Intervention de Monique Lubin

Réunion du 8 décembre 2022 à 16h00
Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, portée par nos collègues Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou, est le fruit du travail des sénateurs du groupe socialiste depuis plusieurs années maintenant.

Nous avons déjà présenté certaines de ces dispositions dans le cadre du débat parlementaire, au cours de l’examen de textes et de propositions du Gouvernement et d’autres groupes politiques qui nous ont semblé apporter des réponses insuffisantes à un problème de plus en plus aigu.

Nous sommes confrontés à une crise profonde et durable concernant l’accès aux médecins, généralistes aussi bien que spécialistes.

Nous l’avons rappelé lors de précédentes discussions : dans les années 1970, 10 000 médecins, toutes spécialités confondues, étaient formés par an, ce chiffre tombant à moins de 4 000 en 2004, dont 2 000 médecins généralistes, pour remonter entre 8 000 et 9 000, dont 4 000 généralistes, de 2011 à 2016, avant une nouvelle baisse en dessous de 3 400 de 2017 à 2021 pour les généralistes, alors que la progression était continue pour les autres spécialités sur cette même période.

En 2022, nous formons 9 024 médecins, dont 3 634 généralistes. C’est donc une réduction de 67, 5 % en cinquante ans ! Dans ce laps de temps, notre population est passée de 50 millions à plus de 65 millions d’habitants, soit une augmentation de 21 %, avec, de surcroît, la montée en puissance des problématiques du vieillissement, de l’autonomie et de la dépendance.

Avec les départs à la retraite des baby-boomers, le chemin parfois long pour les médecins diplômés avant de pouvoir s’installer dans les territoires, les tensions liées aux multiples difficultés des secteurs du médico-social et de la santé, sans oublier les dix ans nécessaires pour former un médecin, nous avons là tous les ingrédients d’une situation critique. Et nous en voyons les effets dans nos territoires, que ce soit à Canenx-et-Réaut, Retjons ou Cère, dans les Landes, à Moncontour, Bourbriac ou au Mené, dans les Côtes-d’Armor, ou à Antichan-de-Frontignes, Aurin ou Bax, en Haute-Garonne, mais je pense que vous pourriez tous me citer des communes de vos départements. Pourtant, les élus locaux font des efforts considérables en la matière.

L’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 n’aura pas offert de réponse satisfaisante à ce problème. Elle crée une quatrième année d’études pour les médecins généralistes, sans rémunération prévue, mais cette mesure reste très floue. Dès son annonce, elle a eu des effets délétères, puisqu’un étudiant en médecine sur trois a pensé arrêter ses études dans les dernières semaines, selon une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).

Parfois, le remède est pire que le mal : nous avons besoin de tout sauf d’une crise des vocations chez les futurs médecins.

La France entre, en tout état de cause, dans une période dans laquelle tout le territoire est ou sera en situation d’insuffisance chronique en matière de démographie médicale. Le pays pâtit des manques des politiques de l’État que tous paient aujourd’hui.

D’abord, nos concitoyens, qui sont confrontés à la situation angoissante de ne pas être assurés de trouver les rendez-vous médicaux dont ils ont besoin, au prix de pertes de chances de guérison et d’une grande dégradation de leur qualité de vie.

Ensuite, les médecins eux-mêmes, qui voient les listes de patients à suivre s’allonger et ont plus que jamais besoin d’accompagnement pour assurer leur mission.

Enfin, les élus locaux, qui multiplient les projets, les innovations et les offres pour attirer les médecins sur leurs territoires et les amener à s’y installer durablement pour assurer la permanence des soins.

Chacun de nous dans cet hémicycle, chacun de nos territoires est, ou, pour les plus chanceux, sera concerné. La situation exige de nous des réponses qui apportent des améliorations sur les court, moyen et long termes, des réponses qui ne fassent pas plus de mal que de bien.

Les sénateurs du groupe socialiste ont travaillé à partir des situations que nous constations sur nos territoires, souvent alertés par ces vigies de la santé publique que sont aussi les élus. Nous avons auditionné les associations d’élus, l’État, les représentants des médecins et les syndicats de jeunes médecins.

Nous avons œuvré avec la conviction qu’il est aujourd’hui impératif de conjuguer une meilleure professionnalisation des médecins avec l’apport de temps médical dans nos territoires sous-dotés. C’est pourquoi nous avons investi à la fois le cadre pédagogique et l’apport de santé publique, comme le soulignait dans cet hémicycle notre collègue Bernard Jomier.

L’une de nos propositions phares présentées dans cette proposition de loi est en effet l’année de professionnalisation, dont nous avons déjà abondamment parlé. Elle a plusieurs avantages, au nombre desquels la reconnaissance et la rémunération à sa juste valeur de la contribution qui est demandée aux futurs jeunes médecins.

Une telle année de professionnalisation permet également de mieux prendre en compte leurs problématiques de vie, en associant aux universités les collectivités territoriales, qui sont mieux à même de leur garantir des conditions matérielles adaptées en matière de logement, de transport et de vie quotidienne.

Cette proposition de loi, si elle était adoptée, ne résoudrait pas à elle seule à la crise des déserts médicaux, mais elle apporterait des solutions opérationnelles qui se verraient tout de suite dans les territoires. Elle aurait le précieux avantage de permettre le déploiement très rapide de 4 000 jeunes médecins généralistes, soit en moyenne 40 médecins par département.

Notre texte contient aussi, grâce au travail de notre collègue Patrice Joly, un article consacré aux conditions de l’exercice libéral et de l’exercice salarié.

Notre proposition de loi a par ailleurs pour objet de mettre en place une organisation du parcours de soins facilitant la prise en charge de chaque patient, dans chaque territoire. Cela serait rendu possible par le gain de temps médical obtenu grâce à une meilleure coordination entre les professionnels de proximité. Cette nouvelle organisation permettrait de dégager du temps médical en priorité pour les patients sans médecin traitant ou subissant une affection de longue durée.

Notre texte rétablit également l’obligation de garde pour les médecins libéraux, afin de permettre la permanence des soins. Pour mémoire, c’est un dispositif de prise en charge aux horaires de fermeture des cabinets libéraux. Depuis la suppression de cette obligation en 2002, on observe une dégradation du service rendu. Le volontariat ne suffit plus pour répondre à la demande.

La voie que nous ouvrons ainsi nous semble susceptible d’apporter des réponses d’ores et déjà concrètes, efficaces et pragmatiques au problème des déserts médicaux, qui nous taraude tous.

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