Je ne sais pas quelles sont vos sources. Une nouvelle fois, je me suis engagé devant vous et devant la commission lors de l’examen de ces crédits en vous indiquant que nous procédions aux commandes. Je vous confirme que c’est fait.
Il est vrai que certaines commandes demandent du temps, puisque les industriels sont minutieux dans la négociation des contrats et que, de notre côté, nous sommes vigilants avec l’argent du contribuable.
Je précise aussi que nous allons procéder à des commandes de missiles Aster en lien avec l’Italie.
Notre engagement a donc été respecté. Le chef d’état-major des armées et moi-même nous étions engagés devant la représentation nationale à tirer rapidement les conclusions de la situation en Ukraine en matière de munitions. C’est donc chose faite.
Deuxièmement, une loi de programmation n’est pas une loi de fixation des crédits. Sinon, nous ne serions pas ensemble ce matin. Ce sont évidemment les parlementaires qui ouvrent chaque année en loi de finances les autorisations d’engagement et les crédits de paiement.
Il ne faut pas que la LPM soit source de rigidités stratégiques. Ce serait une erreur. La LPM donne un cadre, une visibilité. Elle permet d’engager des dépenses importantes sur plusieurs années, notamment pour les programmes d’équipement. La dissuasion nucléaire dans les années 1960 a entraîné l’élaboration d’une programmation militaire ; il n’y en avait pas auparavant. Nos équipements appellent une inertie budgétaire de cinq ans, dix ans, quinze ans ou vingt ans. Il fallait donc une telle programmation pour des raisons d’utilisation de l’argent du contribuable, mais aussi de transparence démocratique.
Il est clair que cette année 2023 est, pour de nombreuses raisons, une année de tuilage entre la LPM en cours, qui est consacrée – je le disais – à la réparation, et la loi de programmation militaire prochaine, que je qualifierais de transformation de nos armées et d’adaptation.
« Dis-moi tes dangers, je te dirai quelle doit être ton armée ! » À mon sens, nous ne sommes pas suffisamment revenus sur ce point ce matin.
Nous avons parlé d’engagement majeur, de conflit de haute intensité. Pourtant, dans les discours ou déclarations, tantôt on prenait acte que la dissuasion nucléaire permet de défendre nos intérêts vitaux, tantôt, quelques minutes après, on indiquait que notre armée de terre n’était pas capable de tenir un front de plus de quatre-vingts kilomètres à la frontière. Il y a là une incohérence. Le général de Gaulle, Pierre Messmer, Michel Debré et Georges Pompidou ont déjà tranché la question de nos intérêts vitaux.
Je vous remercie, madame Conway-Mouret, d’être revenue sur la dissuasion, qui participe aux efforts budgétaires importants de l’année prochaine, notamment du côté des têtes au travers du budget du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et plus précisément de sa direction des applications militaires. Les efforts sont également réels du côté des vecteurs, comme le programme Rafale, qui participe aux forces aériennes stratégiques.
Surtout, madame la sénatrice, les crédits que vous allez adopter dans un instant – j’ai entendu votre position de vote – prévoient la modernisation des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) notamment du programme SNLE 3G. Monsieur Cambon, si vous le souhaitez, je reviendrai sur la dissuasion devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dans un format ad hoc. Il est clair que l’effort est important dans la perspective de la prochaine LPM.
Les menaces s’accumulent. Le sénateur Temal est revenu sur l’Indo-Pacifique. Plusieurs d’entre vous ont abordé les différents enjeux de sécurité, y compris les risques hybrides, c’est-à-dire sous la voûte nucléaire. J’en veux pour preuve l’attaque cyber, ce jour, sur un hôpital, ou la guerre dite informationnelle.
Dès lors que nous bénéficions de la voûte nucléaire, au fond, la vraie réflexion ne tourne pas tellement autour du modèle conventionnel, mais autour des menaces qui peuvent guetter un pays doté. L’hybridité, la difficulté d’attribuer certaines attaques, les actes terroristes conventionnalisés – on le voit bien au travers des agissements de la milice paramilitaire Wagner – sont des sources de préoccupation. Elles guideront en grande partie la réflexion à venir.
Je suis frappé par le fait que, ce matin, nous n’avons pas suffisamment débattu des missions. Qu’attend-on de nos armées ? En fonction de ce que nous attendons, nous y verrons clair sur les moyens capacitaires.
Je remercie ceux d’entre vous qui ont parlé de l’Otan, car nos alliances carènent également notre capacité d’action. Parler de nos alliances ne revient pas à renoncer à notre autonomie stratégique et à la diplomatie autonome que nous souhaitons. Il existe évidemment à ce sujet des différences politiques entre nous. Elles ne datent pas d’hier.
