Intervention de Laurence Boone

Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Laurence Boone :

Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec plaisir que je vous retrouve ce soir afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux points qui y seront abordés. Fidèles à nos traditions, nous échangerons à leur propos.

La guerre en Ukraine continuera d’être le sujet le plus brûlant, mais nous évoquerons également la crise énergétique et la situation économique, ces deux derniers points étant – nous partageons tout ce constat – intrinsèquement liés. J’ai eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle lors de l’examen du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, le 17 novembre dernier.

La commission des affaires européennes du Sénat a d’ailleurs pu entendre, le même jour, une communication de Patrice Joly intitulée « Le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne au défi de la guerre en Ukraine ».

Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions portant, d’une part, sur la sécurité et la défense, d’autre part, sur notre politique étrangère. Des échanges sont en outre prévus sur les relations avec le voisinage sud, les États-Unis et les Balkans occidentaux. Enfin, il sera précédé d’un sommet entre l’Union européenne et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean).

Comme vous le savez, la situation évolue tous les jours et les positions que je m’apprête à vous exposer sont encore susceptibles de changer à l’aune des événements que vous connaissez et des concertations conduites entre Européens.

La guerre en Ukraine continue, avec la poursuite, ces dernières semaines, d’une stratégie de frappes brutales de la Russie contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Affaiblir l’Ukraine par le froid et la faim, c’est la stratégie de Vladimir Poutine. Il faut maintenir notre soutien à l’Ukraine dans toutes ses dimensions et à long terme, l’urgence étant aujourd’hui de permettre aux Ukrainiens de passer l’hiver.

C’est à cette fin que le Président de la République a décidé, avec le président ukrainien Zelensky, d’organiser une conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine, le 13 décembre prochain, à Paris, pour répondre aux besoins de court terme dans le domaine de la résilience des infrastructures civiles.

Afin de structurer notre aide financière à l’Ukraine à long terme, la Commission européenne a en outre proposé la mise en place d’un soutien financier à l’Ukraine sous forme de prêts de 18 milliards d’euros pour l’année 2023.

Il n’a pas été possible de trouver un accord aujourd’hui au conseil des ministres de l’économie et des finances, mais nous sommes confiants sur notre capacité à y parvenir avant la fin de l’année, afin que les premiers versements puissent avoir lieu dès le mois de janvier prochain. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne et des engagements pris par nos chefs d’État et de gouvernement.

Notre situation énergétique reste préoccupante.

Je salue une nouvelle fois les travaux de la commission des affaires européennes, notamment l’organisation d’une table ronde de haute tenue, le 16 novembre dernier, sur le thème « Ambitions européennes et chocs économiques actuels ».

Nous devons nous appuyer sur tous les règlements adoptés pour accélérer la réduction de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles et de la Russie.

Nous saluons les efforts de la Commission européenne, qui a fait trois nouvelles propositions législatives susceptibles de répondre à une partie des enjeux liés à notre sécurité énergétique. Celles-ci permettraient d’agir partiellement sur les prix du gaz, de mettre en place une plateforme d’achats conjoints de gaz et de renforcer notre solidarité énergétique.

Nous nous félicitons aussi qu’un accord politique ait été trouvé lors du Conseil Énergie extraordinaire du 24 novembre dernier, sur les deux règlements présentés les 18 octobre et 9 novembre derniers, même si leur adoption formelle n’interviendra que la semaine prochaine.

L’ensemble de ces mesures ne répond toutefois pas à l’urgence de la situation, en dépit de la nouvelle proposition du 22 novembre dernier portant sur un mécanisme correctif sur le marché du gaz. Ce texte prévoit, certes, une forme de plafonnement sur une partie des prix du gaz, mais dans des conditions excessivement restrictives. Il doit encore gagner en crédibilité et en pertinence dans la situation actuelle, car il est essentiel que nous envoyions un signal fort aux marchés.

Nous devons aller plus loin pour faire baisser les prix du gaz et de l’électricité, le Président de la République l’a demandé au dernier Conseil européen. Nous continuerons donc d’appuyer des mesures permettant de faire baisser les prix à court terme, ainsi qu’à moyen terme, grâce à une réforme du marché de l’électricité.

Il est également impératif que nous apportions des réponses budgétaires coordonnées pour lutter contre l’inflation tout en préservant la croissance. Nous attendons des propositions de la Commission européenne pour avancer sur la mise en œuvre de mécanismes européens de solidarité financière, afin d’éviter toute fragmentation économique entre les États de l’Union européenne.

