Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 6 décembre 2022 à 14h30
Loi de finances pour 2023 — Vote sur l'ensemble

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne doute pas que la citation qui suit vous fera plaisir : « Je ferai en sorte qu’à l’avenir, il soit interdit de financer les dépenses de tous les jours par de la dette. » Ces mots, de Nicolas Sarkozy, figuraient dans son projet présidentiel de 2007.

Comment ne pas regarder avec ironie ce budget qui emporte un déficit public de 4, 9 %, soit près de 160 milliards d’euros – excusez du peu –, à la suite du vote de la première partie ? En 2023, le besoin d’endettement s’élèvera en conséquence à 270 milliards d’euros.

À l’heure du retour du principe de souveraineté dans le cadre idéologique de l’exécutif, la dépendance aux marchés financiers demeure, plus que jamais.

La révision constitutionnelle a tendu à sacraliser les lois de programmation des finances publiques, ce qui, sans aller jusqu’à une règle d’or intangible, a contribué à réduire le champ d’expression du Parlement.

Les règles de recevabilité financière, qui corsètent le droit d’initiative des parlementaires, ont une nouvelle fois miné l’examen de ce texte.

Lors de l’examen des dépenses, la responsabilité des parlementaires est à chaque moment engagée. Notre irresponsabilité se manifeste par l’impossibilité de proposer une dépense sans piller les crédits d’une autre politique publique. Il ne fait décidément pas bon être progressiste sous la Ve République…

Le calendrier contraint a emporté des situations qui pourraient être qualifiées d’ubuesques si elles n’étaient pas si graves, conduisant par exemple, lors de l’examen de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » les sénateurs de toutes les travées à retirer l’intégralité de leurs amendements. Pressez-vous mes chers collègues, le huitième 49.3 doit d’intervenir au plus vite !

La démocratie parlementaire est abîmée, meurtrie par le peu d’égard manifesté pour nos débats.

En matière de taxation du capital, le projet de budget sort du Sénat comme il est arrivé. Le Gouvernement et la majorité sénatoriale se sont rejoints pour refuser ensemble une nouvelle modalité d’imposition des multinationales fondée sur le chiffre d’affaires afin de lutter contre l’évasion fiscale, mais aussi le rétablissement d’une véritable exit tax pour lutter contre l’évasion fiscale, la taxation des superprofits, indispensable mesure de justice fiscale, la hausse de la taxe sur les transactions financières, ainsi que l’accroissement des taxations des dividendes versés et reçus.

Il s’agit non pas seulement d’un refus d’impôts supplémentaires, mais d’une union sacrée contre l’imposition du capital, d’un front commun contre la justice fiscale la plus élémentaire.

La France est une anomalie européenne dans un contexte d’augmentation des prix de l’énergie et de l’alimentation qui affecte nos concitoyens et concitoyennes, nos entreprises et nos collectivités.

Pourtant, le 28 juillet 2022, lorsque la présidente de notre groupe Éliane Assassi interrogeait la Première ministre sur le double langage du Gouvernement en matière de taxation des superprofits, à Matignon on soufflait de l’air chaud, tandis qu’à Bercy on expirait de l’air glacial, dans un « en même temps » dont le Gouvernement a le secret. Et Mme Borne de conclure : « Madame la présidente, nous serons attentifs à ce que chacun prenne ses responsabilités, et nous serons prêts à agir, s’il le faut, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. »

Apparemment, il ne l’a pas fallu… Après une soixantaine d’heures de débats sur la première partie du projet de loi de finances, nous avons compris que le Gouvernement refusait d’envisager toute taxation supplémentaire sur le capital.

Il n’y a pas de versements indus de dividendes : 44, 3 milliards d’euros pour le seul deuxième trimestre, ce n’est pas un record !

Il n’y a pas d’inflation différenciée selon que l’on est aisé ou pas, il faut donc rehausser toutes les tranches du barème de l’impôt sur le revenu.

Pour le Gouvernement, il n’y a pas eu de superprofits indus – il est même allé jusqu’à laisser entendre que l’armateur CMA CGM connaissait une période de difficultés après des profits records.

Il n’y a pas de superprofits, à part pour quelques producteurs d’énergie, et les profits réalisés par Total sur son activité pétrolière ne concernent que ses raffineries.

Il ne faudrait pas croire, comme on l’entend, que les versements de dividendes sont la conséquence d’une reprise de l’activité économique. Pas du tout ! Ils découlent de politiques fiscales accommodantes, favorables et incitatives, décidées lors du précédent quinquennat.

À titre d’exemple, en 2018, l’année suivant la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la fameuse flat tax, les dividendes éligibles ont augmenté de 61 %, pour atteindre un montant de 23, 2 milliards d’euros. Jusqu’en 2020, leur niveau avait toujours été stable, signe que la crise sanitaire n’a pas enrayé la distribution de dividendes.

Sans surprise – en tout cas pour nous –, la part des superdividendes supérieurs à 1 million d’euros a elle aussi explosé pour s’établir à 24 % des dividendes versés, contre seulement 10 % en 2017.

Pour rappel, 1 million d’euros, c’est 90 334 heures de travail au Smic horaire brut, soit 2 580 semaines ou encore cinquante ans de labeur.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce budget pour 2023 est un budget pour rien : si peu pour nos compatriotes, rien pour l’avenir…

Après avoir refusé les propositions de recettes, il a fallu toute l’inventivité de la majorité sénatoriale et du Gouvernement pour expliquer que nos concitoyennes et nos concitoyens allaient voir leur facture d’électricité exploser cette année de 15 %, après une augmentation de 4 % l’année dernière et une envolée de 50 % sur les dix dernières années.

Les Français payaient, avant la guerre en Ukraine, les décisions coupables d’ouverture au marché de l’énergie et les sous-investissements chroniques dans l’énergie nucléaire. Le bouclier énergie n’y peut rien, même à 45 milliards d’euros ! Avec des recettes supplémentaires, nous aurions pourtant pu faire autrement, mes chers collègues.

Je dirai un mot, enfin, sur les collectivités territoriales. Le contexte est tel que les élus ne se mettent même plus en colère : ils se sentent condamnés à subir. Ils bataillent dans leur coin, ne se révoltent pas, mais font beaucoup, discrètement, au quotidien.

Ils attendaient une rallonge du petit filet de sécurité, indiscutablement imparfait, pour 2022. Même amélioré par le Sénat, ce dispositif reste insuffisant.

La seule proposition qui vaille pour répondre à la préoccupation des élus locaux partout dans tous les territoires est le retour aux tarifs réglementés de l’électricité et du gaz pour toutes les collectivités. Cette proposition de notre groupe sera débattue ici même, au Sénat, dès demain.

Qu’adviendra-t-il du texte issu de nos travaux ?

Le Sénat s’est déjà dédit en faisant voter la suppression d’amendements adoptés, s’appliquant à lui-même une forme de 49.3 interne.

Sans grande illusion – nous l’avions indiqué dès le début de l’examen de ce budget –, un huitième 49.3 s’abattra sur l’Assemblée nationale.

Tout en feignant le dialogue, le Gouvernement aura les coudées franches pour retenir les seuls amendements auxquels il accorde ses préférences.

Je tiens toutefois à indiquer que s’il revenait sur le maintien de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, cela constituerait à nos yeux un casus belli.

Le Gouvernement s’adonne à un jeu de dupes auquel le Sénat a malheureusement accepté de jouer. Nous le regrettons, et nous voterons contre ce budget.

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