Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France a fait le choix d’un modèle que de nombreux pays nous envient et tentent d’imiter : celui d’un réseau complet, à la fois diplomatique, consulaire, éducatif, culturel et économique. C’est un héritage exceptionnel, que nous avons le devoir de préserver.
Madame la ministre, vous allez nous inviter à nous réjouir de l’augmentation des crédits et du nombre de postes. Il est vrai que cette inversion de la courbe budgétaire, que nous appelons de nos vœux depuis longtemps, est bienvenue.
Pourtant, l’augmentation de 5 % des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » n’est malheureusement ni structurante pour l’avenir du ministère ni l’expression d’une volonté politique de changement, puisqu’elle sera en grande partie absorbée par l’inflation et par la dépréciation de l’euro. Par ailleurs, le saupoudrage des crédits ne permettra de financer aucune nouvelle mesure.
La création de 106 ETP, présentée comme le « réarmement » de la diplomatie française, est loin de compenser la suppression de 160 postes sur la seule année 2019.
L’« équipe France » que forment l’ensemble des personnels et nos conseillers des Français de l’étranger a fait preuve d’une grande résilience durant la pandémie et d’un élan spontané de solidarité à chaque crise, empêchant le tissu social de se déchirer. S’ils méritent notre reconnaissance, ils ont surtout besoin que les moyens humains et financiers qui leur sont alloués soient à la hauteur des missions qu’ils exercent.
J’en viens maintenant à notre action consulaire, en particulier à la qualité des services publics offerts aux Français de l’étranger et à notre politique des visas.
Les consulats devraient être les premiers lieux d’accueil de nos compatriotes à l’étranger, mais ils sont de moins en moins accessibles. Paradoxalement, les usagers parviennent très difficilement à obtenir un rendez-vous, faute de personnel. Quant à la dématérialisation, censée faciliter leurs démarches les plus élémentaires, elle prive une partie de la population d’accès aux services publics. Elle doit vraiment demeurer un outil additionnel, par ailleurs très utile, au lieu d’être utilisée comme le revers d’une politique de suppression de postes et d’économies.
Le choix de l’externalisation montre lui aussi ses limites : le service France Consulaire, mis en place pour pallier la suppression des accueils téléphoniques dans les consulats, nécessite en définitive des crédits importants, de l’ordre de 1, 9 million d’euros en 2023, et mobilise de surcroît des personnels du ministère à Paris. Est-il vraiment judicieux de continuer à supprimer des emplois dans les consulats pour les déployer ensuite à Paris ou à Nantes ?
Les consulats sont aussi des portes d’entrée pour qui souhaite se rendre en France ; mais quel accueil y reçoit-on ?
À l’occasion de mes déplacements, je constate que les consulats semblent tous en état de gestion de crise permanente, situation alimentée par les sous-effectifs chroniques dans tous les services, plus particulièrement dans les services des visas. La création de 18 ETP au sein du réseau consulaire, dont 7 en administration centrale et 11 à l’étranger, est de toute évidence très insuffisante. L’augmentation des délais de prise de rendez-vous a engendré la création de plateformes privées censées pallier les carences de l’État ou, pire, l’apparition de trafics illégaux de vente de rendez-vous ; certains sont si désespérés qu’ils paient jusqu’à 500 euros pour un service qui, en principe, est gratuit.
À ces difficultés s’est ajoutée une politique de réduction drastique des visas délivrés en Afrique du Nord, affectant majoritairement des publics francophones et francophiles. Au lieu que les visas soient l’outil de la politique d’accueil que l’on attend d’un pays comme le nôtre, nous en faisons un instrument sécuritaire, et ce au détriment de nos propres intérêts, comme je le montrerai en donnant deux exemples.
Premier exemple : lors d’un déplacement à Agadir, j’ai appris par le wali de la région que la France avait perdu, au profit de l’Autriche, l’appel d’offres lancé pour la construction du téléphérique après avoir refusé le visa de l’investisseur marocain qui devait venir signer le contrat à Paris, visa que les Autrichiens lui ont prestement accordé.
Second exemple : nous avons refusé un visa à un étudiant tunisien formé dans un de nos lycées français ; il est parti faire ses études supérieures au Canada… Il en conservera sans doute, comme beaucoup d’autres, une certaine rancœur envers notre pays, pareils refus étant souvent vécus comme des humiliations.
À l’instar de cette politique qui ternit l’image de notre pays à l’étranger, la réforme de la haute fonction publique abîme notre diplomatie professionnelle à l’heure où les grands bouleversements géopolitiques requièrent la plus grande expertise. Après avoir imposé cette réforme sans concertation, pourquoi ne pas utiliser les États généraux de la diplomatie pour présenter un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ?
J’aimerais maintenant évoquer le deuxième pilier de notre présence à l’étranger : notre réseau éducatif et culturel.
