Séance en hémicycle du 6 décembre 2022 à 21h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec plaisir que je vous retrouve ce soir afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux points qui y seront abordés. Fidèles à nos traditions, nous échangerons à leur propos.

La guerre en Ukraine continuera d’être le sujet le plus brûlant, mais nous évoquerons également la crise énergétique et la situation économique, ces deux derniers points étant – nous partageons tout ce constat – intrinsèquement liés. J’ai eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle lors de l’examen du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, le 17 novembre dernier.

La commission des affaires européennes du Sénat a d’ailleurs pu entendre, le même jour, une communication de Patrice Joly intitulée « Le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne au défi de la guerre en Ukraine ».

Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions portant, d’une part, sur la sécurité et la défense, d’autre part, sur notre politique étrangère. Des échanges sont en outre prévus sur les relations avec le voisinage sud, les États-Unis et les Balkans occidentaux. Enfin, il sera précédé d’un sommet entre l’Union européenne et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean).

Comme vous le savez, la situation évolue tous les jours et les positions que je m’apprête à vous exposer sont encore susceptibles de changer à l’aune des événements que vous connaissez et des concertations conduites entre Européens.

La guerre en Ukraine continue, avec la poursuite, ces dernières semaines, d’une stratégie de frappes brutales de la Russie contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Affaiblir l’Ukraine par le froid et la faim, c’est la stratégie de Vladimir Poutine. Il faut maintenir notre soutien à l’Ukraine dans toutes ses dimensions et à long terme, l’urgence étant aujourd’hui de permettre aux Ukrainiens de passer l’hiver.

C’est à cette fin que le Président de la République a décidé, avec le président ukrainien Zelensky, d’organiser une conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine, le 13 décembre prochain, à Paris, pour répondre aux besoins de court terme dans le domaine de la résilience des infrastructures civiles.

Afin de structurer notre aide financière à l’Ukraine à long terme, la Commission européenne a en outre proposé la mise en place d’un soutien financier à l’Ukraine sous forme de prêts de 18 milliards d’euros pour l’année 2023.

Il n’a pas été possible de trouver un accord aujourd’hui au conseil des ministres de l’économie et des finances, mais nous sommes confiants sur notre capacité à y parvenir avant la fin de l’année, afin que les premiers versements puissent avoir lieu dès le mois de janvier prochain. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne et des engagements pris par nos chefs d’État et de gouvernement.

Notre situation énergétique reste préoccupante.

Je salue une nouvelle fois les travaux de la commission des affaires européennes, notamment l’organisation d’une table ronde de haute tenue, le 16 novembre dernier, sur le thème « Ambitions européennes et chocs économiques actuels ».

Nous devons nous appuyer sur tous les règlements adoptés pour accélérer la réduction de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles et de la Russie.

Nous saluons les efforts de la Commission européenne, qui a fait trois nouvelles propositions législatives susceptibles de répondre à une partie des enjeux liés à notre sécurité énergétique. Celles-ci permettraient d’agir partiellement sur les prix du gaz, de mettre en place une plateforme d’achats conjoints de gaz et de renforcer notre solidarité énergétique.

Nous nous félicitons aussi qu’un accord politique ait été trouvé lors du Conseil Énergie extraordinaire du 24 novembre dernier, sur les deux règlements présentés les 18 octobre et 9 novembre derniers, même si leur adoption formelle n’interviendra que la semaine prochaine.

L’ensemble de ces mesures ne répond toutefois pas à l’urgence de la situation, en dépit de la nouvelle proposition du 22 novembre dernier portant sur un mécanisme correctif sur le marché du gaz. Ce texte prévoit, certes, une forme de plafonnement sur une partie des prix du gaz, mais dans des conditions excessivement restrictives. Il doit encore gagner en crédibilité et en pertinence dans la situation actuelle, car il est essentiel que nous envoyions un signal fort aux marchés.

Nous devons aller plus loin pour faire baisser les prix du gaz et de l’électricité, le Président de la République l’a demandé au dernier Conseil européen. Nous continuerons donc d’appuyer des mesures permettant de faire baisser les prix à court terme, ainsi qu’à moyen terme, grâce à une réforme du marché de l’électricité.

Il est également impératif que nous apportions des réponses budgétaires coordonnées pour lutter contre l’inflation tout en préservant la croissance. Nous attendons des propositions de la Commission européenne pour avancer sur la mise en œuvre de mécanismes européens de solidarité financière, afin d’éviter toute fragmentation économique entre les États de l’Union européenne.

Le Conseil européen abordera ensuite les enjeux de sécurité et de défense. Le renforcement de l’industrie de défense européenne figure parmi ses priorités, dans la continuité des engagements pris lors du sommet de Versailles.

La Commission européenne a annoncé lundi dernier avoir débloqué un premier financement de 1, 2 milliard d’euros du Fonds européen de la défense pour la prochaine génération d’avions de combat, des projets de chars et de navires et le développement de technologies militaires.

Ce sont ainsi 61 projets qui seront cofinancés, afin de « fournir des capacités de pointe à nos forces armées », par le Fonds européen de la défense, qui est doté de 7, 9 milliards d’euros pour la période courant de 2021 à 2027.

Il nous faut aller plus loin. Il est nécessaire d’avancer rapidement sur le règlement créant un instrument d’urgence pour faciliter l’acquisition conjointe de matériel militaire, l’Edirpa pour European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act, en cours de négociation, puis sur la construction d’un instrument pérenne, l’Edidp pour European Defence Industrial Development Programme.

