Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 8 décembre 2022 à 16h00
Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Émilienne PoumirolÉmilienne Poumirol :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je présente aujourd’hui devant vous la proposition de loi que j’ai déposée avec ma collègue Annie Le Houerou et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l’accès à la santé pour tous.

« Déserts médicaux » : cette expression est aujourd’hui sur toutes les lèvres et au cœur des préoccupations de tous les Français. Nous connaissons les constats, je n’y reviendrai que succinctement, mais certaines réalités méritent néanmoins d’être rappelées.

Aujourd’hui, 11 % des Français, soit 6 millions de personnes, n’ont pas de médecin traitant ; parmi elles, c’est essentiel, 657 000 personnes sont en affection de longue durée. En outre, 72 % de la population française vit en zone sous-dense.

Et cette situation, nous le savons, va de se détériorer dans les années à venir. La projection des effectifs, établie par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé, fait état d’une diminution des effectifs jusqu’en 2024 et un retour au niveau actuel, donc insatisfaisant, seulement à l’horizon de l’année 2030.

Ce contexte est d’autant plus préoccupant que la croissance démographique et le vieillissement de la population induisent une hausse toujours plus importante des besoins en santé.

Je le dis en préambule, ce texte n’a pas vocation, à lui seul, à résoudre l’ensemble des difficultés d’accès aux soins dans notre pays.

La France connaît une pénurie profonde de médecins, spécialistes comme généralistes. Les gouvernements successifs, soutenus par les syndicats et l’ordre des médecins, ont adopté, dans une volonté de réduire les coûts de la santé, une politique de diminution de l’offre.

Ainsi, dans les années 1970, nous formions 10 000 médecins par an, puis 3 500 dans les années 1990. Nous en formons aujourd’hui 8 500.

Nous avons voté un numerus ap ertus dont l’efficacité, faute de moyens supplémentaires donnés aux universités, pose aujourd’hui question : à ce jour, l’augmentation réelle du nombre d’étudiants admis en deuxième année est à peine de 10 % !

Nos politiques de santé, tout comme les études en médecine, sont hospitalo-centrées et nous ont amenés à négliger les politiques publiques, notamment celles envers les territoires ruraux.

Aujourd’hui, les médecins sont issus des classes sociales supérieures et des métropoles. Ce manque de mixité sociale et territoriale nuit à une répartition plus équilibrée sur les territoires.

Nous avons organisé beaucoup d’auditions et rencontré nombre d’acteurs de terrain. Face à cette problématique multifactorielle, nous avons conscience qu’il n’existe pas de réponse simpliste, facile ou miracle, mais que la réponse repose sur un ensemble de mesures coordonnées qui permettront d’améliorer de façon pérenne l’accès aux soins.

Nous sommes convaincus qu’une réponse au problème des déserts médicaux doit reposer sur un équilibre entre tous les acteurs, c’est-à-dire les médecins, les étudiants, les collectivités territoriales, qui, chacun à leur niveau, sont impliqués dans la santé des Français.

La mise en place d’une année de professionnalisation en autonomie supervisée réalisée obligatoirement en zone sous-dense répond à la double ambition d’une meilleure reconnaissance de la spécialité de médecine générale et de la lutte contre les déserts médicaux.

Cette mesure permettrait de déployer rapidement 3 500 à 4 000 jeunes médecins généralistes dans les zones sous-denses, soit en moyenne 35 à 40 par département.

Nous avons entendu les craintes exprimées par les étudiants, mais je veux les rassurer : nous souhaitons respecter les jeunes médecins et leurs problématiques de vie. Nous voulons aussi qu’ils soient rémunérés à hauteur de ce qu’ils méritent.

Cette année de professionnalisation ne sera donc pas un simple stage. Ses modalités de mise en œuvre, dont la rémunération spécifique, seront négociées – j’insiste bien sur ce terme –, avec toutes les parties prenantes, et en particulier les organisations syndicales des étudiants de troisième cycle.

Il est primordial, pour assurer l’effectivité de cette mesure, qu’il y ait un réel intérêt pédagogique, tant sur la formation médicale elle-même que sur les modalités pratiques d’installation. Aussi, cette année sera accomplie avec un encadrement renforcé, assuré par des médecins maîtres de stage universitaire.

Cette proposition s’articule autour des départements, échelon le plus approprié, selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, pour organiser la réponse en santé dans les territoires.

Les étudiants choisiront leur futur lieu d’exercice sur une liste départementale établie par une commission d’affectation et d’accompagnement à l’exercice de l’année de professionnalisation. Celle-ci sera composée de représentants des universités, de l’ordre départemental des médecins, de l’ARS, ainsi que des élus locaux.

Les départements, comme c’est déjà le cas dans les Pyrénées-Atlantiques, avec Présence médicale 64, pourraient également gérer les conditions matérielles d’accueil des étudiants, ainsi que l’accompagnement dans l’installation définitive des jeunes médecins sur leur territoire.

