Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, demain, la diplomatie sera plus nécessaire que jamais.
Ce constat, nourri par l’inquiétante marche du monde, voilà déjà longtemps que nous le faisons. L’année écoulée, loin de l’infirmer, aura néanmoins constitué une rupture, un basculement accéléré vers une nouvelle ère. Elle aura fait de notre conviction une évidence.
En effet, le réveil des ambitions impérialistes est désormais acté, le recours à la force désinhibé, et les cadres internationaux contestés. Une nouvelle géographie des tensions et des rapports de force se dessine, amplifiée par les défis de notre temps, qu’ils soient climatiques, énergétiques, alimentaires ou démographiques.
Ce débat a permis de rappeler que c’est précisément quand le monde devient plus instable, plus imprévisible et plus dangereux que la mission de nos diplomates se révèle plus essentielle encore. Dans le brouillard du nouveau désordre mondial, ceux-ci sont à la fois les éclaireurs et les porte-voix de notre pays. Permettez-moi, au nom tant du groupe Les Républicains que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de leur rendre un hommage particulier.
Nos diplomates méritent donc des moyens à la hauteur de la tâche qui leur incombe. Ceux qui relèvent de la mission « Action extérieure de l’État » progresseront de 5, 2 % en 2023, s’établissant à 3, 2 milliards d’euros. Naturellement, nous nous en réjouissons et vous remercions, madame la ministre, d’avoir obtenu cette avancée inédite.
Toutefois, il ne suffit pas d’approuver ces crédits, par ailleurs modestes au regard de ceux qui sont accordés à d’autres ministères. Nous devons surtout nous interroger sur les conséquences, pour notre politique étrangère, de la montée des périls et de l’essoufflement du multilatéralisme.
En effet, l’agression russe en Ukraine a agi comme le révélateur du nouvel état des relations internationales.
Bien sûr, le courage admirable et la détermination de la nation ukrainienne, comme d’ailleurs la contestation populaire en Iran ou en Chine, ébranlent les certitudes de ceux qui annonçaient déjà le triomphe des régimes autoritaires sur les démocraties.
Néanmoins, un constat s’impose : les autocrates, quelle que soit leur obédience, ne célèbrent plus seulement la primauté de la force sur le droit, ils la mettent en pratique. Le 24 février fut la violente affirmation de cette tendance de fond, qui nous interroge profondément.
Quelles conclusions devons-nous en tirer pour notre pays et pour notre diplomatie ? Les formats doivent-ils être adaptés ? La France a entrepris de concentrer ses personnels vers les zones de croissance en Indo-Pacifique. Doit-elle poursuivre dans cette voie et dans quelles conditions ? Ne doit-elle pas d’abord réexaminer l’état de ses forces en Europe ?
En quelques semaines, la guerre en Ukraine a balayé nos vieilles certitudes et mis un coup d’accélérateur aux recompositions géopolitiques qui couvaient. Les exemples ne manquent pas : hier, l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan était inimaginable, elle est aujourd’hui quasiment actée.
La Russie s’est profondément et durablement éloignée de l’Europe pour se rapprocher de la Chine. Une Chine qui tire d’ailleurs consciencieusement tous les enseignements de cette guerre impliquant les pays occidentaux, même si ses plans sont également contrariés par les déboires de son partenaire russe, qui s’enferre dans son isolement.
Prenons garde toutefois, la condamnation de Moscou n’est pas unanime, tant s’en faut ! C’est une autre des leçons de la guerre en Ukraine qu’il nous faut regarder en face : le temps où les positions occidentales donnaient le la aux relations internationales est révolu. Les positions du G77 expriment la réticence et, parfois, le refus de soutenir les motions occidentales condamnant l’invasion russe.
La position de l’Inde, allié stratégique et ami, nous interpelle également. Elle regrette que cette guerre affaiblisse son allié russe en Asie, déplore les retards de livraison d’armement russe, mais tire aussi parti de l’affrontement en achetant en quantité un pétrole russe à prix cassé.
Enfin, l’humanité se montre toujours incapable d’apporter une réponse globale au changement climatique – quelle meilleure illustration de l’affaiblissement du multilatéralisme ? Les opinions publiques se mobilisent, les États sont jugés responsables et sont de plus en plus souvent condamnés par la justice… Et pourtant, la COP27 n’a guère convaincu.
En effet, le fonds pour les pertes et préjudices reste à construire et, faute d’élan, il a semblé nécessaire d’annoncer un sommet à Paris en 2023, avant la prochaine COP. Madame la ministre, vers quelles perspectives nous dirigeons-nous ?
Dans ces temps troubles, plus que jamais, la France a besoin d’une diplomatie forte.
Elle doit tout d’abord pouvoir tenir son rang. Nous sommes un État doté, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, disposant du troisième réseau diplomatique au monde. Membre fondateur de l’Union européenne, la France a un positionnement géographique stratégique, au cœur de l’Europe, qui fait d’elle un trait d’union entre les pays du Nord et le bassin méditerranéen.