Ces instruments sont déterminants pour nous aider à structurer la demande et à donner davantage de visibilité à nos industriels. Ils doivent également être conçus d’une manière qui nous permette de réduire nos dépendances à des technologies et à des chaînes d’approvisionnement contrôlées par des États non européens.

La résilience et la cybersécurité des entités critiques européennes seront aussi à l’ordre du jour.

La palette d’instruments que nous sommes en train d’adopter constituera un pilier de notre stratégie numérique et l’une des clés d’une souveraineté affirmée. Une mise en œuvre rapide et effective sera importante pour notre résistance face aux actes malveillants à l’encontre de nos infrastructures critiques. Ces objectifs ne doivent pas occulter le besoin de renforcer la coopération avec nos partenaires internationaux, en particulier les plus exposés d’entre eux.

Cette coopération doit, plus que jamais, constituer un levier important de notre stratégie en matière de cybersécurité et de résilience.

Enfin, ce Conseil européen sera l’occasion d’assurer la soutenabilité de la facilité européenne pour la paix (FEP). Celle-ci a été mobilisée de manière massive et inattendue pour soutenir l’Ukraine. L’Union européenne a ainsi su utiliser à des fins nouvelles un instrument conçu pour la gestion de crise et l’accompagnement des missions de formation. Nous ne pouvons que nous féliciter de sa capacité d’adaptation.

Aujourd’hui, c’est grâce à la FEP que l’Union européenne est devenue un acteur majeur dans le domaine militaire dans le conflit ukrainien, avec 3 milliards d’euros mobilisés à ce titre. Cela fait toutefois peser un risque sur la soutenabilité de l’instrument, notamment sur sa capacité à continuer de porter son ambition initiale. C’est pourquoi le Conseil européen sera l’occasion d’acter son réabondement, d’une manière qui suive au plus juste les besoins réels.

Le Conseil européen se penchera aussi sur nos relations avec le voisinage sud, en préparation d’un sommet prévu pendant la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, au deuxième semestre 2023. Ces discussions sont importantes. Dans le contexte de l’agression russe en Ukraine, il est essentiel, d’une part, de lutter contre le narratif russe dans la zone, d’autre part, de poursuivre notre soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, dont les soubresauts nous affectent directement.

À Barcelone, le 24 novembre dernier, les ministres de l’Union européenne et des pays du voisinage sud – le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Libye, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, Israël et la Palestine – ont échangé sur les pistes de coopération pour répondre au double défi posé par l’agression russe en Ukraine : celui de la sécurité alimentaire, mise en péril dans plusieurs pays du voisinage sud, en particulier en Tunisie, au Liban et en Égypte, et qui requiert le maintien de notre action à leurs côtés ; celui de l’énergie, à l’heure où cette guerre vient renforcer l’intérêt de diversifier nos approvisionnements et d’inscrire nos partenariats avec les pays du Sud dans la durée.

L’inscription d’un point concernant le voisinage sud à l’agenda du Conseil européen contribuera à ces objectifs en maintenant la dynamique de l’Union européenne en faveur d’une politique méditerranéenne ambitieuse et positive.

J’en viens aux relations extérieures. Le Conseil européen sera précédé par un sommet entre l’Union européenne et l’Asean, le premier au niveau des chefs d’État et de gouvernement des deux blocs. Il s’agit d’un moment essentiel pour poursuivre l’engagement européen renforcé dans l’Indo-Pacifique et mettre en œuvre le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Asean signé en 2020, notamment par des projets financés dans le cadre de l’initiative européenne Global Gateway.

Le Conseil européen devrait enfin revenir sur deux sujets d’actualité. Le premier sujet concerne nos relations avec les États-Unis dans un contexte marqué par l’adoption de l’Inflation Reduction Act ; le second, les relations de l’Union européenne avec les Balkans occidentaux, avec la demande du statut de candidat de la Bosnie-Herzégovine.

S’agissant des États-Unis, d’abord, le Conseil européen intervient après une séquence chargée.

Le Président de la République s’est rendu dans ce pays du 29 novembre au 3 décembre, pour sa deuxième visite d’État à Washington, la première sous l’administration Biden, signe de la densité de notre relation bilatérale. Il a porté un message clair, en lien étroit avec nos partenaires européens, sur les enjeux énergétiques et commerciaux.

La troisième réunion du Conseil du commerce et des technologies (CCT) Union européenne–États-Unis, qui s’est déroulée hier et avant-hier, a aussi permis à l’Union européenne d’approfondir ces messages. Cette enceinte est importante pour aborder, en partenaires, les défis communs auxquels nous faisons face.

Concernant le projet d’Inflation Reduction Act, l’intention en matière climatique des États-Unis est louable et nous devons nous en féliciter, mais les modalités prévues par ce dispositif créeront des distorsions de concurrence pour nos entreprises et pour notre activité.

Les mesures prises dans ce cadre sont absolument contraires à l’esprit de coopération transatlantique et nous devons identifier des solutions qui préservent pleinement les intérêts européens. C’est ce qu’a dit très clairement le Président de la République et ce sont les messages qui ont été passés lors du CCT.

La task force mise en place au sein de la Commission européenne doit nous permettre de trouver rapidement une solution négociée conforme aux intérêts européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur nous pour être très attentifs à ses résultats.

