Intervention de Carole Grandjean

Réunion du 8 décembre 2022 à 10h30
Lutte contre la fraude au compte personnel de formation — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Carole Grandjean :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le groupe RDPI, notamment le sénateur Martin Lévrier, d’avoir inscrit l’examen de cette proposition de loi à son ordre du jour réservé.

Je tiens également à saluer le travail effectué par Catherine Fabre : elle s’était saisie avec détermination de cette question au cours du quinquennat précédent et avait déposé une proposition de loi, qui a constitué le socle sur lequel le présent texte a été bâti.

Je suis donc très heureuse, en tant que ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, de soutenir aujourd’hui cette proposition de loi.

Lutter contre les abus et la fraude au compte personnel de formation (CPF) est un objectif qui doit tous nous réunir. C’est dans cette perspective que les députés ont adopté ce texte à l’unanimité, avec le soutien du Gouvernement. Je suis certaine qu’il suscitera de nouveau un très large consensus sur les travées de cette assemblée.

Je reviendrai tout d’abord sur le contexte d’examen de cette proposition de loi, qui est une réponse ferme aux détournements du compte personnel de formation.

Le CPF fête cette année ses trois ans : ce dispositif a rencontré un succès populaire incontestable auprès des Français. Près de 95 % des actifs connaissent cet outil et environ 20 % d’entre eux ont ouvert leurs droits depuis sa création en 2019. Autant mobilisé par les femmes que par les hommes, il est davantage utilisé par les employés et les ouvriers que par les cadres. Indéniablement, le CPF a véritablement facilité et démocratisé l’accès à la formation.

Le CPF est à tous les carrefours de la vie professionnelle des Françaises et des Français. Il est l’outil qu’ils peuvent mobiliser dans tous les moments charnières de leur vie : pour préparer leur parcours professionnel, se former à la création d’entreprise ou encore faire un bilan de compétences, etc.

Cependant, le succès massif du CPF a également ouvert la porte à des pratiques commerciales agressives, voire abusives. Ces dérives consistent souvent à forcer les individus à acheter des formations contre leur gré ou de manière insuffisamment réfléchie. Elles se traduisent par des appels, l’envoi de SMS ou de courriels intempestifs de la part de centres d’appels ou d’organismes de formation. Ces arnaques véhiculent bien souvent des informations erronées sur les droits de l’individu et sur l’objectif réel de l’organisme.

Les fautes graves, telles que l’usurpation d’identité ou le détournement des droits du compte personnel de formation, font l’objet d’un contrôle accru par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Le préjudice financier lié aux pratiques abusives ou frauduleuses est évalué à 43 millions d’euros en 2021, une somme qui a été multipliée par cinq en un an.

Outre le préjudice financier qu’il entraîne, ce démarchage agressif entame la confiance des utilisateurs et nuit à l’image de l’outil. Il appelle donc une réponse ferme. Le Gouvernement a agi pour mettre un terme à ces pratiques, qui mettent en péril la lisibilité et la crédibilité du dispositif.

Un renforcement du niveau de sécurité de la plateforme « Mon compte formation » a d’abord été mis en place le 25 octobre dernier. Tout achat de formation est désormais sécurisé via le nouveau service « FranceConnect+ ». Ce service propose une authentification renforcée, via l’application d’identification numérique de La Poste.

Cette authentification renforcée permet de limiter les risques d’usurpation d’identité. Il s’agit d’un changement notable en termes d’usage pour les Français. Le réseau de La Poste et les maisons France Services sont mobilisés pour accompagner les Français dans ces démarches.

Avant même cette nouvelle phase de sécurisation technique, des actions de contrôle accru avaient déjà été menées pour améliorer la qualité de l’offre de formation.

Le Gouvernement a en effet engagé des mesures de régulation du secteur pour faire monter en qualité l’offre accessible sur la plateforme Mon compte formation. Je pense notamment à l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier, du label Qualiopi visant à renforcer l’exigence de qualité pour les organismes de formation, qui sont aujourd’hui près de 17 000 sur la plateforme, contre 24 000 environ auparavant.

Un travail particulièrement exigeant a également été mené sur le renouvellement du répertoire spécifique (RS), qui a conduit à éliminer deux tiers des certifications, dont l’intérêt pour l’évolution professionnelle des actifs n’était plus démontré.

Enfin, il y a quelques mois, à la demande de l’État, c’est l’intégralité de l’offre portant sur la création et la reprise d’entreprise qui a été revue par la Caisse des dépôts et consignations : près de 60 % des offres ont ainsi été déréférencées, car elles étaient apparues non conformes.

Aujourd’hui, plus personne ne peut dire que le compte personnel de formation rime avec formation de loisir. Nous nous sommes donné les moyens de proposer un catalogue de formations utiles pour l’emploi, la professionnalisation et la montée en compétences des actifs de notre pays.

Il nous faut donc à présent œuvrer pour éradiquer de la plateforme la fraude et le démarchage abusif.

Cette proposition de loi vient donc renforcer plus encore l’arsenal de régulation.

Son article 3 prévoit ainsi une procédure de vérification des organismes de formation qui demandent à être enregistrés sur la plateforme. L’objectif est de garantir aux titulaires de compte que les organismes et la formation suivie remplissent bien tous les deux les critères d’éligibilité au compte personnel de formation. Cette procédure permettra en outre de garantir la qualité et l’honorabilité des organismes de formation inscrits sur la plateforme, qui devront être à jour de leurs obligations sociales et fiscales.

L’article 4 de la proposition de loi, introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, prévoit quant à lui une étape supplémentaire afin que les sous-traitants soient eux aussi soumis aux mêmes exigences que l’organisme de formation donneur d’ordre.

