Intervention de Marie-Pierre Monier

Réunion du 8 décembre 2022 à 16h00
Lutte contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Pierre MonierMarie-Pierre Monier :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est la deuxième fois en quelques mois que notre commission se penche sur la situation des accompagnants d’élèves en situation de handicap, personnels qui sont les chevilles ouvrières de l’école inclusive.

En février dernier, mes collègues Annick Billon, Max Brisson et moi-même, dans le cadre de la mission d’information que nous avons menée sur le bilan des mesures éducatives du précédent quinquennat, lancions une première alerte sur leurs conditions d’emploi et de travail.

Aujourd’hui, l’examen de cette proposition de loi, dont je salue l’auteure, l’ancienne députée Michèle Victory, nous offre l’opportunité de tirer une seconde fois la sonnette d’alarme, mais aussi et surtout de faire avancer la législation.

Reconnaissons d’emblée que la situation des 132 000 AESH, dont 93 % sont des femmes, n’est ni acceptable ni digne de l’école de la République. Un mot suffit à la caractériser : précarité. Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, notre collègue Max Brisson a très justement qualifié cette précarité d’« institutionnalisée ».

Les causes et les manifestations de cette précarité sont nombreuses.

Il y a, d’abord, les conditions de recrutement : plus de 80 % des AESH exercent dans le cadre d’un CDD, contre moins de 20 % en CDI.

Il faut citer, ensuite, les conditions d’emploi : seulement 2 % des AESH disposent d’un emploi à temps complet, la quotité de travail moyenne n’étant que de 62 %. Ce temps incomplet subi contraint les AESH à cumuler d’autres « petits » contrats pour prétendre à un niveau de revenus plus décent.

J’en viens aux conditions de rémunération : sous l’effet cumulatif du temps incomplet imposé et d’une grille indiciaire concentrée à des niveaux proches du Smic, la rémunération mensuelle moyenne d’un AESH n’est que de 850 euros net. L’État rémunère donc en deçà du seuil de pauvreté ses professionnels de l’école inclusive.

Il y a enfin les conditions de formation, dont les lacunes, tant lors de la prise de poste qu’en cours d’exercice, laissent souvent les AESH démunis, lorsqu’ils ne sont pas contraints de s’autoformer !

À ce cumul de précarités viennent s’ajouter des conditions de travail qui, de l’avis unanime non seulement des AESH, mais aussi d’autres acteurs de l’école inclusive, n’ont cessé de se dégrader depuis quelques années.

La généralisation des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) a assurément marqué un tournant dans leur aggravation.

Au regard du premier bilan que j’en dresse dans mon rapport, trois correctifs me paraissent devoir rapidement être apportés : mettre un terme aux dérives d’une gestion de la ressource humaine basée sur la flexibilité ; replacer la qualité de l’accompagnement au cœur du dispositif ; renforcer le cadrage national pour assurer plus d’harmonisation entre les territoires.

Aujourd’hui, être AESH dans le cadre d’un Pial, c’est être soumis à une très grande flexibilité : affectation dans plusieurs établissements, ce qui entraîne de nombreux déplacements dont les frais ne sont pas toujours pris en charge ; changements fréquents et non concertés d’emploi du temps et d’affectation ; prise en charge simultanée de plusieurs enfants ; accomplissement de tâches ne faisant pas partie des missions ; droits à la pause méridienne et au fractionnement des jours de congé non respectés.

Je me dois d’illustrer ce tableau, pour le moins édifiant, par les mots des intéressés eux-mêmes : « Des conditions de travail déshumanisées » ; « Sentiment d’être du sous-personnel » ; « AESH sous-payés et corvéables » ; « AESH toujours relégués en dernier ».

Malgré l’absence de reconnaissance et la perte de sens que ces professionnels dénoncent, nombre d’entre eux ont le courage de continuer. Qu’est-ce qui les fait tenir ? La réponse tient en ces deux citations : « AESH, c’est un beau métier » et « Sans AESH, il n’y a pas d’école inclusive », nous ont-ils dit.

Alors que le métier d’AESH n’a jamais été aussi peu attractif, le paradoxe veut que, dans le même temps, les besoins d’accompagnement des élèves en situation de handicap croissent à une vitesse très soutenue.

Depuis 2017, les notifications d’aide humaine des MDPH augmentent de 11 % par an, soit un rythme près de deux fois supérieur à celui des notifications de reconnaissance du handicap. Cette tendance à la systématisation de l’aide humaine est un sujet qui appelle une réflexion conjointe de l’éducation nationale et des départements. Plus largement, nos échanges en commission ont montré que la prise en charge de l’enfant dans sa globalité, à la fois sur le temps scolaire et sur le temps périscolaire, pose la question du partage des responsabilités. Notre commission entend bien l’approfondir dans le cadre de ses prochains travaux de contrôle.

Bien que les effectifs d’AESH aient progressé de 35 % sur les cinq dernières années et qu’ils continuent d’augmenter, l’école inclusive n’est pas encore une réalité pour tous les élèves en situation de handicap : certains s’étant vu notifier une aide humaine ne sont toujours pas accompagnés ; d’autres pâtissent d’un nombre d’heures d’accompagnement inférieur à celui qui leur a été notifié ; d’autres encore voient leurs besoins non couverts par la quotité fixée.

Cette carence de l’éducation nationale explique que certaines familles en arrivent à rechercher par elles-mêmes, ou par le biais d’associations, des AESH dits « privés ». Un nouveau marché de l’accompagnement privé est en train de se développer, même s’il est encore difficilement quantifiable. Cette évolution provoque une rupture d’égalité dans l’accompagnement du handicap, et renforce les inégalités sociales.