Cependant, il nous semble que l’Union européenne doit se préparer dès à présent à l’éventualité que ses demandes ne soient pas prises en considération, ou le soient seulement a minima, et être en mesure d’agir et d’envoyer des signaux efficaces aux entreprises avant la fin de l’année.

Il faut, notamment, avancer très vite sur la proposition faite par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union de création d’un fonds de souveraineté européen. Nous devons également étudier comment les instruments anti-subventions mis en place pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne peuvent trouver à s’appliquer.

Le Conseil européen traitera, enfin, de la question des Balkans occidentaux. La France soutient résolument le processus d’adhésion de ces États à l’Union européenne. Nous n’avons pas compté nos efforts en ce sens pendant notre présidence du Conseil, comme en témoigne notre engagement en faveur de la résolution du différend bulgaro-macédonien, qui a permis la tenue des premières conférences intergouvernementales (CIG) d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord au mois de juillet dernier.

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre récemment dans ces deux pays pour confirmer à leurs gouvernements notre implication dans la durée.

L’organisation du sommet Union européenne-Balkans occidentaux de Tirana, aujourd’hui même, offre une excellente opportunité de poursuivre cet élan, en particulier, de marquer notre solidarité et notre soutien dans le contexte actuel.

L’Union européenne est d’ores et déjà pleinement engagée aux côtés des Balkans occidentaux et ce sommet a été l’occasion de montrer concrètement nos actions dans la région, lesquelles doivent être poursuivies et amplifiées, afin que les pays de cette zone retirent des bénéfices concrets des efforts qu’ils auront consentis.

Cela concerne, par exemple, le paquet de soutien énergétique de 1 milliard d’euros, la continuation de la mise en œuvre du plan économique et d’investissement, les initiatives dans le domaine cyber, qui ont déjà vu le jour, ainsi que le projet de réduction progressive des frais d’itinérance téléphonique entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, discuté aujourd’hui même.

En Bosnie-Herzégovine, nous formons le vœu que des gouvernements soient formés rapidement à tous les niveaux, à la suite des dernières élections du 2 octobre dernier. Il s’agit d’une étape indispensable pour la fonctionnalité des institutions et la poursuite des réformes.

Sur la question de l’octroi du statut de pays candidat, le Conseil européen prendra une décision la semaine prochaine, en considérant tous les paramètres en jeu : le contexte géopolitique comme les progrès du pays dans la mise en œuvre des réformes.

La poursuite du chemin européen de la Bosnie-Herzégovine dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants bosniens, qui doivent commencer dès à présent à mettre en œuvre les réformes identifiées par la Commission européenne.

Vous le voyez, et j’espère vous en avoir convaincus, madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, le programme de ce Conseil européen est chargé. Il témoigne de l’énergie déployée par l’Union européenne pour faire face ensemble aux conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine, sans laisser de côté les sujets de long terme qui font notre unité.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 15 et 16 décembre prochain sera le premier depuis la libération de Kherson par les troupes ukrainiennes le mois dernier.

Le succès de la contre-offensive lancée par l’état-major ukrainien au mois de septembre dernier ne saurait masquer les nombreuses incertitudes qui continuent d’obscurcir le champ de bataille. La guerre déclenchée au mois de février dernier par l’agression russe sur le territoire ukrainien dure depuis plus de neuf mois. D’ores et déjà, elle est inédite sur notre continent par son ampleur et son intensité depuis la fin de la guerre froide. Il existe malheureusement un risque réel pour qu’elle s’installe dans la durée.

S’il est difficile de prédire ce que sera l’avenir de cette guerre, nous constatons déjà, sur le théâtre des opérations, l’importance de la mobilisation des Européens en faveur de la liberté du peuple ukrainien.

Au lendemain du 24 février dernier, l’Union européenne a fait la preuve de sa capacité à s’unir et à se mobiliser, y compris sur la scène géopolitique internationale. Depuis cette date, la valeur totale des livraisons d’armes létales et non létales assurées par les États membres au bénéfice des soldats ukrainiens dépasse 8 milliards d’euros.

Cette somme n’atteint certes pas les 19 milliards de dollars de l’aide américaine, mais elle représente une contribution substantielle et, surtout, décisive à l’effort de guerre de l’Ukraine. Les soldats ukrainiens font chaque jour la démonstration de l’importance intacte des forces morales pour prendre la supériorité sur le terrain. Il est de notre devoir de continuer de leur apporter un soutien financier et capacitaire à la hauteur de leur résistance héroïque. Pour ce faire, nous devons à tout prix préserver l’unité qui caractérise l’Union européenne depuis le début de la guerre.

Or, à l’échelle de l’Union européenne, les instruments que nous avions imaginés pour une période de paix ne sont plus adaptés, en cette période de guerre. La facilité européenne pour la paix a démontré, depuis sa création en 2021, sa pertinence et sa souplesse d’utilisation, mais le montant de 5, 7 milliards d’euros que nous avions initialement prévu se révèle largement en deçà des besoins.

La situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons actuellement exige des réponses exceptionnelles. Le versement des aides prévues par la sixième enveloppe, avalisée lors du sommet de Prague, au mois d’octobre dernier, portera à plus de 3 milliards d’euros le financement de l’aide aux armées ukrainiennes issu de la facilité européenne pour la paix.