Le Conseil européen abordera ensuite les enjeux de sécurité et de défense. Le renforcement de l’industrie de défense européenne figure parmi ses priorités, dans la continuité des engagements pris lors du sommet de Versailles.

La Commission européenne a annoncé lundi dernier avoir débloqué un premier financement de 1, 2 milliard d’euros du Fonds européen de la défense pour la prochaine génération d’avions de combat, des projets de chars et de navires et le développement de technologies militaires.

Ce sont ainsi 61 projets qui seront cofinancés, afin de « fournir des capacités de pointe à nos forces armées », par le Fonds européen de la défense, qui est doté de 7, 9 milliards d’euros pour la période courant de 2021 à 2027.

Il nous faut aller plus loin. Il est nécessaire d’avancer rapidement sur le règlement créant un instrument d’urgence pour faciliter l’acquisition conjointe de matériel militaire, l’Edirpa pour European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act, en cours de négociation, puis sur la construction d’un instrument pérenne, l’Edidp pour European Defence Industrial Development Programme.

Ces instruments sont déterminants pour nous aider à structurer la demande et à donner davantage de visibilité à nos industriels. Ils doivent également être conçus d’une manière qui nous permette de réduire nos dépendances à des technologies et à des chaînes d’approvisionnement contrôlées par des États non européens.

La résilience et la cybersécurité des entités critiques européennes seront aussi à l’ordre du jour.

La palette d’instruments que nous sommes en train d’adopter constituera un pilier de notre stratégie numérique et l’une des clés d’une souveraineté affirmée. Une mise en œuvre rapide et effective sera importante pour notre résistance face aux actes malveillants à l’encontre de nos infrastructures critiques. Ces objectifs ne doivent pas occulter le besoin de renforcer la coopération avec nos partenaires internationaux, en particulier les plus exposés d’entre eux.

Cette coopération doit, plus que jamais, constituer un levier important de notre stratégie en matière de cybersécurité et de résilience.

Enfin, ce Conseil européen sera l’occasion d’assurer la soutenabilité de la facilité européenne pour la paix (FEP). Celle-ci a été mobilisée de manière massive et inattendue pour soutenir l’Ukraine. L’Union européenne a ainsi su utiliser à des fins nouvelles un instrument conçu pour la gestion de crise et l’accompagnement des missions de formation. Nous ne pouvons que nous féliciter de sa capacité d’adaptation.

Aujourd’hui, c’est grâce à la FEP que l’Union européenne est devenue un acteur majeur dans le domaine militaire dans le conflit ukrainien, avec 3 milliards d’euros mobilisés à ce titre. Cela fait toutefois peser un risque sur la soutenabilité de l’instrument, notamment sur sa capacité à continuer de porter son ambition initiale. C’est pourquoi le Conseil européen sera l’occasion d’acter son réabondement, d’une manière qui suive au plus juste les besoins réels.

Le Conseil européen se penchera aussi sur nos relations avec le voisinage sud, en préparation d’un sommet prévu pendant la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, au deuxième semestre 2023. Ces discussions sont importantes. Dans le contexte de l’agression russe en Ukraine, il est essentiel, d’une part, de lutter contre le narratif russe dans la zone, d’autre part, de poursuivre notre soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, dont les soubresauts nous affectent directement.

À Barcelone, le 24 novembre dernier, les ministres de l’Union européenne et des pays du voisinage sud – le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Libye, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, Israël et la Palestine – ont échangé sur les pistes de coopération pour répondre au double défi posé par l’agression russe en Ukraine : celui de la sécurité alimentaire, mise en péril dans plusieurs pays du voisinage sud, en particulier en Tunisie, au Liban et en Égypte, et qui requiert le maintien de notre action à leurs côtés ; celui de l’énergie, à l’heure où cette guerre vient renforcer l’intérêt de diversifier nos approvisionnements et d’inscrire nos partenariats avec les pays du Sud dans la durée.

L’inscription d’un point concernant le voisinage sud à l’agenda du Conseil européen contribuera à ces objectifs en maintenant la dynamique de l’Union européenne en faveur d’une politique méditerranéenne ambitieuse et positive.

J’en viens aux relations extérieures. Le Conseil européen sera précédé par un sommet entre l’Union européenne et l’Asean, le premier au niveau des chefs d’État et de gouvernement des deux blocs. Il s’agit d’un moment essentiel pour poursuivre l’engagement européen renforcé dans l’Indo-Pacifique et mettre en œuvre le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Asean signé en 2020, notamment par des projets financés dans le cadre de l’initiative européenne Global Gateway.

