Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l’examen, dans son espace réservé, de la proposition de loi que nous avons déposée, avec notre collègue Émilienne Poumirol, et visant à lutter contre la désertification médicale de nos territoires. Le constat est connu et abondamment documenté : je n’y reviendrai donc que brièvement.
Notre pays connaît de graves difficultés de démographie médicale, qui sont appelées à perdurer une décennie, le temps nécessaire à la suppression du numerus clausus de produire des effets, et à la condition que le Gouvernement donne réellement les moyens aux universités pour assurer ces formations.
Les soins de premier recours sont particulièrement affectés. La France a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021, quand elle gagnait 2, 5 millions d’habitants. Sur la même période, l’âge moyen de la population française a augmenté de deux ans, tandis que la prévalence des maladies chroniques s’est accrue de plus de deux points.
L’inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire exacerbe encore davantage la difficulté. Les données, récemment mises à jour par la Drees, montrent que les 10 % de la population les moins bien dotés ont accès en moyenne à une consultation médicale et demie par an et par habitant, contre une moyenne nationale de 3, 4 consultations.
La qualification du territoire par les ARS retient que 72 % de la population vit en zone sous-dense.
Il serait inutile de disserter ici sur les causes de cette situation et les raisons d’un tel défaut d’anticipation par les pouvoirs publics et les médecins eux-mêmes. La responsabilité est partagée.
Il convient plutôt de trouver des solutions pour garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire, dans l’attente d’un retour à meilleure fortune en 2030. C’est à cet indispensable édifice collectif que la présente proposition de loi entend contribuer.
L’article 1er prévoit une année de professionnalisation à l’issue du diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale afin de bien préparer les médecins à l’exercice de la médecine de ville. Contrairement aux propositions déjà discutées voilà quelques semaines sur ces travées, c’est non pas une année de stage, mais une année complémentaire d’exercice médical qui est ici proposée. Elle sera assortie de conditions spécifiques visant à garantir son efficacité, notamment par des conditions de rémunération négociées.
Afin de garantir l’effectivité du dispositif, cette année d’exercice en autonomie progressive sera réalisée à l’issue du troisième cycle, obligatoirement en zone sous-dense. Il nous faut, sur ce point, tenir un discours de franchise et assumer de demander aux diplômés une contribution à l’effort collectif pour améliorer l’accès aux soins dans nos territoires.
Pour favoriser la construction de projets personnels, les jeunes médecins pourront librement choisir leur affectation sur des listes départementales établies en coordination entre les professionnels de santé, les autorités de santé et les élus. Ces derniers doivent pleinement être reconnus dans ce rôle et prendre leur part en créant des conditions d’accueil de qualité sur leur territoire pour répondre aux besoins de logement, d’accompagnement familial et personnel. C’est à cette condition que le dispositif favorisera l’installation.
En contrepartie, nous souhaitons que cette année de professionnalisation enrichisse véritablement le parcours des étudiants et valorise justement l’effort demandé. Les jeunes médecins bénéficieront d’un statut spécifique défini par décret, après négociation avec les organisations syndicales. Nous souhaitons qu’il se distingue nettement des statuts d’interne et de docteur junior, et qu’il donne accès à une rémunération attractive.
L’article 2 impose la constitution d’équipes de soins primaires (ESP) avec d’autres professionnels pour l’exercice de la médecine générale à compter de 2026. Il s’agit là de favoriser la coordination entre les professionnels de santé de premier recours et l’élaboration de projets de santé répondant aux besoins d’un territoire.
Ce dispositif n’a connu depuis 2016 qu’un succès limité : seules 220 ESP, en cours ou en projet, sont recensées par le ministère. Pourtant, l’exercice coordonné constitue un outil indispensable non seulement pour structurer le parcours de soins, mais aussi pour améliorer l’offre sur un territoire. Il accroît en effet l’attractivité de l’exercice en ville, surtout pour les jeunes médecins qui ne souhaitent plus s’installer de manière isolée.
La tendance est réelle ; il s’agit de l’amplifier pour gagner du temps.
Pour mieux répondre aux attentes des professionnels, le texte conforte les ESP dans leur vocation de dispositif souple, complémentaire des maisons de santé, centres de santé ou communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en prévoyant que les équipes pourront reposer sur une simple convention conclue entre les professionnels.
L’article 3 rétablit une obligation, pour les médecins, de participer à la permanence des soins ambulatoires lorsque la continuité de ce service public l’exige.