Une fois de plus, il n’est pas possible de regarder uniquement le pourcentage de mobilisation de telle ou telle ligne budgétaire. Il faut dézoomer et regarder l’ensemble dans sa complexité. Les menaces déterminent le carénage des moyens à mettre en place.
Troisièmement, je pense que chacun doit prendre ses responsabilités dans ce moment particulier. J’entends les propos qui ont été tenus sur l’export de Rafales et de frégates. J’en prends acte. Comme je l’ai indiqué moi-même devant la commission, je ne souhaite plus que le stock des armées serve de stock tampon.
Pour autant, ceux qui condamnent nos choix sur les Rafales et les frégates sont les mêmes que ceux qui, voilà cinq ans ou dix ans, pointaient du doigt les échecs d’export du Rafale ; les mêmes défendent actuellement Dassault comme s’ils étaient attaqués par l’Allemagne…
Pour être réactifs, nous n’avions pas d’autre choix que de puiser dans nos stocks. Nous avons été victimes de notre propre succès. Cela a-t-il vocation à se reproduire ? La réponse est non. Je l’affirme devant la représentation nationale. Il est important de le répéter.
Se séparer de dix-huit canons Caesar ne met pas en danger la nation française. À cet égard, les propos de Mme Le Pen dans la presse étaient tout à fait stupéfiants. Cela revient à nier la qualité des armées, celle des autres équipements et, comme plusieurs sénateurs l’ont souligné, le rôle de la dissuasion nucléaire dans la défense de nos intérêts vitaux. N’allons pas inquiéter les Français de manière absurde avec des raisonnements et des argumentaires complètement extravagants sur la réalité de notre capacité à assumer et à assurer la sécurité de la nation française.
Il faudra aussi que chacun clarifie ses positions sur la question des alliances. Notre appartenance à l’Otan, rappelons-le, a tout de même fait l’objet de déclarations ahurissantes de la part de candidats à l’élection présidentielle cette année. Entre-temps, nous avons élargi le périmètre de l’Otan – cela vient d’être rappelé – à deux pays. Cela doit guider notre réflexion stratégique ; je crois que la revue nationale stratégique le fait.
Un parlementaire a évoqué notre « échec » en Afrique. Je ne parlerai pas d’échec : nos forces armées n’ont pas échoué en Afrique. Barkhane a été un succès. Le terrorisme a été combattu avec beaucoup de courage par les forces armées françaises, avec des pertes et des blessés.
Si l’État malien, son gouvernement, ne prend pas ses responsabilités dans la lutte actuelle contre le terrorisme, en aucun cas, cela ne doit tomber sur les épaules de l’armée française, qui a fait un travail absolument remarquable.
Il faudra que nous parlions de nouveau de la lutte contre le terrorisme. L’Ukraine ne doit pas écraser l’enjeu sécuritaire au Sahel. Je suis à votre disposition pour revenir sur notre positionnement militaire en Afrique, à l’aune de la guerre informationnelle, à l’aune de l’accentuation de la lutte contre le terrorisme par certains États l’érigeant comme priorité.
Monsieur Cambon, vous avez raison de préciser qu’une telle politique doit entraîner les Français. Déjà, cela représente beaucoup d’argent. Nous finissons par manœuvrer les milliards en ajoutant qu’ils ne sont pas suffisants, alors que certains pourraient nous mettre en garde en demandant à quoi servira ce montant.
Nous avons le devoir de souder les Français. Certes, la question militaire ne peut pas être consensuelle. La première loi de programmation militaire, défendue par Pierre Messmer à l’Assemblée nationale, a fait l’objet – rappelons-le – de quatre recours à l’article 49.3, ayant donné lieu à quatre motions de censure. À l’époque, le Sénat avait refusé la discussion de cette loi de programmation militaire, en opposition aux gaullistes. Tout cela doit évidemment nous faire réfléchir.
En tout cas, je demeurerai à la disposition du Sénat pour créer les voies d’un consensus. Je défends les groupes de travail que nous avons mis en place ; ils permettent de faire remonter la voix d’individus et d’associations. Le groupe de travail « Réserve » comprend de nombreux intervenants, car il existe de nombreuses associations de réservistes dans notre pays. Faut-il commencer à trier l’entrée du groupe de travail ? Je ne le crois pas.
Monsieur Cambon, je reste à la disposition du Sénat, selon les modalités que vous jugerez utiles. Peu importent les moyens ; seul le résultat compte !