Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 5 décembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Action extérieure de l'état

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en cette période de résurgence des conflits sur le continent européen et d’aggravation des crises de tous ordres au niveau mondial, la France se doit de disposer d’une action extérieure forte, d’un programme ambitieux de solidarité internationale et d’un réseau diplomatique à la hauteur de ces ambitions.

Nous accueillons favorablement l’augmentation des crédits alloués à la mission « Action extérieure de l’État », ainsi que le relèvement de 106 ETP du plafond d’emplois du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Mais ces corrections, nous le savons tous, sont loin de réparer les dégâts subis sur une longue période par nos moyens d’action extérieure.

De surcroît, à l’insuffisance des moyens s’ajoute la rupture de confiance qu’a provoquée l’entêtement du Gouvernement à mettre en cause envers et contre tous – y compris le Sénat – le modèle de recrutement et le statut de notre corps diplomatique. Là encore, les corrections apportées n’effacent pas tout. Le Quai d’Orsay a connu, au mois de juin, une grève sans précédent, qui laisse des traces, tant elle a révélé l’ampleur du malaise : des personnels à bout, un réseau à l’os face à une explosion du nombre de missions que l’on demande à la diplomatie d’exercer, un recours trop important à des contrats courts ou locaux, des conditions d’emploi médiocres.

Le risque de fragilisation de la qualité de notre diplomatie reste réel, alors même que son excellence est largement saluée.

Au-delà de ces remarques budgétaires, je veux consacrer les quelques minutes qui me sont imparties à souligner le caractère stratégique de notre engagement diplomatique dans la prévention des conflits. Il s’agit de bien plus, en effet, que d’une question budgétaire.

Nous ne saurions nous contenter de préparer la guerre. Dans ce monde plein de convulsions, nous devons mettre au cœur de nos priorités la prévention de celle-ci et la recherche en toutes circonstances d’une solution – diplomatique, politique, économique – aux conflits qui menacent. L’asymétrie, sur le long terme, des trajectoires budgétaires respectives de nos moyens militaires et diplomatiques révèle à nos yeux une lecture faussée des enjeux géostratégiques actuels.

Explosion des inégalités mondiales, fractures croissantes, pauvretés endémiques constituent le terreau essentiel des conflits.

Face à une mondialisation hyperconcurrentielle, qui mine les solidarités et fait naître des insécurités globales, alimentaires, sanitaires, migratoires, sociales, énergétiques, nous devons élaborer une stratégie de sécurité humaine tout aussi globale, faute de quoi l’arme militaire sera non seulement impuissante, mais génératrice de chaos supplémentaire.

La diplomatie doit être la pièce maîtresse de notre stratégie de promotion d’une paix mondiale globale.

Je prendrai quelques exemples d’actualité.

Premier exemple : la guerre en Ukraine. Je ne reviendrai pas sur les sous-estimations, l’aveuglement et les échecs successifs qui ont conduit à négliger les accords de Minsk – comme l’avait été la piste d’une renégociation des accords de sécurité collective en Europe après la chute du mur de Berlin.

Je m’en tiendrai à l’actualité et aux déclarations du Président de la République ce week-end. Ce dernier a déclaré, à propos des solutions politiques qu’il nous faudra tôt ou tard explorer : « Il y a 10 000 formules différentes : des régions plus décentralisées comme prévu par les accords de Minsk, avec reconnaissance, par exemple, de la co-officialité de la langue russe, des territoires sous protection internationale, des formules d’autodétermination… »

Comment être utile à ce travail d’exploration sans un réseau diplomatique solide ?

Deuxième exemple : l’échec dramatique de la COP27, qui porte en germe nombre de conflits liés aux effets des dérèglements climatiques. Faisons-nous des COP un objectif de sécurité stratégique ? Le cas échéant, de quels moyens diplomatiques supplémentaires nous dotons-nous pour ne pas aller, de COP en COP, d’échec en échec ?

Troisième exemple : l’échec de Barkhane. Quelles conclusions en tirons-nous, au-delà des seuls aspects militaires ?

En effet, l’échec est avant tout politique et géostratégique. Qui redéfinira nos relations avec les pays du Sahel autrement qu’en s’enfonçant dans les ruptures actuelles, dont l’extinction de notre aide publique au développement au Mali constitue un si triste exemple ? Qui sinon un réseau diplomatique renforcé et aux missions redéfinies ?

Je pourrais multiplier les exemples. Rien ne se construira de sérieux en matière de sécurité collective sans de puissants efforts politiques et diplomatiques visant à relancer les initiatives internationales de la France dans tous les domaines : pour une solution politique aux conflits, mais, aussi et surtout, pour en éradiquer les racines ; pour un nouvel ordre économique ; pour une transition climatique juste ; pour la sécurité alimentaire ; pour les droits des femmes ; pour le respect d’un droit international qui ne soit plus régi par le « deux poids, deux mesures ».

Aussi considérons-nous que le relèvement des moyens est encore bien trop faible et qu’il devrait, je le répète, constituer la priorité stratégique de notre politique de sécurité mondiale.

Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons voter en faveur des crédits de cette mission, mais notre vote contre exprimera surtout une exigence : celle de nous hisser au plus vite au niveau des besoins de diplomatie qu’appelle le monde actuel.

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