Le principe du volontariat individuel, qui prévaut depuis la suppression de l’obligation de garde au début des années 2000, ne permet plus d’assurer aujourd’hui une couverture satisfaisante de l’ensemble de nos territoires par la PDSA. Dans un contexte de démographie médicale déclinante et de désengagement, il faut le dire, de certains professionnels, il conduit également à concentrer l’effort sur les médecins volontaires. En 2021, d’après le ministère, seuls 38 % des médecins en moyenne participaient à la permanence. Là encore, les inégalités se creusent entre les territoires. Le Conseil national de l’ordre des médecins fait état, chaque année, de la progression des zones blanches et révèle que certains territoires ne sont plus couverts en soirée ou les week-ends.
Or la continuité de la PDSA est indispensable pour améliorer la prise en charge des patients comme pour désengorger les services d’urgence hospitaliers, dont l’embolie a encore été crainte l’été dernier. C’est d’ailleurs encore le cas à l’approche des fêtes de fin d’année.
C’est pourquoi le texte vise à renforcer la responsabilité collective des médecins en consacrant une obligation de continuité de la permanence, sans rétablir pour autant un mécanisme disproportionné et rigide de contrainte individuelle. Ainsi, il ne conduit pas à imposer une obligation de garde à chaque médecin sans évaluation préalable des besoins, notamment en nuit profonde. Il appartiendra, au contraire, aux agences régionales de santé, en lien avec l’ordre des médecins et les représentants des professionnels, de mesurer les besoins en soins non programmés pendant les horaires de fermeture des cabinets, de définir en conséquence la permanence nécessaire et, lorsque la continuité du service le justifie, d’appliquer l’obligation dans chaque territoire.
L’article 4 met en place un conventionnement sélectif dans les zones surdotées médicalement, de sorte qu’un médecin ne pourra être conventionné que si un praticien déjà installé cesse son activité.
Permettez-moi de répondre à quelques arguments régulièrement avancés pour refuser ce dispositif.
D’une part, nul ne prétend que ce mécanisme de conventionnement constituera le remède miracle pour orienter d’urgence les médecins vers les territoires les plus sous-dotés. Le dispositif s’insère dans un ensemble de mesures incitatives et évite surtout que les déséquilibres territoriaux ne s’accroissent davantage.
D’autre part, il convient de récuser les récriminations quant à une coercition excessive. Bien au contraire, les nombreux départs à la retraite à venir rendront ce dispositif rarement limitatif dans un premier temps. Il ne découragera nullement les vocations médicales et les exercices conventionnés. En revanche, l’application de ce conventionnement conditionnel est de bonne politique publique. Elle anticipe le dynamisme attendu de la démographie médicale et prépare ainsi une installation équilibrée des promotions d’internes plus importantes.
Enfin, l’article 5 propose que la distinction entre l’exercice libéral, d’une part, et l’exercice salarié en centre de santé, d’autre part, ne puisse suffire à fonder des différences dans l’octroi des aides conventionnelles visant à encourager l’installation des professionnels ou le maintien de leur activité dans des zones sous-dotées.
Les conventions entre l’assurance maladie et les professionnels prévoient toutes sortes de contrats incitatifs aux paramètres variables. Il ressort de ce paysage confus que les aides ne sont pas systématiquement défavorables aux centres de santé. Cependant, les contrats d’aide à l’installation des médecins sont clairement plus avantageux pour les médecins libéraux que pour les postes salariés en centres de santé. Nous proposons donc de mettre fin à cette inégalité de traitement, puisque les centres de santé concourent également, aux côtés de la médecine libérale, à l’accès aux soins de premier recours dans les zones sous-dotées.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à titre personnel, je suis favorable à cette proposition de loi. Le texte prend acte de la pénurie de médecins et propose d’atténuer ses effets. Il demande, pour cela, des efforts proportionnés aux étudiants comme aux médecins, et favorise l’indispensable coopération avec les autres professionnels de santé.
C’est seulement par les efforts conjugués, dans chaque territoire, des pouvoirs publics, des professionnels de santé, mais aussi, dans une certaine mesure, des patients, que nous pourrons préserver l’accès aux soins partout, sans concurrence néfaste entre collectivités ou entre professionnels de santé.
La commission des affaires sociales n’a toutefois pas adopté la proposition de loi. C’est donc le texte initialement déposé que nous nous apprêtons à examiner aujourd’hui.