Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du 8 décembre 2022 à 16h00
Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous — Rejet d'une proposition de loi

Agnès Firmin Le Bodo :

Nous aurions gagné un temps précieux, que nous n’avons plus aujourd’hui, pour mieux anticiper les évolutions de la démographie médicale. J’y insiste, peut-être que ceux qui prônent aujourd’hui l’obligation, et qui étaient aux manettes entre 2012 et 2017, auraient pu le proposer.

La situation, vous la connaissez, elle est préoccupante : 6 millions de patients, dont plus de 650 000 en ALD, sont sans médecin traitant ; 87 % du territoire français est aujourd’hui considéré comme une zone de sous-densité médicale ; les délais d’attente ne cessent de s’allonger. On constate enfin une crise des vocations et une perte de sens chez de nombreux personnels soignants.

Devant cette situation, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’est aggravée avec la crise sanitaire, le PLFSS pour 2023 apporte des premières réponses, dont une qui a recueilli l’assentiment de votre assemblée : l’allongement à quatre ans du diplôme d’études spécialisés de médecine générale.

Nous partageons donc pleinement votre volonté d’agir.

Cependant, sur le fond, le Gouvernement regrette les mesures de coercition prévues dans cette proposition de loi.

L’obligation n’est pas la bonne solution. Nos voisins européens qui l’ont fait en reviennent. Réguler le vide n’apportera rien, et je ne crois pas que nous donnerons envie en obligeant.

Ainsi, l’article 1er de cette proposition prévoit que les étudiants réalisent, à l’issue du troisième cycle des études de médecine, une année de professionnalisation obligatoirement en zone sous-dense. Nous partageons la volonté de mettre en place une quatrième année de professionnalisation, mais nous divergeons sur la philosophie. Nous souhaitons plutôt inciter les étudiants en médecine à s’installer volontairement dans les territoires sous-dotés. C’est tout l’objet de la création de cette quatrième année de médecine générale dans le PLFSS, dont le Parlement vient d’achever l’examen. L’objectif est bien de donner confiance dans l’exercice ambulatoire, y compris en zone sous-dotée.

La mission que le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, et moi-même avons lancée sur la création d’une quatrième année de médecine générale a précisément pour objectif de travailler aux nouvelles modalités pédagogiques et aux règles de répartition des terrains de stage et des praticiens maîtres de stage universitaires. Il s’agit bien de favoriser une affectation dans les territoires et zones sous-denses.

Les dispositions prévues à l’article 2 visent à rendre obligatoire l’exercice libéral de la médecine générale de premier recours sous la forme d’équipes de soins primaires, lesquelles pourront prendre la forme d’une convention entre professionnels de santé.

Là encore, le Gouvernement n’est pas favorable à l’obligation. Le risque est de ne pas réellement engager les professionnels dans un projet collaboratif, en rendant cette reconnaissance uniquement administrative.

Cependant, l’encouragement à l’exercice coordonné sous toutes ses formes, sur l’initiative des personnels de santé eux-mêmes, est bien une priorité du Gouvernement.

Depuis mon entrée en fonction, en juillet dernier, j’ai souhaité rencontrer, lors de mes déplacements sur le terrain, les professionnels de santé qui ont fait le choix d’un exercice coordonné au travers d’une communauté professionnelle territoriale de santé ou d’une maison de santé pluridisciplinaire.

J’ai ainsi découvert des structures qui fonctionnent bien, mais aussi d’autres qui connaissent plus de difficultés. Toutes sont différentes, mais les structures qui fonctionnent bien, et c’est heureusement la grande majorité, sont celles où les professionnels sont pleinement à l’initiative.

De même, instaurer, comme le prévoit l’article 3, une obligation à la permanence des soins en ambulatoire ne nous paraît pas adapté. C’est vrai, le taux de couverture en PDSA varie selon les territoires, mais il n’est pas directement lié au caractère sous-dense des zones. En effet, dans les zones sous-dotées, les médecins participent le plus souvent à la PDSA.

Cette disparité pose la question de l’équité entre médecins, ceux qui sont installés en zones moins dotées assurant nécessairement plus de gardes que les autres. Or la réintroduction de l’obligation individuelle de PDSA ne réglerait pas cette difficulté.

Le principe de responsabilité collective introduit par amendement gouvernemental dans le PLFSS pour 2023 nous semble préférable à un retour à l’obligation individuelle.

L’article 4 prévoit de subordonner le conventionnement d’un médecin dans les zones surdotées médicalement à la condition qu’un médecin déjà installé cesse son activité.

Le Gouvernement n’y est pas non plus favorable.

Alors que la négociation conventionnelle est en cours, nous n’entendons pas limiter de façon unilatérale la liberté de conventionnement des médecins en fonction de leur zone d’installation.

Enfin, je ne vous suis pas sur le bien-fondé de l’article 5, même si je partage le constat, que vous avez souligné dans votre rapport, madame la rapporteure, sur la multiplicité des aides à l’installation, dont le nombre et les paramètres peuvent être source de confusion pour les jeunes professionnels.

C’est bien dans cette perspective que le PLFSS pour 2023 porte la création des guichets uniques d’accompagnement à l’installation des professionnels de santé, ainsi qu’une simplification des aides données aux professionnels qui s’installeront.

J’en viens à la différence de traitement, que vous regrettez, entre centres de santé et médecine libérale.

Ces aides conventionnelles fournies aux centres de santé existent et relèvent des négociations entre les représentants des centres de santé et l’assurance maladie. Aujourd’hui, les premiers peuvent être aidés pour financer jusqu’à trois médecins ETP, à condition que le centre installé dans la zone sous-dotée reste ouvert pendant cinq ans et participe à la PDSA.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous ayons ce débat cet après-midi. Les défis et les attentes sur ce sujet sont immenses. Nous avons un devoir collectif d’agir, tous ensemble, dans un esprit de responsabilité et d’engagement pour apporter des réponses concrètes et opérantes aux besoins de nos concitoyens.

Pour autant, et je conclurai par là, l’instauration de mesures coercitives n’est pas la solution. C’est bien en partant des initiatives du terrain, avec la mobilisation de l’ensemble des acteurs, et non pas contre eux, que nous réussirons.

Madame la sénatrice Poumirol, je tiens à vous rassurer sur l’ambition de répondre aux besoins de santé que porte, tout comme vous, le Gouvernement.

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