Intervention de Martin Lévrier

Réunion du 8 décembre 2022 à 10h30
Lutte contre la fraude au compte personnel de formation — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Martin LévrierMartin Lévrier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a introduit une réforme audacieuse du compte personnel de formation, qui a permis une démocratisation de l’accès à la formation professionnelle au bénéfice de chaque actif.

La monétisation du CPF et le lancement du service dématérialisé Mon compte formation lui ont donné une nouvelle dimension : environ 2, 1 millions de dossiers de formation ont ainsi été financés en 2021, contre près de 1 million en 2020 et 500 000 en 2019, soit un doublement chaque année. Grâce à un mode d’alimentation favorable aux temps partiels, la réforme a également permis un rééquilibrage du recours au CPF entre les hommes et les femmes. Les actifs âgés de moins de 40 ans et les publics peu diplômés sont également plus représentés parmi ses bénéficiaires.

Toutefois, cette réforme a aussi une face sombre : avec 19 millions de profils activés sur Mon compte formation, elle a ouvert une brèche dans laquelle divers acteurs peu scrupuleux se sont engouffrés pour se livrer à des pratiques frauduleuses.

La fraude au CPF prend des formes diverses, qui vont de pratiques commerciales agressives à la validation d’entrées en formation fictives ou inéligibles à un financement par le dispositif. Les titulaires de compte sont, selon les cas, victimes ou complices de ces abus.

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) évalue à 40 millions d’euros au bas mot le préjudice financier lié à ces pratiques. Ce montant reste peu élevé au regard des dépenses totales occasionnées par le dispositif, qui se sont élevées à 2, 85 milliards d’euros en 2021. La situation pourrait néanmoins s’aggraver en l’absence d’actions rapides et fermes pour faire cesser ces agissements. De plus, au-delà de leur impact financier, ces pratiques nuisent à l’image du CPF et, plus généralement, à celle de l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par les députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et Thomas Mesnier, et adoptée par l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier, vise donc à rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre ces abus. Je salue à cette occasion Catherine Fabre, qui était à l’initiative de la première proposition de loi en ce sens, et je la remercie de sa présence en tribune aujourd’hui.

Depuis le lancement de Mon compte formation en novembre 2019, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF, coopèrent en matière de lutte contre la fraude. Leurs efforts se sont amplifiés depuis 2021 en raison de l’aggravation du phénomène.

Ainsi, des mesures fortes ont récemment été prises dans le but de tarir les sources de la fraude. Depuis le 25 octobre dernier, afin de prévenir les usurpations d’identité et les utilisations frauduleuses de comptes, l’accès des utilisateurs à la plateforme a été sécurisé par la mise en place de la solution FranceConnect+.

En alourdissant le processus de connexion, cette mesure a eu des effets immédiats, même s’il convient de veiller à ce qu’elle ne conduise pas à exclure les personnes en difficulté avec le numérique.

Le volet contentieux de l’action de la Caisse des dépôts et consignations commence lui aussi à porter ses fruits : une première condamnation pour fraude au CPF d’un organisme qui avait organisé de fausses sessions de formation a été prononcée le 20 septembre dernier à Saint-Omer. Il reste néanmoins des obstacles législatifs à lever pour permettre à ces actions de produire tous leurs effets.

En matière de démarchage téléphonique, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a mis en place un régime d’opposition en prévoyant la possibilité de s’inscrire gratuitement sur la liste Bloctel. Ce régime a été renforcé par la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, qui a rendu obligatoire la consultation par les centres d’appels de la liste d’opposition et alourdi les sanctions applicables. Pour les courriers électroniques et les SMS, un régime de consentement préalable et explicite s’applique.

Ces dispositifs n’ont pas empêché la prolifération de pratiques agressives de démarchage relatif au CPF. Le téléphone est le principal vecteur de prise de contact entre les organismes de formation et les titulaires de compte, mais ce n’est pas le seul.

Face à ce constat, l’article 1er de la proposition de loi prévoit l’interdiction de la prospection commerciale des titulaires d’un CPF par téléphone, par SMS, par courriel ou sur les réseaux sociaux, visant à collecter leurs données à caractère personnel ou à conclure des contrats portant sur des actions de formation, sauf si la sollicitation intervient dans le cadre d’une action de formation en cours et présentant un lien direct avec son objet.

