Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine, poursuivant son ambition de puissance au travers d’une logique de rapport de force.
Dans le même temps, la République populaire de Chine poursuit la modernisation de son appareil militaire, afin de conforter une stratégie sans cesse réaffirmée dans l’Indo-Pacifique comme dans le reste du monde.
La convergence stratégique de la Chine et de la Russie ouvre la perspective de contestations évidentes orientées contre les intérêts occidentaux. Et c’est bien dans ce contexte que nous examinons les crédits portant sur la mission « Défense », alors que la guerre est aux portes de l’Europe.
Avec une hausse de 5 % entre 2019 et 2023, les crédits de cette mission ont respecté la trajectoire fixée par la LPM pour venir s’établir désormais à 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 53 milliards en crédits de paiement.
À périmètre courant, la marche de 3 milliards d’euros en 2023 est respectée, et ce sont 8 milliards de plus qu’en 2019 qui abonderont le budget de la défense l’année prochaine.
On peut s’en féliciter, et les motifs de satisfaction existent et sont nombreux.
Les équipements arrivent dans les armées. Pour l’armée de l’air et de l’espace, ce sont 13 Rafale et trois avions ravitailleurs multirôles MRTT (Multi Role Tanker Transport) ; pour la marine nationale, un bâtiment ravitailleur de forces, ainsi qu’un second sous-marin nucléaire d’attaque de classe Barracuda ; pour l’armée de terre : 123 Griffon, 119 Serval, 22 Jaguar.
Les crédits dédiés à l’EPM atteignent le niveau fixé par la LPM.
Les diminutions de personnels dans les services de soutien ont enfin cessé. Ce sont 1 500 postes qui seront créés dans les armées en 2023, conformément à la LPM.
Les secteurs prioritaires du renseignement, de la cyberdéfense et de l’action dans l’espace numérique continuent de concentrer les créations d’emploi, à hauteur de 48 % pour le projet de budget pour 2023.
La NPRM, en simplifiant la part indemnitaire de la solde, renforce la lisibilité de la rémunération, ce qui était très attendu.
Enfin, pour la deuxième année consécutive, l’enveloppe consacrée aux études amont atteindra en 2023 le milliard d’euros, ce qui était indispensable pour financer les études relatives au système MGCS (Main Ground Combat System) et au Scaf.
À ce sujet, monsieur le ministre, vous pourrez peut-être nous faire part des avancées les plus récentes ; si avancées il y a, les crédits nécessaires sont effectivement prévus.
Les autres thématiques de l’innovation, telles que la lutte anti-drones, l’hypervélocité, le quantique et l’énergie, bénéficient également d’un effort budgétaire.
Pour autant, le satisfecit doit être nuancé, car le respect de la LPM est moins total qu’il n’y paraît.
En effet, l’inflation pèsera à hauteur de 1 milliard d’euros sur la mission « Défense » en 2023, soit un tiers de la fameuse marche de 3 milliards d’euros. L’inflation a déjà pesé pour 200 millions en 2022, et c’est par un retour des reports de charge que le budget a été bouclé.
Nous avons combattu pendant des années cette gestion par reports de charges qui avait fini – vous vous en souvenez, mes chers collègues – par constituer une « bosse » de crédits d’une année sur l’autre d’une ampleur telle qu’elle limitait largement la capacité de pilotage du budget. Nous devrons veiller à une bonne indexation sur l’inflation pour éviter de connaître, de nouveau, une telle dérive.
La provision sur les Opex et les opérations intérieures (Opint) demeure insuffisante et la solidarité gouvernementale n’est pas mise en œuvre.
Cette provision se révèle chaque année insuffisante et ne permet pas de prendre en compte le renforcement du flanc oriental de l’Otan. Elle doit être rehaussée, car c’est en gelant des crédits puis en les réorientant en fin d’année vers le financement des opérations extérieures et, dans une moindre mesure, intérieures que s’exécutent les budgets de la défense depuis le début de la LPM.
Cela finit par représenter, là encore, une partie non négligeable de la marche de 3 milliards.
Les nouvelles priorités annoncées chaque année – le renseignement, le cyber, l’espace – emportent notre adhésion. Mais ces crédits sont alloués à enveloppe constante, au détriment d’autres dépenses initialement prévues dans le périmètre de la LPM, déjà taillé au plus juste.
Nous savons que les livraisons d’équipements prennent du retard. Il en est de même de l’EPM. La disponibilité technique opérationnelle des équipements, la préparation opérationnelle et la capacité des armées à remplir leurs contrats opérationnels en dépendent pourtant.
Les améliorations dans ce domaine ne sont pas au niveau espéré, niveau qui n’a pas été communiqué au Parlement de façon lisible. C’est là encore près d’un milliard d’euros qui manquent pour l’EPM depuis le début de la période de programmation en cours.
Dans ce domaine, la situation ne s’améliorera pas avec la fin de Barkhane annoncée le 9 novembre dernier. Il va maintenant falloir restaurer le potentiel des équipements sur place et les rapatrier. Cette métropolisation des matériels déployés coûtera pratiquement aussi cher que la poursuite de l’Opex en termes d’EPM, si ce n’est plus.
Nous approfondirons ces questions au sein d’un rapport de notre commission sur Barkhane, qui sera examiné avant la prochaine LPM.
Mais j’en reviens au projet de loi de finances (PLF) pour 2023. Dans ce contexte, au vu de ces multiples nuances, que reste-t-il de la marche des 3 milliards d’euros ?
Sommes-nous bien à la hauteur des ambitions de la LPM qui était une LPM de restauration ? Nous le saurions mieux si son actualisation avait été un peu plus « législative » !
La prochaine loi de programmation et les budgets qui en découleront, année après année, devront permettre de faire face aux défis actuels, mais aussi de préparer les confrontations de demain.
Monsieur le ministre, nous vous donnons acte de ce budget pour 2023, le dernier de la LPM en cours, mais vous avez entendu nos réserves, nos inquiétudes, et vous savez l’attention que nous porterons à son exécution.
Le prochain budget sera le premier de la nouvelle LPM. Il faudra qu’il apaise nos incertitudes sur la capacité de nos armées à relever le défi de la haute intensité et de l’hypothèse d’engagement majeur.
À l’avenir, nous ne choisirons plus nos champs de bataille. Il faudra que nous soyons prêts à tenir l’engagement là où cela s’imposera.
Nous avons parfois le sentiment d’avoir perdu un an depuis le début de la guerre en Ukraine. En effet, une année s’est pratiquement écoulée et les commandes supplémentaires nécessaires ne sont toujours pas passées.
L’économie de guerre est un objectif encore lointain. Nos alliés – je pense notamment aux États-Unis – en ont une vision bien moins théorique que nous. L’arsenal législatif adapté y existe déjà. Nous avons fort à faire en la matière, mettons-nous au travail sur ces questions sans tarder.
Donnons de la visibilité à nos industriels, afin qu’ils prennent leur part dans l’effort à fournir.
Donnons de la lisibilité à nos militaires, afin qu’ils sachent que nous sommes avec eux, reconnaissants pour leur engagement et déterminés à leur donner les moyens de le poursuivre pour la sécurité de notre pays.
Dans ce contexte, le groupe UC approuvera les crédits de la mission « Défense » pour 2023.