Le refinancement de cet instrument devient donc une urgence. Le retour de la guerre sur notre continent justifie pleinement que nous dégagions des crédits exceptionnels pour cette opération. Nous devons nous mobiliser pour que l’Union européenne continue de s’appuyer sur un instrument suffisamment solide pour financer l’aide militaire décidée en commun.

Au-delà de cet enjeu de court terme, sur lequel les chefs d’État et de gouvernement devront trouver rapidement un compromis praticable, la coopération européenne de défense doit répondre à des enjeux de long terme, comme c’est le cas avec la boussole stratégique européenne.

La mobilisation des gouvernements au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine s’est traduite par une hausse générale des budgets de défense au sein de l’Union européenne. Pour autant, si nous n’y prenons garde, celle-ci pourrait avoir pour effet de renforcer l’empreinte des industries d’armement américaines en Europe.

L’ambition française d’une autonomie stratégique européenne ne saurait se satisfaire d’une telle issue. Ce que nous devons promouvoir, dans le sillage de la boussole stratégique européenne, c’est un renforcement de nos dépenses en commun, pour financer la recherche et l’innovation dans le domaine de la défense ou des achats d’équipements.

Les statistiques les plus récentes sont inquiétantes dans ce domaine ; elles révèlent que la proportion des acquisitions communes de matériel militaire atteint seulement 18 % en 2021. C’est deux fois moins que l’objectif visé dans le cadre de la boussole stratégique européenne, soit 35 % des dépenses d’équipement en commun.

Dans ce contexte, la défense collective de l’Europe ne pourra être assurée qu’à la condition de répondre aux défis soulevés à court et à moyen terme par le retour de la guerre sur notre continent.

Madame la secrétaire d’État, nous serons attentifs à ce que la France soutienne les solutions qui permettront à l’Europe de se doter de l’autonomie stratégique que les circonstances exigent.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – M. Claude Kern applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile d’évoquer le Conseil européen qui se tiendra d’ici dix jours sans prendre en compte le conseil des ministres de l’économie et des finances, dit aussi conseil affaires économiques et financières, qui s’est tenu ce matin même.

Vous ne serez donc pas étonnée, madame la secrétaire d’État, que ma première question porte sur les résultats de cette réunion : pouvez-vous nous en préciser les conclusions ? J’ai en particulier à l’esprit l’état d’avancement du dossier des ressources nouvelles, auquel la commission des finances est très attentive puisqu’il conditionne les modalités de remboursement du plan de relance européen.

Plus précisément, il semble que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières fasse encore l’objet de divergences, alors qu’il doit entrer en vigueur dès 2023 ; à moins que vous nous annonciez – ce soir, peut-être ? – un report de cette échéance. Qu’en est-il du champ d’application du mécanisme et de la suppression des quotas gratuits ? Pouvez-vous également nous informer de l’utilisation des revenus issus de ce mécanisme ? Celle-ci est-elle désormais stabilisée ? En clair, nous souhaitons savoir à quel niveau cette ressource viendra abonder le budget européen.

La réforme du marché du carbone me fournit une transition pour aborder un point de l’ordre du jour du Conseil européen qui préoccupe tout particulièrement la commission des finances : les liens entre la crise énergétique et notre économie.

Cela a déjà été souligné, mais j’y insiste : l’évolution des cours du gaz depuis le début de l’année 2021 apparaît d’une ampleur inédite dans l’histoire européenne. Cette hausse se répercute évidemment sur les consommateurs et sur les entreprises. C’est la raison pour laquelle la commission des finances a proposé l’adoption sans modification de l’article 12 quater du projet de loi de finances pour 2023 – voté cet après-midi –, lequel vise à proroger les dispositifs de boucliers tarifaires sur les prix du gaz et de l’électricité l’année prochaine.

Sans ce prolongement, les prix de l’énergie auraient connu une évolution insupportable pour les acteurs économiques. Cette mesure ne peut évidemment pas être évaluée sans prendre en compte le contexte européen, ce qui me conduit à vous poser trois questions, madame la secrétaire d’État.

Quelles sont les perspectives d’accord sur le plafonnement du prix du gaz ?

Qu’en est-il de la réforme attendue du marché de l’électricité ?

Quel sera l’impact du plafonnement du prix du pétrole russe, décidé à la fin de la semaine dernière, conjointement avec les pays du G7 et l’Australie ?

La crise énergétique me conduit à aborder également une préoccupation majeure pour les mois à venir : depuis plus de trente ans, nous vivions dans l’idée que l’inflation avait pratiquement disparu ; l’année 2022 a bouleversé cette croyance et l’inflation atteint actuellement plus de 10 % en moyenne dans l’Union européenne.

D’un point de vue financier, on peut s’interroger sur l’impact de ce choc exogène sur la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience. En effet, les montants disponibles avaient été fixés début 2021, puis ajustés au 30 juin dernier. Ne sont-ils pas dépassés, dans la mesure où la hausse des prix touche fortement tous les États membres ? Elle est supérieure en moyenne à 10 % et atteint jusqu’à plus de 20 % dans les pays baltes.

À l’inverse, madame la secrétaire d’État, ne craignez-vous pas que, dans ce contexte de dégradation de la situation économique et financière, certains États membres éprouvent des difficultés à honorer leurs engagements quant au financement du budget européen ?