Soyons clairs sur ce sujet : il ne s’agit pas d’interdire la sous-traitance ni d’entraver la liberté de commerce ; mais nous constatons aujourd’hui que certains organismes de formation, pourtant référencés sur la plateforme, proposent seulement ce que l’on appelle « un portage Qualiopi ».

Je le dis clairement : ces organismes de formation agissent comme de véritables sociétés écrans. Ils savent que la Caisse des dépôts et consignations ne peut ni identifier ni contrôler les sous-traitants. Cet angle mort est donc un nid à fraudes potentiel. Pareille pratique n’est plus admissible et doit être régulée.

Cette étape a ainsi pour objectif d’assainir toute la chaîne de valeur, en rendant les organismes de formation transparents et responsables à l’égard de leurs sous-traitants.

L’article 4 prévoit qu’un décret sera pris, en concertation avec les représentants du secteur de la formation professionnelle, pour préciser les modalités d’application de la disposition. Cette concertation a déjà démarré, sous l’égide de mon cabinet, depuis plusieurs semaines maintenant.

Je tiens ici à rassurer les professionnels du secteur de la formation, en particulier les formateurs indépendants. Une attention toute particulière sera portée aux formateurs individuels, acteurs essentiels de la formation professionnelle. En effet, nous ne pouvons décemment pas leur imposer les mêmes exigences qu’aux organismes de formation, qui occupent l’ensemble de la chaîne de la formation et qui dégagent un chiffre d’affaires important.

Notre objectif est de protéger les citoyens qui souhaitent souscrire à une formation via leur compte personnel de formation, en leur permettant de vérifier à qui ils ont affaire et de s’assurer de la qualité de l’organisme formateur.

Je veux redire ici toute la détermination du Gouvernement à empêcher tout détournement du droit fondamental d’accès à la formation.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous donnera des leviers efficaces pour mieux lutter contre les abus et les fraudes au CPF, pour mieux les prévenir et les sanctionner. Elle va en effet permettre d’interdire le démarchage abusif et de sanctionner plus efficacement ceux qui le pratiquent, y compris sur les réseaux sociaux.

Nous ne pourrons que nous satisfaire de voir disparaître de tels abus : il n’y aura plus d’influenceurs promettant monts et merveilles, tablettes et smartphones ; plus de messages inacceptables incitant au recours au CPF pour mieux le détourner de sa fonction initiale et l’instrumentaliser. Les amendes seront en effet très dissuasives : elles pourront atteindre 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.

À la suite de publications illicites par plusieurs influenceurs concernant des offres au titre du CPF, la Caisse des dépôts et consignations a également saisi un cabinet d’avocat pour adresser des mises en demeure aux individus concernés.

Un bon nombre d’entre eux y a d’ores et déjà répondu en s’engageant sur trois points : l’arrêt de toute publicité en lien avec le CPF ; la mise à disposition de documents des sociétés avec qui ils étaient en lien, afin de permettre des enquêtes et, le cas échéant, le dépôt de plainte ; la publication sur leurs réseaux sociaux d’un message rectificatif.

La proposition de loi, à son article 2, va également donner les moyens aux services de partager les informations dont ils disposent pour mieux conduire la lutte contre la fraude.

J’insiste sur la nécessaire coordination entre les services de l’État et les opérateurs : elle est absolument indispensable pour resserrer les mailles du filet, vérifier les identités des suspects, contrôler les habilitations à former, traquer les fausses domiciliations, etc. Nous devons en effet impérativement croiser les fichiers et les informations pour lutter efficacement contre les fraudeurs, les traquer et les arrêter.

Ce texte a pour objet de donner aux services de l’État, à la Caisse des dépôts et consignations ou encore à Tracfin plus de moyens pour identifier les fraudeurs et ne laisser aucun délit impuni.

L’article 2 bis vise à renforcer les pouvoirs de la Caisse des dépôts et consignations, en lui accordant la capacité de recouvrer plus rapidement les sommes indûment perçues. Ce pouvoir d’intervention directe et rapide, sans saisine préalable de la juridiction administrative, améliorera l’efficacité de la lutte contre l’évasion des fonds en cas de fraude.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, nous pouvons nous satisfaire du travail collectivement réalisé sur ce sujet transpartisan et véritablement d’intérêt général.

Notre responsabilité est de protéger le CPF pour le bien de nos concitoyens. Protéger le CPF, c’est protéger la capacité des Français à se former ; c’est protéger une application qui fait désormais partie de leur vie quotidienne ; c’est protéger un droit qu’ils se sont approprié massivement, grâce à la désintermédiation permise par cette application.

Le CPF, rappelons-le, a rendu plus réelle et plus tangible la liberté de chacune et de chacun de choisir son avenir professionnel et de maîtriser son parcours de vie.

En interdisant le démarchage abusif et en luttant mieux contre les fraudes, nous redonnerons toutes ses marges de manœuvre au CPF et nous permettrons à tous les actifs d’être en mesure de réussir leurs transitions professionnelles.

Nous devrons prochainement mettre en œuvre de nouvelles mesures de régulation afin que le CPF soit mieux ciblé sur les besoins réels de l’économie, c’est-à-dire sur les métiers en tension ou les métiers d’avenir. Je mènerai une réflexion sur ce sujet en concertation avec les partenaires sociaux, que je reçois aujourd’hui, afin qu’ils nous présentent, à Olivier Dussopt et moi, la synthèse de leurs travaux paritaires.

Je tiens encore une fois à remercier l’ensemble des parlementaires qui se sont saisis de cette proposition de loi pour donner corps à la protection du droit à la formation.

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