En 2018, le Président de la République demandait à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger de doubler le nombre d’élèves en un temps record, et ce sans moyens, sans professeurs supplémentaires, sans ouverture de classes, le développement de l’AEFE étant toujours entravé faute de capacité d’emprunt.
Soit on croit au miracle, soit cette annonce cache une volonté de privatisation à marche forcée du réseau s’appuyant sur le développement des établissements partenaires. L’amendement que le Gouvernement a retenu dans le texte issu du 49.3 semble l’attester ; nous en demandons la suppression.
Ceux qui défendent ce tournant libéral devraient se souvenir qu’en pleine pandémie notre réseau a tenu le choc et qu’il le doit notamment à la puissance publique. Ledit réseau, faut-il le rappeler, demeure unique au monde puisqu’il est construit autour d’un noyau d’établissements en gestion directe ou conventionnés qui portent en eux la philosophie de l’école publique française, dont la mission est de défendre nos valeurs via l’enseignement de notre langue.
Les 30 millions d’euros supplémentaires prévus pour l’Agence en 2023 ne compenseront pas l’annulation de crédits de 33 millions d’euros subie en 2017. Cette augmentation de la subvention, très attendue par la communauté éducative, est en réalité un trompe-l’œil : 13 millions d’euros financeront l’augmentation du point d’indice ; 7 millions d’euros financeront la moitié du surcoût lié à la mise en place du nouveau statut de détaché d’enseignement, d’éducation et d’administration ; les 10 millions d’euros restants seront fléchés vers les établissements scolaires français au Liban, principalement gérés par la Mission laïque française.
Que reste-t-il alors pour les rémunérations de nos personnels, dont le pouvoir d’achat est amputé par l’inflation et par des taux de change très défavorables dans certains pays ? Quid de nos établissements, qui accumulent les difficultés ? Nombre d’entre eux souffrent d’un manque de trésorerie qui les contraint à augmenter les frais de scolarité, lesquels pèsent toujours plus sur les budgets des familles.
L’école de la République doit être accessible à tous ; mais qu’en sera-t-il pour les nombreuses familles, notamment des classes moyennes, qui subissent l’impact de la crise économique ?
La dotation allouée aux bourses scolaires est en hausse de 11 %, mais elle revient en réalité à son niveau de 2021. La conjugaison de la croissance du nombre d’élèves et de la crise économique prolongée engendre, de fait, une augmentation des demandes de bourses dans nos établissements.
Nous plaidons donc pour que l’enveloppe soit revue à la hausse afin d’assurer la mixité sociale, de préserver l’attractivité de notre réseau et de répondre à tous les besoins.
Il en va de même pour nos établissements culturels, dont les ressources propres ont été réduites par les confinements. Leur stabilisation budgétaire témoigne d’un manque d’ambition pour notre diplomatie culturelle.
Comment atteindre l’objectif fixé par le chef de l’État, celui d’ouvrir dix nouvelles alliances françaises chaque année, sans moyens supplémentaires ?
Nos instituts français auraient eux aussi mérité un soutien, alors qu’ils continuent de souffrir sur le terrain. D’une part, s’ils ont su se moderniser grâce à l’ouverture de cours en ligne, ils sont aujourd’hui fortement concurrencés par d’autres organismes. D’autre part, la suppression des postes des directeurs des instituts français de Fès, de Tanger et d’Agadir oblige nos consuls généraux à exercer à plein temps deux métiers différents et envoie un message plutôt négatif quant à la place que nous réservons à la culture dans ce pays encore très francophile.
Si nous saluons la décision d’allouer des crédits aux actions de communication absolument essentielles qui sont menées par le ministère, notamment sur le continent africain, nous ne pouvons que regretter que notre audiovisuel extérieur ne soit pas plus soutenu face à une concurrence internationale accrue.
Enfin, notre développement économique s’appuie sur un réseau formidable d’acteurs. Notre « équipe France », composée d’Atout France, des conseillers du commerce extérieur, de la Chambre de commerce internationale et de Business France, ne doit pas être oubliée.
En effet, nos entrepreneurs français sont des soutiens pour les exportations françaises vers leur pays de résidence, et beaucoup d’artisans développent localement les savoir-faire français, ce qui renforce l’image déjà plutôt positive dont bénéficie notre pays. Comme dans bien d’autres domaines, nous possédons les acteurs et les outils ; sans hésiter, donnons-leur les moyens d’être à la hauteur de notre ambition collective !
Nous espérions de ce budget pour 2023 qu’il procède au changement radical de politique publique qui paraissait s’annoncer après votre audition en commission, madame la ministre. Il est vrai que nous devrions nous féliciter que les crédits ne baissent pas, et chaque euro, chaque poste supplémentaire, est évidemment bienvenu.
C’est pourquoi nous ne nous opposerons pas aux crédits de cette mission. Mais entendez dans notre position, madame la ministre, la volonté que le budget de ce grand ministère soit renforcé afin de donner à celles et à ceux qui le font vivre les moyens de réussir dans l’exercice de leurs missions.