L’exercice de la médecine a évolué et les jeunes médecins aspirent à un exercice en lien avec d’autres professionnels de santé. Néanmoins, aujourd’hui encore, un tiers des médecins généralistes exerce de manière isolée. Ce chiffre, bien loin des ambitions de « Ma santé 2022, un engagement collectif », nous amène donc à proposer de rendre l’exercice coordonné obligatoire dès 2026.

Aussi, l’article 2 de notre proposition de loi définit une nouvelle organisation de soins centrée sur un partage des tâches entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé, au travers de protocoles dûment établis par l’ensemble de l’équipe traitante.

Cette équipe traitante sera coordonnée par un médecin généraliste, responsable du diagnostic et de la prescription, et devra être la plus inclusive possible. Elle devra également être renforcée par des assistants médicaux et des infirmiers de pratique avancée.

L’exercice coordonné dans des équipes de soins primaires devra être le plus souple possible et pourra prendre la forme d’une simple convention d’équipe de soins primaires, ou, d’une manière plus complexe, d’une maison de santé pluriprofessionnelle, voire d’un centre de santé.

Ainsi, le partage des tâches permettra de dégager du temps médical en priorité pour les patients sans médecin traitant ou en affection longue durée (ALD) à ce jour. C’est essentiel à nos yeux.

L’exercice coordonné permet, en outre, une diversification de l’activité médicale : exercice mixte avec un temps partiel en libéral et un temps partiel salarié dans un hôpital de proximité, dans la recherche ou la prévention institutionnelle, type protection maternelle et infantile (PMI), par exemple. Cette perspective est de nature à attirer les jeunes.

Pour répondre aux besoins en santé des territoires, nous proposons également, avec l’article 3, de rétablir l’obligation de garde pour les médecins libéraux.

Depuis 2002 et la décision du ministre Jean-François Mattei de supprimer l’obligation déontologique de garde individuelle, on observe une érosion de la permanence des soins. Le volontariat n’est pas suffisant pour répondre à la demande. Malgré les revalorisations financières régulières de l’astreinte, seuls 38 % des médecins, toujours les mêmes, participaient, en 2021, à la permanence des soins ambulatoires (PDSA).

Pendant les horaires de fermeture des cabinets médicaux, en particulier après vingt heures ou le week-end, nos concitoyens n’ont comme seule ressource que d’aller à l’hôpital, et cette situation participe à l’engorgement des urgences hospitalières.

Face au désarroi de la population, qui se sent délaissée, il nous est apparu indispensable de réinstaurer une obligation de garde par bassin de vie pour assurer la continuité de l’accès aux soins. Cette mission sera assurée en collaboration avec les établissements de santé et en concertation avec les professionnels.

Depuis de nombreuses années, les différents contrats d’aide à l’installation ont été multipliés. Pourtant, malgré les sommes considérables mises en jeu, le résultat n’est pas à la hauteur. Il nous semble donc indispensable de mettre en place aujourd’hui une mesure forte de régulation à l’installation.

Il s’agit d’étendre aux médecins libéraux un dispositif qui existe déjà pour plusieurs autres professionnels de santé – sages-femmes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes.

La Drees confirme que ce type de dispositif apporte des résultats ailleurs dans le monde, par exemple au Canada.

Dans des zones définies par les ARS en concertation avec les syndicats médicaux, et dans lesquelles existe un excédent en matière d’offre de soins, un nouveau médecin libéral ne pourra s’installer en étant conventionné avec l’assurance maladie que lorsqu’un médecin libéral de la même zone cessera son activité.

Loin de remettre en cause la liberté d’installation, cette mesure a pour objectif de préparer l’avenir en orientant l’installation des médecins en fonction des besoins des territoires lorsque la démographie de la profession le permettra. En effet, aujourd’hui, au regard de la pénurie et du nombre de médecins partant à la retraite dans les cinq ans, cette règle sera très peu contraignante et n’entraînera pas, comme certains le prédisent, des vagues de déconventionnement.

Enfin, l’article 5 vise à rééquilibrer les conditions d’assujettissement aux cotisations sociales, les garanties de revenu et l’aide à l’installation : ces mesures doivent bénéficier de la même manière à la médecine salariée et à la médecine libérale. Les centres de santé sont souvent gérés et financés par les collectivités ou la Mutualité française et il convient de soutenir leur action en faveur de l’accès aux soins.

Je conclurai en rappelant notre responsabilité collective.

Comment pouvons-nous accepter le renoncement aux soins de nos concitoyens et la perte de chance que cela représente ? Comment accepter de renier notre promesse républicaine, le droit fondamental à la protection de la santé et l’égal accès aux soins ? Il s’agit d’un enjeu de santé publique et il est de notre devoir de trouver des solutions.

L’effondrement de notre système de soins, malgré l’implication de tous nos soignants, mérite une grande loi Santé. Celle-ci ne semble pas être à votre agenda, madame la ministre, ni même dans vos ambitions. À défaut, nous vous proposons un texte volontariste, pragmatique et rapidement opérationnel, répondant à la préoccupation majeure des Français. Mes chers collègues, si vous partagez nos propositions ambitieuses, je vous demande de voter ce texte.

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