Intervention de Mélanie Vogel

Réunion du 8 décembre 2022 à 10h30
Création de délégations parlementaires aux droits de l'enfant — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Mélanie VogelMélanie Vogel :

Je vais tenter de vous expliquer pourquoi l’existence d’une telle délégation serait utile et pourquoi les écologistes voteront – évidemment – ce texte.

La demande de création d’une délégation sénatoriale aux droits de l’enfant est une demande de longue date des associations qui, dans ce pays, travaillent sur la question de l’enfance, et fait l’objet d’un soutien transpartisan au Sénat.

Pourquoi ?

Parce que la situation des droits de l’enfant, en France, n’est pas glorieuse…

Inceste, pédocriminalité, violences, santé physique et mentale, pauvreté, alimentation, sport, handicap et inclusion, éducation, questions pénales : il y a tant de sujets qui doivent être examinés du point de vue spécifique des enfants !

Je voudrais prendre un exemple, celui de l’inceste. Les victimes sont au nombre de 160 000 chaque année, soit en moyenne deux enfants par classe. L’inceste est un phénomène massif auquel, à ce jour, aucune politique publique n’a su répondre. Il faut regarder les choses en face : on ne sait pas gérer, on ne sait pas faire. Le nombre d’incestes, en France, ne diminue pas.

Et si l’on ne sait pas faire, c’est en partie parce qu’on ne part jamais du point de vue des enfants victimes.

On dit, par exemple, qu’il faut que les enfants parlent, mais on ne prend pas en compte le contexte qui fait que les enfants ne parlent pas, le système qu’est l’inceste, ses logiques propres et les logiques qui président à son omerta sociale, ni les conséquences qu’emporte le fait de parler, pour les enfants ou pour les adultes.

Et on insiste sur la réponse pénale.

Le problème, et c’est terrible, c’est que la perspective de la prison n’empêche pas les incestes et que la prison n’empêche pas les récidives – on aimerait tellement que ce soit si simple…

Aussi, faute de partir du point de vue des enfants concernés, on construit des politiques publiques qui gèrent l’existant : des victimes brisées, d’un côté, et des violeurs, de l’autre ; on fait parler les uns et on emprisonne – parfois – les autres. Mais on ne fait pas baisser le nombre d’incestes en France.

Ma conviction est que l’on ne pourra jamais construire une politique publique satisfaisante si l’on ne part pas du point de vue des enfants chaque fois qu’ils sont concernés.

Et c’est précisément ce qu’une délégation permet.

La création d’une délégation parlementaire spécifiquement chargée d’un sujet permet de se concentrer sur un point de vue qui, à défaut, parce qu’il est noyé parmi d’autres, n’est au fond jamais pris en compte.

Une telle instance permet de creuser des sujets spécifiques, via un travail d’information, d’enquête et de recherche, au-delà du travail législatif ; l’activité des délégations déjà existantes en témoigne.

Toutes les raisons semblent donc réunies pour nous prononcer favorablement sur cette proposition de loi. Pourtant, la commission des lois s’y oppose, au motif que le sujet dont il est question est déjà traité ailleurs, notamment par la délégation aux droits des femmes.

Mais, précisément, c’est un problème ! Beaucoup d’enfants ne sont pas de futures femmes et il n’y a pas que les femmes qui ont des enfants… On s’accordera donc à dire qu’il n’y a pas nécessairement un grand lien entre ces deux sujets.

Par ailleurs, nous dit-on, un travail de commission continuera bien sûr d’être effectué sur les sujets de l’enfance par les commissions des affaires sociales, des lois, de la culture, de l’éducation et de la communication. Mais tant que ce travail reste éparpillé ici et là, nous manquons d’un espace politique de travail dont la perspective première soit l’intérêt de l’enfant et dont l’objet soit de réfléchir depuis ce point de vue aux différentes politiques publiques.

Un autre argument nous est opposé : il ne faut pas multiplier les délégations. Admettons… Mais le Sénat n’a-t-il pas créé en 2014 une délégation aux entreprises ? C’est très bien : je n’ai rien contre cette délégation, je suis sûre que le travail qu’elle abat est d’une grande importance. Doit-on comprendre, néanmoins, que ce qui est vrai pour les entreprises – il faut les étudier de manière transversale, en dehors des commissions permanentes, sous peine qu’elles soient l’angle mort des politiques publiques – ne le serait pas pour les enfants ? Cela n’est pas très sérieux…

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