Le Conseil européen devrait enfin revenir sur deux sujets d’actualité. Le premier sujet concerne nos relations avec les États-Unis dans un contexte marqué par l’adoption de l’Inflation Reduction Act ; le second, les relations de l’Union européenne avec les Balkans occidentaux, avec la demande du statut de candidat de la Bosnie-Herzégovine.

S’agissant des États-Unis, d’abord, le Conseil européen intervient après une séquence chargée.

Le Président de la République s’est rendu dans ce pays du 29 novembre au 3 décembre, pour sa deuxième visite d’État à Washington, la première sous l’administration Biden, signe de la densité de notre relation bilatérale. Il a porté un message clair, en lien étroit avec nos partenaires européens, sur les enjeux énergétiques et commerciaux.

La troisième réunion du Conseil du commerce et des technologies (CCT) Union européenne–États-Unis, qui s’est déroulée hier et avant-hier, a aussi permis à l’Union européenne d’approfondir ces messages. Cette enceinte est importante pour aborder, en partenaires, les défis communs auxquels nous faisons face.

Concernant le projet d’Inflation Reduction Act, l’intention en matière climatique des États-Unis est louable et nous devons nous en féliciter, mais les modalités prévues par ce dispositif créeront des distorsions de concurrence pour nos entreprises et pour notre activité.

Les mesures prises dans ce cadre sont absolument contraires à l’esprit de coopération transatlantique et nous devons identifier des solutions qui préservent pleinement les intérêts européens. C’est ce qu’a dit très clairement le Président de la République et ce sont les messages qui ont été passés lors du CCT.

La task force mise en place au sein de la Commission européenne doit nous permettre de trouver rapidement une solution négociée conforme aux intérêts européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur nous pour être très attentifs à ses résultats.

Cependant, il nous semble que l’Union européenne doit se préparer dès à présent à l’éventualité que ses demandes ne soient pas prises en considération, ou le soient seulement a minima, et être en mesure d’agir et d’envoyer des signaux efficaces aux entreprises avant la fin de l’année.

Il faut, notamment, avancer très vite sur la proposition faite par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union de création d’un fonds de souveraineté européen. Nous devons également étudier comment les instruments anti-subventions mis en place pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne peuvent trouver à s’appliquer.

Le Conseil européen traitera, enfin, de la question des Balkans occidentaux. La France soutient résolument le processus d’adhésion de ces États à l’Union européenne. Nous n’avons pas compté nos efforts en ce sens pendant notre présidence du Conseil, comme en témoigne notre engagement en faveur de la résolution du différend bulgaro-macédonien, qui a permis la tenue des premières conférences intergouvernementales (CIG) d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord au mois de juillet dernier.

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre récemment dans ces deux pays pour confirmer à leurs gouvernements notre implication dans la durée.

L’organisation du sommet Union européenne-Balkans occidentaux de Tirana, aujourd’hui même, offre une excellente opportunité de poursuivre cet élan, en particulier, de marquer notre solidarité et notre soutien dans le contexte actuel.

L’Union européenne est d’ores et déjà pleinement engagée aux côtés des Balkans occidentaux et ce sommet a été l’occasion de montrer concrètement nos actions dans la région, lesquelles doivent être poursuivies et amplifiées, afin que les pays de cette zone retirent des bénéfices concrets des efforts qu’ils auront consentis.

Cela concerne, par exemple, le paquet de soutien énergétique de 1 milliard d’euros, la continuation de la mise en œuvre du plan économique et d’investissement, les initiatives dans le domaine cyber, qui ont déjà vu le jour, ainsi que le projet de réduction progressive des frais d’itinérance téléphonique entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, discuté aujourd’hui même.

En Bosnie-Herzégovine, nous formons le vœu que des gouvernements soient formés rapidement à tous les niveaux, à la suite des dernières élections du 2 octobre dernier. Il s’agit d’une étape indispensable pour la fonctionnalité des institutions et la poursuite des réformes.

Sur la question de l’octroi du statut de pays candidat, le Conseil européen prendra une décision la semaine prochaine, en considérant tous les paramètres en jeu : le contexte géopolitique comme les progrès du pays dans la mise en œuvre des réformes.

La poursuite du chemin européen de la Bosnie-Herzégovine dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants bosniens, qui doivent commencer dès à présent à mettre en œuvre les réformes identifiées par la Commission européenne.

Vous le voyez, et j’espère vous en avoir convaincus, madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, le programme de ce Conseil européen est chargé. Il témoigne de l’énergie déployée par l’Union européenne pour faire face ensemble aux conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine, sans laisser de côté les sujets de long terme qui font notre unité.

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