Intervention de Bruno Sido

Réunion du 5 décembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Compte de concours financiers : prêts à des états étrangers

Photo de Bruno SidoBruno Sido :

Pandémie de covid-19 ; changement climatique accéléré ; insécurité alimentaire grandissante ; terrorisme ; guerres et regain des tensions internationales ; choc énergétique ; surendettement ; inflation : la liste des crises qui secouent le monde ces dernières années semble ne pas devoir s’arrêter de croître.

Inévitablement, leurs conséquences humaines s’alourdissent et rendent plus que jamais nécessaire l’aide internationale en faveur des pays les plus fragiles. La France, qui se classe au cinquième rang mondial des bailleurs de fonds, a d’ailleurs consenti depuis dix ans des efforts considérables pour se hisser à la hauteur cet enjeu.

Souvenons-nous qu’en 2014 le volume global de ses engagements au titre de l’aide publique au développement était de 8 milliards d’euros, soit 0, 37 % de son revenu national brut. En 2022, il est passé, selon nos rapporteurs spéciaux, à 13 milliards d’euros, soit 0, 51 % du RNB. L’année prochaine, cette montée en puissance sera une nouvelle fois intensifiée pour dépasser les 15 milliards d’euros et s’établir à 0, 55 % du RNB.

Les crédits de la mission budgétaire « Aide publique au développement » ne constituent qu’une partie, certes substantielle, de ce vaste ensemble. Pour 2023, le Gouvernement propose de les augmenter de manière très appréciable : la hausse est de quelque 16 % en crédits de paiement.

Si le groupe Les Républicains n’approuve pas tout à fait le volume de cette hausse – j’y reviendrai –, il en soutient toutefois le principe.

Il le soutient, tout d’abord, parce que c’est précisément dans la tourmente que notre contribution au développement et notre solidarité en matière humanitaire sont les plus essentielles.

En effet, les pays les plus fragiles sont largement, voire parfois totalement dépourvus des moyens nécessaires pour amortir les effets des crises. Leurs populations, qui sont déjà les plus vulnérables, sont donc, de fait, les plus menacées. Les soutenir face aux soubresauts qui agitent le monde, comme nous le faisons par exemple en Ukraine, est donc une exigence morale à laquelle nous ne pouvons nous soustraire.

Mais permettez-moi, mes chers collègues, de souligner qu’il s’agit aussi de notre intérêt. Dans une économie globalisée, la prospérité des uns ne peut aller durablement de pair avec la paupérisation des autres. En stimulant la vitalité économique des pays en développement et la hausse du niveau de vie de leurs populations, nous favorisons aussi des partenariats, nous créons les conditions d’un échange économique plus soutenu avec la France.

En outre, ne sous-estimons pas le fait que l’aide au développement est également une contribution apportée à la sécurité internationale.

C’est particulièrement vrai en Afrique subsaharienne, qui est à la fois la zone d’action prioritaire de l’AFD et le théâtre principal des opérations extérieures que nous avons engagées au cours des dix dernières années. Y aider les populations à satisfaire leurs besoins fondamentaux – se nourrir, se soigner, s’éduquer – et contribuer à ce qu’elles bénéficient de perspectives économiques, c’est en partie assécher le terreau sur lequel se développent les mouvements djihadistes, contre lesquels nos soldats continuent de lutter. C’est aussi, ne l’oublions pas, contribuer à dessiner un avenir qui ne passe pas automatiquement par les routes migratoires.

Au moment où l’opération Barkhane s’achève officiellement, de nombreux enseignements doivent toutefois être tirés de l’action de notre pays dans la région. Le bilan de cette opération, s’il est plus qu’honorable d’un point de vue militaire, est en revanche politiquement calamiteux. Jamais la France n’a été tant critiquée, tant contestée, tant rejetée !

Tel est le cas bien au-delà du Mali, du Burkina Faso et du Sahel entier : c’est dans l’ensemble de l’Afrique que la France perd progressivement pied. Face à ce recul, qui ne cesse de s’accélérer, la redéfinition d’une politique africaine globale est désormais urgente. Elle devra nécessairement inclure une nouvelle réflexion sur les résultats de la politique d’aide au développement que nous y menons.

C’est d’autant plus essentiel que le volume, les modalités et les objectifs de l’aide économique revêtent une dimension stratégique qui ne fait que s’affirmer. Cette aide est devenue, en particulier sur le continent africain, un enjeu à part entière dans la lutte d’influence à laquelle se livrent les grandes puissances, dont certaines ne ménagent pas leurs efforts pour nous concurrencer, voire nous évincer. Une aide au développement revisitée doit donc nous permettre de retrouver, dans cette partie du monde, les leviers d’action qui nous échappent peu à peu.

Voilà, brossées à grands traits, les raisons qui amènent notre groupe à soutenir, malgré l’extrême difficulté du contexte économique, un nouveau renforcement des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

Cette aide, c’est une réponse aux risques créés par des crises qui se multiplient et se combinent. Cette aide, c’est aussi un instrument du rayonnement et de l’influence de la France. Cette aide, c’est enfin l’expression des orientations définies dans la loi de programmation du 4 août 2021, que le Sénat avait adoptée à la quasi-unanimité.

Cette loi exprimait notamment l’ambition d’engager, à partir de 2025, une aide d’un montant équivalent à 0, 7 % du RNB. Mais cet objectif semble désormais hors de portée, compte tenu des évolutions radicales de la conjoncture intervenues depuis le vote de ce texte, et le Gouvernement a décidé d’en reporter la réalisation à 2030.

Concernant l’annuité qui nous intéresse aujourd’hui, celle de 2023, la cible initialement fixée à 0, 61 % du RNB a en conséquence été ramenée à un niveau plus soutenable de 0, 55 %. La dégradation importante de nos comptes publics, l’impact de l’inflation et le risque de récession, de plus en plus prégnant, ne laissaient, à la vérité, pas d’alternative.

Il n’en reste pas moins que le Gouvernement propose, en crédits de paiement, de mobiliser 818 millions d’euros supplémentaires au bénéfice de cette mission, qui disposerait ainsi de 5, 9 milliards d’euros au total en 2023.

Cette augmentation s’inscrit dans un cadre général, que le Gouvernement a exposé dans son projet de loi de programmation des finances publiques. Or la majorité sénatoriale a contesté, il y a un mois, l’économie générale de ce texte, estimant qu’il ne permettrait pas de réduire le déficit public dans des délais satisfaisants.

Le budget général pour 2023, construit sur cette base, doit donc être révisé pour être conforme à la trajectoire de maîtrise des dépenses retenue par la Haute Assemblée.

En conséquence, même si nous considérons que les crédits de la mission « Aide publique au développement » doivent rester orientés à la hausse, il nous paraît qu’ils peuvent être raisonnablement mis à contribution.

C’est pourquoi, dans le cadre d’une approche globale et cohérente, notre groupe proposera, par voie d’amendement, de fixer leur progression à 618 millions d’euros l’année prochaine.

Il s’agit, nous semble-t-il, d’une voie équilibrée, qui permet de satisfaire à deux exigences en apparence peu conciliables : d’un côté, réaffirmer notre engagement à faire plus pour la solidarité internationale, de l’autre, agir résolument pour restaurer la responsabilité et la crédibilité budgétaires de notre pays.

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