Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Élisabeth Doineau, qui est souffrante, m’a demandé de porter sa voix dans notre hémicycle.
L’accès aux soins est l’un des principaux sujets de préoccupation des Français. Aussi, il est naturel que les parlementaires se saisissent de cette problématique et tentent d’apporter des réponses par le biais de propositions de loi. Celles-ci se multiplient. C’est la preuve que nous avons à cœur de répondre aux difficultés rencontrées en la matière par nos concitoyens sur tous les territoires.
Le constat est largement partagé. De nombreux rapports ont été publiés ces dernières années et les statistiques produites par diverses institutions, comme la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé, permettent de saisir en toute connaissance de cause l’ampleur des difficultés.
Deux raisons principales à cette situation doivent cependant être rappelées : d’une part, le manque d’anticipation des pouvoirs politiques face au vieillissement de la population ; d’autre part, le changement de la pratique médicale, les jeunes médecins souhaitant légitimement aménager leur temps de travail pour une meilleure vie familiale. D’un côté, davantage de temps médical est requis, pour plus de polypathologies ; de l’autre, on dispose de moins de temps médical par praticien.
Les auteurs de cette proposition de loi tentent de répondre au problème de la désertification médicale. Je veux à mon tour tenter d’expliquer pourquoi les solutions envisagées ne sont pas les bonnes et elles auraient même des conséquences préjudiciables pour notre système de santé et pour toute une profession.
Je me permettrai de ne pas commenter l’article 1er, car nous avons largement débattu de questions similaires ces dernières semaines, en particulier à l’occasion de l’examen du PLFSS pour 2023.
Je ne suis pas opposée à l’article 2 sur le fond, puisque je suis favorable à l’accélération du développement de la coordination entre les professionnels et du travail pluridisciplinaire ; je soutiens en particulier la pratique en équipe de soins primaires. Cependant, cette dernière ne peut pas tout simplement se décréter ! Elle nécessite la participation active des principaux concernés. C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la plupart des MSP, voire sur un plus large périmètre quand il existe une CPTS. Cela demande du temps, de la volonté et beaucoup d’investissement de la part de tous les professionnels de santé, des paramédicaux jusqu’aux professionnels du secteur médico-social.
L’article 3 soulève le sujet essentiel de la permanence des soins ambulatoires. Celle-ci recule fortement, ce qui accroît les tensions sur les services d’urgence hospitaliers.
Néanmoins, obliger les professionnels à assurer la permanence des soins dans un contexte de pénurie contribue à accélérer leur épuisement, dès lors que les rotations sont de plus en plus fréquentes faute de relais. Prenons donc garde à ne pas apporter une réponse plus néfaste que le problème initial !
L’article 4 pose le principe d’une arrivée pour un départ en matière de conventionnement dans les zones surdotées. De l’aveu même de Mme la rapporteure, une telle mesure ne s’appliquerait qu’à la marge.
J’en viens à l’article 5. Certes, il est difficile de s’y retrouver dans le maquis des aides. Mais aligner les aides apportées aux centres de santé sur celles dont bénéficient les MSP reviendrait à encourager encore plus le salariat. Or les chiffres nous montrent que cette tendance est déjà prégnante. Je ne suis pas opposée à la pratique médicale salariée dans l’absolu, mais elle diminue en moyenne d’un tiers le temps médical par rapport à l’exercice libéral. Attention à ne pas accélérer davantage le phénomène !
Après ce réquisitoire, vous pourriez être tentés, mes chers collègues, de me rétorquer que la critique est aisée, mais que l’art est difficile. Alors, quelles solutions apporter ?
Je suis persuadée que nous avons déjà un arsenal d’outils, mais que le plus difficile est de les mettre en œuvre.
Il est ainsi possible de dégager du temps médical en recrutant des assistants médicaux et en répartissant le parcours de soins entre des médecins et d’autres professionnels de santé, notamment des infirmiers en pratique avancée (IPA).
Le partage des tâches est logique et indispensable, parce que nous devons penser à l’échelle des équipes traitantes ; il l’est aussi, parce que la montée en compétences de certains professionnels de santé permet de répartir les prises en charge ; il l’est enfin, parce que la coordination des soins, la complexité de certaines situations et la notion même de « parcours » l’imposent.
La télémédecine est un autre outil qui a prouvé, pendant la crise sanitaire, combien il pouvait être utile lorsqu’il est bien encadré.
Je crois également en la territorialisation des politiques de santé. À chaque territoire ses spécificités ! Il conviendrait sans doute de déterminer quelle collectivité doit être chargée de l’accès aux soins. L’échelon le plus pertinent est le département. Celui-ci pourrait déployer avec l’ARS des brigades de coordination et d’ingénierie pour accompagner les élus et les professionnels de santé sur le territoire.
Je souhaite aborder deux autres points.
D’une part, nous ne pouvons pas rester sourds aux demandes des médecins quant à la revalorisation du tarif des consultations, qui est l’un des plus faibles d’Europe.
D’autre part, si le PLFSS pour 2023 impulse un premier virage en faveur de la prévention, un chantier énorme s’ouvre à nous, d’une alimentation plus saine à une activité sportive régulière, en passant par une réduction des conduites addictives. Plus de prévention, c’est vivre en meilleure santé ; c’est donc moins de besoin de temps médical.
Améliorer l’offre en santé ne peut pas se résumer à traiter de la médecine de ville. Il faut une refonte globale et graduée entre la ville et l’hôpital.
Le Gouvernement a lancé les travaux du volet santé du Conseil national de la refondation. Attendons ses conclusions et les actions qui en découleront.
Pour conclure, je crois qu’il convient d’assumer un discours de vérité. Nous savons que la prochaine décennie sera encore difficile. La régulation est une coercition qui ne dit pas son nom ; elle ne répondra pas à la pénurie. À l’inverse, la coopération peut nous aider à passer ce cap difficile.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe Union Centriste ne votera pas cette proposition de loi.