Cette place nous oblige et nous donne une responsabilité particulière : celle de tenir le positionnement singulier qui a toujours été celui de notre pays.
Nous sommes tout à la fois un allié loyal, fiable et efficace au sein de l’Otan, et un promoteur de l’autonomie stratégique européenne. Sachons cultiver cette position équilibrée. La France parle à tout le monde, sans jamais renier ses valeurs – nous en avons fait l’expérience commune aux États-Unis ces derniers jours, madame la ministre. Elle répond au désir de France que les sénateurs constatent dans toutes leurs missions à l’étranger.
Face à tous ces enjeux, le PLF pour 2023 amorce la fin de l’éreintement. Mais les temps d’appauvrissement de notre diplomatie ont tant duré que cela ne peut être qu’une première étape.
Certes, l’attrition des personnels connaît un réel coup d’arrêt, avec 106 ETP créés. C’est un début, mais c’est encore trop peu, quand on les compare aux 3 000 postes que votre département a perdus depuis 2007. Surtout, on ne sait toujours pas comment ceux-ci seront répartis – vous nous éclairerez sur ce point, madame la ministre. On nous annonce un renforcement des capacités d’analyse politique et des implantations dans l’immense Indo-Pacifique.
Ne faudrait-il pas toutefois concentrer ces moyens sur une politique en particulier, pour garantir l’impact de l’effort consenti ? Je pense notamment au renforcement des équipes de nos consulats, qui ont tant souffert des restrictions budgétaires passées. Car, ne l’oublions pas, s’ils sont le guichet unique pour nos concitoyens vivant hors de France, ils le sont aussi pour les étrangers qui souhaitent s’y rendre.
Le traitement des demandes de visas constitue donc la première étape d’une politique migratoire plus efficace. À ce titre, la façon dont on a créé une différence de traitement entre l’Algérie et le Maroc en matière de visas continue de poser des problèmes, même si des évolutions sont en cours.
L’examen du PLF doit être un moment de clarification pour nos compatriotes : la France a plus que jamais besoin de diplomates et de moyens pour défendre ses intérêts, dans un monde devenu plus dangereux, plus difficile à anticiper et à comprendre – monde sur lequel nos leviers d’action pourraient, si l’on n’y prend pas garde, perdre de leur efficacité.
Pour toutes ces raisons, le Sénat attend des États généraux de la diplomatie qu’ils confortent le corps diplomatique, lui qui a été si meurtri par la réforme qui le vise et auquel nous rendons régulièrement un hommage appuyé. Il le mérite, ne serait-ce que pour son action en faveur du rapatriement de nos compatriotes pendant la pandémie, l’évacuation de Kaboul, ou la gestion du dossier nucléaire iranien.
Cette réforme du corps diplomatique a soulevé beaucoup d’hostilité contre elle, et même bien des moqueries de la part de nos compétiteurs stratégiques. Elle a parfois suscité la perplexité de nos alliés, qui, au contraire, renforcent dans le même temps leur diplomatie professionnelle. Si le Parlement avait eu voix au chapitre, peut-être aurions-nous évité la grève des personnels du Quai d’Orsay massivement suivie en juin dernier. Il s’agissait de la première depuis deux décennies – c’est dire le ressentiment de nos diplomates. C’est un signal pour nous tous.
Ainsi, il nous faut désormais apaiser ce trouble et trouver, malgré tout, les voies et moyens pour conforter notre outil diplomatique.
Dans leur rapport d’information sur l’avenir du corps diplomatique, nos collègues André Vallini et Jean-Pierre Grand offrent, parmi les huit recommandations qu’ils formulent, plusieurs pistes pour tenter de corriger les effets de bord de la réforme. Je n’en citerai qu’une, très importante : la consultation des commissions des affaires étrangères du Parlement avant la nomination aux postes d’ambassadeur les plus importants, par exemple dans les grands pays européens, à Pékin, Washington ou au Conseil de sécurité des Nations unies.
Il s’agirait en fait d’étendre le dispositif de l’article 13 de la Constitution, qui prévoit déjà la consultation des commissions parlementaires compétentes pour une cinquantaine de postes d’importance dans d’autres domaines – ce serait un signal en manière d’hommage à l’action du Parlement dans ce domaine.
En tout état de cause, soyez assurée, madame la ministre, que le Sénat restera vigilant et mobilisé sur ce sujet fondamental pour notre pays. Nous participerons à vos travaux ; nous vous tendons la main pour faire en sorte que l’apaisement suive l’orage.
Le groupe Les Républicains votera le budget de la mission « Action extérieure de l’État », conformément aux recommandations de nos rapporteurs. Nous sommes toutefois conscients que les temps qui viennent seront lourds de menaces et que nous aurons besoin, pour y faire face, d’un outil diplomatique conforté dans ses missions et dans ses moyens.
Nous le savons tous : la voix de la France est attendue, donnons-lui les moyens d’être entendue.