J’en viens, en quelques mots, à la situation des 65 000 assistants d’éducation, également confrontés à des conditions d’emploi et de travail précaires. Au moment de la création de cette fonction, l’idée était d’en faire un tremplin pour une éventuelle future carrière dans l’éducation nationale, par le biais des concours de conseiller principal d’éducation ou de professeur. Force est cependant de constater qu’aujourd’hui le taux de réussite des AED à ces concours n’est que de 15 % et que les étudiants représentent 30 % des effectifs, alors que les premiers étaient censés être majoritaires.

Se pose dès lors la question du devenir professionnel des AED. Faut-il professionnaliser cette fonction pour permettre à ceux qui le souhaitent de continuer à l’exercer et d’en faire un véritable métier ? Ou faut-il conserver sa nature première et mieux garantir ses débouchés vers d’autres emplois ?

Ce débat de fond mériterait, madame la ministre, un travail de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. En attendant, nous ne pouvons que constater et déplorer la grande précarité qui caractérise aussi les conditions d’emploi et de travail des AED : rémunération au niveau du Smic ; grille indiciaire inexistante ; pluralité d’affectations ; absence de formation et de perspective professionnelle.

Face à l’ampleur des enjeux que je viens de décrire, pour partie communs à ces deux catégories d’agents, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui se veut comme une première étape, nécessairement modeste, vers une amélioration de leurs conditions d’emploi et une reconnaissance du service qu’ils rendent à l’école inclusive.

Son article 1er ouvre la possibilité de recruter en CDI les AESH ayant exercé pendant trois à six ans, soit potentiellement à l’issue d’un seul CDD contre deux actuellement exigés par la loi pour une école de la confiance.

Alors que la très grande majorité des AESH enchaînent aujourd’hui les contrats courts, synonymes d’instabilité, d’incertitude et de précarité, cette accélération de la possibilité de « CDIsation » est gage de stabilité de l’emploi, de sécurisation du parcours professionnel et de reconnaissance professionnelle. Elle est aussi une étape importante dans la professionnalisation du métier d’AESH et dans la construction de son attractivité.

Notre commission a eu un débat sur la durée de la condition d’exercice exigée pour pouvoir prétendre à une « CDIsation ». Où placer le curseur ? À trois ans, comme l’a proposé l’Assemblée nationale, ce qui, selon certains collègues, laisserait le temps d’évaluer les compétences professionnelles et permettrait de ne pas rigidifier le système ? Pourquoi pas plus tôt, dans la mesure où il s’agit d’une possibilité et non d’une obligation qui permettrait aux AESH ayant fait leurs preuves au bout d’un an de se projeter plus rapidement dans une carrière stable ?

Nous nous sommes en tout cas tous retrouvés sur la nécessité de garantir l’effectivité de la formation initiale des AESH, condition sine qua non de leur montée en compétences et de leur professionnalisation. Notre commission a par ailleurs pleinement conscience que si la « CDIsation » accélérée constitue une première avancée pour les AESH, le chemin qu’il reste à parcourir pour améliorer leur statut et leurs conditions de travail est encore long.

C’est pourquoi nous appelons collectivement le Gouvernement à lancer sans plus tarder une réforme structurelle des conditions d’emploi des AESH dans le cadre de « l’acte II de l’école inclusive ».

Nous estimons que plusieurs sujets, relevant principalement du niveau réglementaire, nécessitent d’être travaillés : la quotité de travail dans le but de permettre aux AESH qui le souhaitent de travailler à temps complet ; l’articulation entre le temps scolaire et le temps périscolaire ; l’augmentation du niveau de rémunération qui passe impérativement par une revalorisation de la grille indiciaire ; l’application effective de la réglementation de l’éducation nationale en matière de remboursement des frais de transport ; le renforcement de la formation et sa prise en charge financière ; la révision du fonctionnement des Pial afin de remédier aux dérives constatées et d’harmoniser les pratiques entre les territoires.

J’en viens à l’article 2 de la proposition de loi. Celui-ci ouvre aux AED ayant exercé pendant six ans en CDD le bénéfice du recrutement en CDI en cas de poursuite de leur mission.

Cette disposition, votée par l’Assemblée nationale le 20 janvier dernier, a entre-temps été satisfaite par l’article 10 de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Elle y a été introduite par le Sénat, lors de l’examen du texte en première lecture, à la suite de l’adoption d’un amendement présenté par notre collègue Toine Bourrat.

Pour éviter une redondance inutile, il conviendrait de la supprimer, ce que, sur ma proposition, la commission n’a pas souhaité faire. En effet, des remontées de terrain font état de réticences de la part de rectorats et de chefs d’établissement à « CDIser » les AED après six ans de service. Sur la cible de 5 000 « CDIsations » visées, seules 1 000 seraient effectives.

Même si le décret d’application, publié le 9 août dernier, ne présente pas d’ambiguïté, une circulaire ministérielle serait peut-être nécessaire pour inciter les rectorats et les chefs d’établissement à se saisir de cette disposition.

Nous attendons donc, madame la ministre, une réaffirmation du principe posé par la loi du 2 mars dernier et un engagement de la part du Gouvernement à veiller à son application effective sur le terrain.

Tel est le contenu des deux articles qui composent cette proposition de loi, que notre commission a adoptée à l’unanimité sans modification.

J’émets le souhait que nos débats permettent de confirmer notre consensus autour de ce premier pas en faveur des AESH, mais qu’ils ouvrent aussi la voie à des avancées supplémentaires dans un avenir très proche.

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