Si la hausse des prix a pour conséquence mécanique immédiate d’accroître les recettes de TVA, les perspectives de récession ne peuvent qu’emporter des conséquences négatives, tant sur le montant perçu au titre des droits de douane, qui sont la ressource propre traditionnelle de l’Union européenne, que sur le revenu national brut, qui représente la principale source de financement du budget européen.

Ce contexte général va-t-il se traduire par une accélération de la mise en chantier de la révision du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 ?

Telles sont, madame la secrétaire d’État, les questions que je souhaitais vous poser au nom de la commission des finances.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen aura lieu le 15 décembre, une journée durant laquelle seront abordés plusieurs sujets importants. Parmi ceux-ci, les trois que nous évoquerons ce soir seront directement liés à la crise en Ukraine : l’énergie, les relations transatlantiques, la guerre et ses conséquences.

Comme c’est le cas depuis plus de neuf mois, cette prochaine réunion sera donc malheureusement dominée par la guerre en Ukraine, qui voit la Russie accentuer la pression sur les civils, en violation flagrante des règles fondant l’ordre international.

Nous comptons, bien entendu, sur le Conseil européen pour renouveler le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine dans tous les domaines, notamment – vous l’avez précisé, madame la secrétaire d’État – financier, mais aussi diplomatique et militaire comme humanitaire – nous y reviendrons –, afin d’obtenir que la Russie assume la responsabilité pleine et entière des crimes qu’elle commet.

À ce sujet, nous venons de recevoir au Sénat une délégation de parlementaires ukrainiens, menée par Maria Mezentseva, venue à Paris pour plaider en faveur de la mise en place d’un tribunal spécial chargé de juger le crime d’agression constitué par l’invasion russe.

Il est très important d’évaluer les différentes solutions juridiques envisageables pour que justice soit rendue dans les meilleures conditions d’impartialité et de sécurité juridique, sans quoi aucune paix durable ne pourra jamais se construire en Ukraine.

Dans ce contexte, le soutien public récemment apporté par la présidente de la Commission européenne à l’hypothèse du tribunal spécial réclamé par l’Ukraine ne peut manquer d’interroger. Madame la secrétaire d’État, le Conseil européen ne serait-il pas plus légitime pour s’engager au nom de l’Union européenne sur cette question juridiquement complexe et politiquement sensible ?

J’en viens à la crise énergétique. Ce sujet, en lien avec le précédent, s’imposera au Conseil européen lors de sa prochaine réunion.

L’objectif à court terme est double : il s’agit à la fois de cesser d’alimenter la Russie par nos achats d’énergie et d’amortir le choc économique et social que provoque la hausse des prix de l’électricité, plus globalement l’inflation.

Le sujet reste préoccupant malgré l’accalmie apparente que l’on doit aux températures clémentes, à l’approvisionnement soutenu en gaz naturel liquéfié (GNL) et à la quasi-saturation des capacités européennes de stockage.

Sur le long terme, l’Europe a besoin d’une énergie abondante, bon marché et décarbonée. La commission des affaires européennes travaille avec la commission des affaires économiques sur les réformes envisageables du marché de l’électricité européen pour y parvenir.

À cet égard, l’impulsion donnée par le Conseil européen des 20 et 21 octobre dernier reste inaboutie. Même s’ils s’accordent pour réduire la consommation d’électricité et taxer les superprofits, les États membres restent divisés sur les décisions structurantes que la crise exige de prendre et ils continuent d’avancer en ordre dispersé, avec le risque d’effets pervers et d’une distorsion de concurrence importante entre eux.

Nos industries ne peuvent pâtir plus longtemps des initiatives prises par d’autres États membres, qu’il s’agisse du mécanisme ibérique ou des aides d’État dont bénéficient leurs concurrents allemands. Madame la secrétaire d’État, dans quelle mesure le mécanisme temporaire de correction des prix du gaz que propose la Commission européenne peut-il sauver la compétitivité de nos entreprises ? C’est un point que vous avez abordé tout à l’heure, mais nous attendons de vous des réponses plus précises encore.

C’est le même souci qui m’amène à évoquer l ’ Inflation Reduction Act, cet arsenal législatif très puissant dont les États-Unis se sont dotés pour stimuler leur économie au prétexte de la transition verte.

Lors de sa récente visite aux États-Unis, le Président de la République n’a pu que déplorer le déséquilibre concurrentiel qui en résulte pour notre côté de l’Atlantique. Il est urgent que l’Union européenne réagisse et s’engage, elle aussi, à privilégier les achats européens. Le commissaire européen français Thierry Breton appelle à la création d’un fonds de souveraineté européen pour soutenir les projets industriels. Ce projet sera-t-il évoqué lors du Conseil européen ?

La question des relations transatlantiques figure bien à l’ordre du jour de ses travaux, mais nous savons aussi que certaines personnes outre-Rhin jugent le moment propice pour relancer les négociations d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard ?

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début de l’année, la question de l’Ukraine occupe naturellement une grande partie de l’ordre du jour des Conseils européens qui se succèdent.

Nous aurions aimé qu’il en soit autrement. Hélas, la poursuite de l’agression russe, intensifiée par des frappes massives sur les infrastructures ukrainiennes, repousse chaque jour l’espoir d’un retour rapide à la paix. Cette situation dramatique aux portes de l’Europe nous conduit à rester encore au chevet de l’Ukraine.

