvons pas raisonner en prenant comme référence des pays agressés voilà seulement quelques mois et qui ne disposent pas de l’arme nucléaire. La dissuasion nucléaire est dimensionnée pour sanctuariser le territoire national. Quel sens accordons-nous à cette dissuasion si nous redimensionnons tout pour nous préparer sur notre sol à un conflit interétatique dans la durée ?
En vérité, la défense du territoire semble rester seconde dans les concepts de haute intensité et d’économie de guerre tels qu’ils sont avancés aujourd’hui.
Il est moins question de défendre l’intégrité de la Nation que de renforcer la capacité de haute intensité de notre doctrine interventionniste et des armées censées la servir. C’est pourtant ce qui nous a conduits à des échecs marquants, du départ des troupes américaines et de l’Otan d’Afghanistan au repli de l’opération Barkhane, jusqu’au fiasco de la Libye. Nous continuons à persévérer dans une logique produisant chaos, déstabilisation d’États, violences, persistance des conflits et du terrorisme. Une logique archaïque de projection dont nous récoltons aujourd’hui les fruits amers en Afrique…
La récente revue nationale stratégique ambitionne de rehausser nos provisions en matière d’opérations extérieures, et de maintenir notre capacité à entrer en premier dans d’immenses territoires du globe et des océans. Pour quels objectifs, et au service de quelles alliances et de quels intérêts, monsieur le ministre ?
Nous parlons du rôle de puissance d’équilibre qu’entend jouer la France sur la scène internationale. Mais comment le jouer si nous sommes plus alignés que jamais sur les objectifs et les intérêts de l’Otan et des États-Unis, au prétexte de maintenir le « rang » fantasmé de la France dans le camp atlantiste ?
Aucune initiative multilatérale de désarmement n’est formulée, et la construction d’une grande coalition pour la paix n’est pas envisagée. Pourtant, le rayonnement de la France en serait bien davantage éclatant.
Un format rehaussé de nos armées au service de la sécurité nationale appellerait bien d’autres questions, en matière de renouvellement capacitaire, de moyens de maintenance opérationnelle des effectifs et des armements, de maîtrise souveraine de nos industries d’armement. Comment assurer cette dernière quand la perspective d’une autonomie industrielle de défense en Europe vient de voler en éclats avec le retour en force de « l’otanisation » américaine de l’Europe ? Comment pouvez-vous garantir que les immenses crédits dégagés dans ce budget et dans la future LPM consacrent le renforcement de nos capacités souveraines de défense ?
Ainsi, nous regrettons une répartition des crédits dotant nos capacités de projection de manière substantielle, au détriment de la stricte défense de nos territoires et alliés proches, …