Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette année, le budget de l’aide publique au développement augmente de 800 millions d’euros. Nous progressons, certes, mais lentement, trop lentement, au point de repousser dès cette année l’objectif de 0, 7 %, faute d’avoir pu sanctuariser une véritable programmation budgétaire lors du débat, en 2021, sur le projet de loi qui contenait pourtant dans son titre le substantif prometteur de « programmation »…
Par ailleurs, on persiste à ne pas corriger au fond la partie inadaptée de cette aide publique, ces contenus trop souvent conçus non pour aider les pays destinataires à s’émanciper durablement de leurs dépendances, mais d’abord pour préserver les intérêts français dans les régions concernées.
La répartition de l’augmentation des crédits entre les prêts et les dons reste manifestement déséquilibrée au profit des premiers, même si ce déséquilibre commence à être corrigé, alors que l’on recommandait, sur toutes les travées du Sénat, d’inverser ce rapport, afin de concentrer l’aide vers les pays les plus fragiles. Nous proposerons, au travers de l’amendement n° II-1258, de modifier cette répartition.
Nous avons également déposé un amendement n° II-1259 visant à modifier le mode de calcul des quotes-parts de droits de tirage spéciaux (DTS) et de leurs bonifications – je prends souvent la parole sur cette question – afin d’en augmenter le volume au profit des pays les plus pauvres, ceux qui en ont le plus besoin, tandis que certains pays plus riches et mieux dotés en DTS ne les utilisent pas tous.
Une autre injustice continue de nous scandaliser. Alors que le produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) devrait atteindre le niveau record de 2, 24 milliards d’euros en 2023, la part de ces recettes affectée au fonds de solidarité pour le développement plafonne à 528 millions d’euros.
L’objet initial de cette taxe était pourtant de participer à la solidarité internationale. Or voici que 1, 7 milliard d’euros sont subtilisés au détriment de l’aide publique au développement, pour servir à rembourser une dette créée par notre pays. L’argent ira donc dans la poche de créanciers qui vivent des intérêts de cette dette, ceux-là mêmes qui participent au racket organisé par la dette sur le dos des pays pauvres. Il s’agit d’un véritable détournement !
Pendant ce temps, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la crise alimentaire mondiale pourrait menacer de famine 11 millions à 19 millions de personnes supplémentaires, alors que, pour la première fois depuis 1990, l’extrême pauvreté augmente et que l’indice de développement humain global diminue pour la deuxième année consécutive. Madame la ministre, comment peut-on continuer à justifier une telle indécence dans l’utilisation de la TTF ? Ce n’est pas possible ! La France doit donc prendre ses responsabilités et augmenter massivement le volume de son fonds de solidarité pour le développement.
Nous proposons ainsi de rehausser le taux de la TTF, de 0, 3 % à 0, 7 %, ce qui permettrait d’octroyer près de 1, 5 milliard d’euros supplémentaires à l’aide publique au développement ; nous proposons également d’en élargir l’assiette pour que plus d’entreprises y soient éligibles.
Enfin, nous voulons continuer à alerter sur les problèmes de sens, de critères, de ciblage, de pilotage et de transparence de l’aide publique au développement. Le pilotage de cette politique doit être démocratisé. Son efficacité en termes de développement endogène des pays destinataires doit être mieux évaluée.
Dans une communication adressée en février 2020 à notre commission des finances, la Cour des comptes lançait l’alerte sur le manque de transparence dans la mise en œuvre de cette politique. Or la commission d’évaluation instaurée par la loi du 4 août 2021, où doivent siéger des parlementaires, tarde toujours à être mise en place. À cela s’ajoutent tous les problèmes relatifs au contenu de cette aide.
Je terminerai mon propos en évoquant la suspension des financements d’aide publique au développement destinés au Mali. Cette décision irresponsable scandalise, à juste titre, le monde humanitaire et associatif au Mali, mais aussi en France. Faire ainsi payer les frais des désaccords politiques entre nos deux gouvernements à l’une des populations les plus pauvres du monde, c’est une faute ! Cela revient malheureusement à faire droit à une demande formulée par Marine Le Pen le 31 janvier dernier, après l’expulsion du Mali de l’ambassadeur français. Cette décision doit être revue au plus vite. Nous appelons à la reprise du dialogue, car l’engrenage actuel est catastrophique pour les deux pays.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne sera pas en mesure de voter les crédits de cette mission, qui progressent trop faiblement à ses yeux et ne prennent pas en compte les changements de conception que la politique de développement mondial appelle de toute urgence.