La lassitude ne doit pas l’emporter sur notre engagement en faveur de la liberté de nos amis ukrainiens, d’autant qu’il s’agit aussi de protéger la nôtre. À plusieurs reprises, jusque sur les bancs de l’Organisation des Nations unies (ONU) au mois de septembre dernier, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Vladimir Poutine a clairement déclaré la guerre aux valeurs démocratiques défendues par l’Occident.

Alors oui, quel que soit le coût de cet engagement, le groupe du RDSE soutient toutes les initiatives menées, d’un côté, pour sanctionner la Russie, de l’autre, pour apporter des solutions militaires et humanitaires à Kiev.

Nous approuvons, en effet, la mobilisation des différents leviers utilisés jusque-là pour aider l’Ukraine, qu’il s’agisse de l’assistance macrofinancière exceptionnelle de 9 milliards d’euros actée par le Conseil du 20 septembre dernier, de l’aide d’urgence humanitaire ou de la facilité européenne pour la paix.

En tant que présidente du groupe d’amitié France-Moldavie, je me réjouis également de l’attention particulière portée à ce pays et à certains de ses voisins. Le chef de l’État l’a rappelé il y a deux semaines aux côtés de la Première ministre moldave, « lutter pour la Moldavie […], c’est participer à l’effort de guerre que nous conduisons aux côtés de l’Ukraine ».

Nous savons bien que la déroute des troupes russes en Ukraine retarde pour le moment les projets à peine voilés de Moscou en Transnistrie. La communauté internationale doit donc demeurer vigilante.

S’agissant du soutien à Chisinau, entre les dons, les prêts et les projets financiers, avez-vous, madame la secrétaire d’État, une évaluation du montant cumulé des aides à la Moldavie ?

En ce qui concerne les sanctions contre Moscou, il faut espérer que la dernière mesure – celle de l’embargo sur le pétrole brut russe –, entrée en vigueur hier, remplisse son objectif de tarissement du financement de la guerre. En revanche, il est certain que le dispositif de plafonnement du prix du baril pour ceux qui continueront à importer du pétrole russe constitue une brèche. On peut le regretter, mais il est important de ne pas déstabiliser le marché mondial plus qu’il ne l’est déjà. Il s’agit aussi de ne pas alourdir outre mesure le choc énergétique, qui fragilise déjà beaucoup les économies européennes.

À cet égard, quel accueil la France réservera-t-elle au projet de compromis relatif au « mécanisme de correction du marché » des prix du gaz, récemment avancé par la présidence tchèque ? Il existe une ligne de fracture au sein de l’Union européenne qu’il faudra bien finir par aplanir si l’on veut avancer. Les conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre dernier invitent à présenter un nouvel indice de référence reflétant plus exactement les conditions du marché du marché du gaz. Il est urgent de le mettre en œuvre en 2023, car le temps presse face à une inflation qui relativise les efforts des différents États en matière d’action publique.

Qu’il concerne les ménages, les collectivités locales ou les entreprises, le bouclier tarifaire de l’électricité et du gaz est un outil opportun. Dans cette période où il nous est demandé de faire preuve de résilience, il est fondamental de protéger les plus vulnérables de l’inflation. Néanmoins, jusqu’à quand nos finances publiques permettront-elles de tenir ce cap ? En outre, un véritable chapitre social cohérent reste à ouvrir en Europe…

Si la guerre en Ukraine a précipité le défi énergétique, il apparaît clairement que la sobriété risque de durer, compte tenu de l’accélération attestée du réchauffement climatique. Dans ces conditions, nous attendons une réponse globale et stratégique de long terme. Porter à 40 % l’objectif de l’Union européenne d’énergie produite à partir de sources renouvelables d’ici à 2030, soit 8 points de plus que la cible en vigueur, est une nécessité. J’espère que les trilogues aboutiront à un compromis acceptable pour notre pays qui – disons-le – accuse un retard en matière d’énergies renouvelables.

Face à cette crise et à la récession qu’elle entraîne, l’Union européenne, sans renier les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), doit par ailleurs s’affirmer face à certaines initiatives de ses partenaires peu respectueuses des règles du jeu.

Je pense à l’Inflation Reduction Act (IRA) du président Joe Biden. Ce plan de 420 milliards de dollars, qui contient une part de subventions et de réductions d’impôts, est-il de nature à créer un exode massif de nos industries outre-Atlantique, comme on l’entend ? Quel est le résultat du Conseil du commerce et des technologies Union européenne-États-Unis et sur ce sujet ?

Mon groupe n’est pas partisan d’alimenter un conflit commercial ou d’appeler au protectionnisme en représailles. Cependant, nous attendons de savoir quelles réponses systémiques entend mettre en œuvre Bruxelles pour protéger les entreprises européennes. A minima, il serait souhaitable, d’une part, d’encourager la délivrance des agréments pour les projets d’intérêt européen, d’autre part, de revoir le cadre des appels d’offres publics.

Mes chers collègues, sans transition, je terminerai mon intervention par la question de l’Europe de la santé, un peu reléguée à l’arrière-plan alors que l’épidémie de covid-19 n’a pas disparu. Madame la secrétaire d’État, où en sommes-nous du paquet de mesures pour l’Union européenne de la santé ?