Afin de contrôler le respect de ces dispositions, l’article 1er habilite les agents de la DGCCRF à rechercher et à constater ces infractions et prévoit des sanctions administratives d’un montant maximal de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale.

Cette mesure stricte n’empêchera pas les organismes de formation de communiquer, mais elle permettra de faire cesser le démarchage abusif en clarifiant les règles. Elle aidera également les actifs à prendre des décisions réfléchies sur l’utilisation de leur CPF et sur leur avenir professionnel.

La proposition de loi vise par ailleurs à renforcer les moyens d’action de la Caisse des dépôts et consignations face à la fraude. À cette fin, elle donne une base légale à la communication d’informations entre les acteurs concernés.

L’article 2 prévoit ainsi que la Caisse des dépôts et consignations, France Compétences, les services de l’État chargés de la répression des fraudes et les services chargés des contrôles de la formation professionnelle, mais aussi les organismes financeurs, les organismes délivrant la certification Qualiopi et les ministères ou organismes propriétaires de certifications professionnelles peuvent échanger tous documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur accomplissement.

Cet article autorise également la cellule de renseignement financier nationale Tracfin à transmettre des informations à la Caisse des dépôts et consignations, ainsi qu’à l’Agence de services et de paiement. La sécurisation juridique de ces échanges d’informations permettra de faire gagner un temps précieux à la CDC pour l’accomplissement de sa mission de lutte contre la fraude.

L’article 2 bis, inséré à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, donne à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de mettre en œuvre un recouvrement forcé des sommes indûment versées à un organisme de formation. À cet effet, le directeur général de la CDC pourra délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du prestataire devant la juridiction compétente, comportera tous les effets d’un jugement. En outre, lorsqu’elle constatera la mobilisation par le titulaire d’un CPF de droits indus ou une utilisation contraire à la réglementation, la Caisse des dépôts et consignations pourra procéder au recouvrement de l’indu par retenue sur les droits inscrits ou sur les droits futurs du titulaire.

Comme le prévoit l’article 2, les agents de la CDC pourront obtenir de l’administration fiscale les informations contenues dans le fichier des comptes bancaires, le Ficoba. En outre, la Caisse pourra recevoir de l’administration fiscale communication de tous les documents ou renseignements nécessaires aux contrôles préalables au paiement des sommes dues, ainsi qu’à la reprise et au recouvrement des sommes indûment versées au titre du CPF.

L’article 3 inscrit dans la loi les conditions du référencement des organismes de formation sur Mon compte formation, ce qui permettra de fonder le refus par la CDC de référencer un organisme qui ne remplirait pas ces conditions. Il sera notamment vérifié que l’organisme propose des formations éligibles à un financement au titre du CPF, qu’il dispose de la certification qualité Qualiopi, qu’il respecte les prescriptions de la législation fiscale et sociale et qu’il satisfait aux conditions générales d’utilisation.

La Caisse des dépôts et consignations pourrait procéder à la même vérification pour les organismes de formation déjà référencés sur la plateforme avant la promulgation de la loi. Afin d’assurer l’opérationnalité de la mesure, des échanges de données pourraient être organisés entre la CDC, les Urssaf et l’administration fiscale.

Afin de mettre fin à certaines dérives de nature à tromper les titulaires de CPF, l’article 4 encadre le recours à des sous-traitants en soumettant ces derniers aux mêmes obligations que les donneurs d’ordre.

Cette dernière mesure appelle une vigilance particulière. Appliquée indistinctement à tous les sous-traitants, notamment aux travailleurs indépendants et aux microentrepreneurs, elle pourrait mettre en péril une partie du secteur. Le décret en Conseil d’État devra bien préciser la portée de ces obligations selon le degré d’implication dans l’exécution des actions de formation et la nature du prestataire concerné.

Madame la ministre, nous comptons sur vous pour faire appliquer ces dispositions avec discernement et en bonne intelligence avec les représentants du secteur de la formation professionnelle. Votre propos liminaire démontre votre volonté d’aller dans ce sens.

Mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale a déjà eu un effet psychologique. Il s’agit aujourd’hui de ne pas laisser cet effet se dissiper et de ne pas retarder l’entrée en vigueur de ce texte utile et attendu.

Je vous invite donc, au nom de la commission des affaires sociales, à adopter sans modification cette proposition de loi.

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