La Commission européenne devrait notamment remettre en début d’année sa proposition de législation générale européenne concernant les médicaments. Mon groupe sera particulièrement attentif aux problématiques d’accès aux médicaments, ainsi qu’aux leviers pour une industrie pharmaceutique innovante et leader en Europe.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Claude Kern applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2022 aura marqué le retour de la guerre sur le continent européen, une guerre totale qui vise autant l’armée ukrainienne que les populations. Pour l’instant, les desseins du président russe d’annexer l’Ukraine, d’y installer son pouvoir, de diviser et d’affaiblir les Européens ont été mis en échec.

Cet événement géopolitique majeur a forcé l’Europe à réagir avec fermeté et unité. La mise en œuvre du Fonds européen de la défense, l’adoption de la boussole stratégique européenne, la volonté d’accroître l’effort de défense et de mutualiser les achats militaires vont indéniablement dans le bon sens.

Malgré les mesures prises et l’unité affichée des Européens, nous sommes en réalité encore bien fragiles face aux soubresauts du monde, à l’affirmation de puissances désinhibées et à la dégradation du système multilatéral.

Les sanctions européennes n’ont pour l’instant pas permis d’affaiblir le pouvoir et l’économie russes autant que nous l’aurions espéré. Depuis plusieurs mois, les ventes d’hydrocarbures russes à la Chine sont en hausse et permettent en partie de pallier la défection des Occidentaux. Une Russie très affaiblie, voire exsangue, et dépendante de la Chine ne me semble pas, à terme, une bonne perspective pour la sécurité de l’Europe. Pourtant, ces sanctions sont nécessaires.

Le bannissement des productions pétrolières et gazières russes conduit à une crise énergétique déstabilisante. Elle a mis en lumière la dépendance et la légèreté de certains États membres en matière d’approvisionnement. Par ricochet, la filière nucléaire revient en grâce, mais après avoir été durablement affaiblie et dénigrée. Nous risquons ainsi des coupures de courant durant cet hiver.

Factuellement, la recherche de solutions de remplacement ne conduira-t-elle pas à de nouvelles dépendances, qu’il s’agisse du gaz de schiste américain ou de la production du Golfe et de la Caspienne, avec les conséquences politiques qui en découlent ? Le projet REPowerEU sera-t-il adapté et constitue-t-il vraiment une opportunité pour la France ?

Ces évolutions en matière de sécurité, d’énergie, de souveraineté seront-elles pérennes ? Avec le temps, ne risque-t-on pas d’en revenir au business as usal, au détriment d’une vision stratégique globale ?

Enfin, cet intérêt nouveau des Européens pour la défense profite surtout à la résurrection de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et se manifeste largement par l’achat d’équipements militaires structurants américains. La base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne doit être privilégiée, les coopérations recherchées chaque fois que cela est possible, sans s’interdire des développements strictement nationaux lorsque des coopérations se révèlent préjudiciables à nos intérêts.

Parmi les autres points d’inquiétude, je rappelle les mesures protectionnistes américaines, dont les plus récentes, l’Inflation Reduction Act, prévoient près de 400 milliards de dollars d’aides à la relocalisation sur le sol américain d’industries d’avenir. Je partage les propos du président de la commission des affaires européennes du sénat et ceux de Véronique Guillotin : il y a là une menace directe pour l’Europe.

Le commissaire Thierry Breton appelle à la création d’un fonds de souveraineté européen. Qu’en est-il réellement, madame la secrétaire d’État ?

Concernant la Chine, une prise de conscience commence à émerger à l’échelon européen à propos du déséquilibre des échanges, du non-respect de la propriété intellectuelle, des différences de normes sociales et environnementales ou de ses visées géopolitiques. Pour autant, des projets de cession d’infrastructures européennes à des entreprises chinoises demeurent. N’avons-nous pas retenu la leçon du Pirée ? Nos voisins britanniques viennent d’évincer un actionnaire chinois de leur principal fabricant de semi-conducteurs et d’interdire l’installation de caméras produites en Chine pour la vidéosurveillance des sites sensibles.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Par ailleurs, où en est le projet Global Gateway qui se voulait une alternative vertueuse à la Belt and Road Initiative (BRI) chinoise ? N’est-il pas trop contraignant face à une offre chinoise qui s’adapte aux réalités locales ?

Sur les côtes de la Manche, la pression migratoire s’est fortement accentuée en 2022. Les Britanniques vont augmenter leurs versements à la France pour enrayer les traversées, mais leur économie, de fait, continue d’absorber ces flux de migrants illégaux. L’effet d’attraction demeure.

On fustige certes l’attitude du gouvernement italien dans l’affaire de l’Ocean Viking, mais c’est précisément la question migratoire non résolue, laissant parfois l’Italie bien seule, qui est l’une des causes majeures de l’arrivée au pouvoir de cette majorité populiste. Cela pourrait bien se produire ailleurs si des mesures plus fermes ne sont pas prises…

Enfin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’appelle votre attention sur la situation en Birmanie. Dans ce pays, qui peut sembler loin de l’Europe, la junte a prévu demain l’exécution de onze jeunes étudiants : c’est inacceptable ! Où sont les protestations françaises et européennes ? Le prochain Conseil européen devrait, me semble-t-il, aussi prendre position sur ce sujet.

Telles sont, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais partager avec vous avant ce Conseil européen.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la lumière du contexte international, de la guerre en Ukraine, mais également de l’urgence climatique, le prochain Conseil européen devra nous permettre de proposer des solutions pour faire baisser le prix de l’énergie. Il sera l’occasion d’évoquer la défense et la sécurité européenne, mais également de renforcer nos relations avec nos voisins des Balkans.

Néanmoins, c’est bien la question énergétique qui nous préoccupe aujourd’hui en premier lieu. L’Europe, qui dépendait jusqu’alors des hydrocarbures russes, se trouve aujourd’hui dans une situation difficile, ce qui annonce un hiver particulièrement complexe. Il nous faut trouver une réponse collectivement.

J’insiste sur l’adverbe « collectivement », car si l’on prend l’exemple du prix de l’électricité et de sa connexion à celui du gaz, on s’aperçoit qu’il n’est pas aisé de trouver une solution susceptible de satisfaire tous les États membres au vu de la diversité des degrés de dépendance aux énergies fossiles de chacun. Les actions solitaires, qui pourraient à terme déstabiliser l’Union européenne, sont à écarter.

C’est bien sur le volet énergétique que nos désaccords sont les plus profonds, à l’image du rendez-vous manqué entre les ministres européens de l’énergie réunis voilà dix jours pour convenir d’un plafonnement du prix du gaz. Madame la secrétaire d’État, quels sont vos lignes rouges et vos espoirs pour faire avancer ce dossier la semaine prochaine ?

L’urgence est également d’actualité en termes de défense. Vous annonciez récemment, madame la secrétaire d’État, que les relations franco-allemandes entraient dans une nouvelle phase. Force est de constater que les coopérations restent longues et parfois difficiles.

J’en profite pour vous interroger tout particulièrement sur le projet de système de combat aérien du futur (Scaf) lancé déjà depuis 2017 et qui peine à avancer. Comme chacun le sait, les négociations ont pris un sérieux retard. Or cette situation dessert de plus en plus la préparation de nos armées à la guerre aérienne du futur. Je me réjouis, cependant, de constater que nos deux pays avancent sur le sujet et que Dassault et Airbus poursuivent leur collaboration.

À ce titre, pouvez-vous nous en dire davantage sur les avancées concrètes à la suite de l’accord européen sur le démarrage de la phase 1B d’étude du démonstrateur, annoncé par le gouvernement allemand le 18 novembre dernier ?

Notre stratégie en termes de défense implique une industrie d’armements militaires forte et l’achat de produits européens. Nous ne pouvons que déplorer les commandes de F-35 américains passées par les Allemands.

Lors de la rencontre de notre Première ministre avec le Chancelier allemand, qu’est-il ressorti des discussions sur le volet défense ? Il était aussi question d’un Buy European Act, quelles évolutions en attendons-nous ?

Au-delà de ces questionnements, notre position européenne sur le conflit en Ukraine est claire. Je tiens notamment à saluer le vote de la proposition de résolution sur la reconnaissance de la Fédération de Russie en tant qu’État soutenant le terrorisme. Cette résolution condamne bien sûr la Russie de Poutine et réaffirme notre soutien aux Ukrainiens. Je le rappelle, ce soutien prend diverses formes et nous honore. Nous devons poursuivre sans relâche nos efforts.

La résolution établit plusieurs demandes en direction de la Commission européenne et des États membres. L’une d’entre elles concerne la création d’un mécanisme mondial de sanctions contre la corruption. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?

J’en viens à nos relations avec les pays des Balkans. Le sommet qui s’est tenu aujourd’hui à Tirana est l’occasion pour les Européens de réaffirmer leur engagement dans la région, de reconfirmer les avancées progressives d’adhésion des Balkans occidentaux et d’appeler à l’accélération des négociations. Au mois d’octobre dernier, la Commission européenne a notamment recommandé d’octroyer le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine ; cette décision reviendra au Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain.

Le lien avec les Balkans occidentaux est d’autant plus nécessaire en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Cette guerre aux portes de l’Europe nous oblige à renforcer rapidement nos décisions à vingt-sept. Nous ne pouvons pas reporter indéfiniment nos choix communs.

Différents dossiers restent dans l’impasse, particulièrement le découplage des prix de l’électricité et du gaz. Le Conseil européen doit réussir à trouver un chemin pour répondre à notre défi énergétique. C’est décisif. Soyez assurée de notre soutien, madame la secrétaire d’État.

Enfin, il faudra selon moi aller au-delà d’une simple réponse structurelle basée sur le marché de l’énergie. Cette crise doit nous amener plus loin : nous devons revoir nos modes de vie et de consommation. Il ne s’agit pas d’en revenir à la bougie ou à la lampe à huile, comme le réclament certains prédicateurs, ni de tomber dans la radicalité, mais nous devons nous adapter grâce à l’innovation et à l’intelligence collective.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Fernique

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la guerre d’invasion russe a amené l’Europe à faire preuve d’une détermination commune sans précédent pour soutenir l’Ukraine.

Il s’agit en effet d’une attaque contre nous tous, contre nos valeurs communes et contre les chances du multilatéralisme pour changer la donne planétaire. C’est aussi, d’une certaine façon, le défi du climat qui se joue un peu aujourd’hui en Ukraine.

Face à une situation inédite, des décisions impossibles à envisager il y a encore quelques mois ont été prises en quelques semaines, renforçant une évidence : ce n’est qu’ensemble que les États membres de l’Union européenne auront un poids suffisant.

Face à la crise énergétique, les États membres n’ont pas tous la même capacité à gérer équitablement les prix et la demande ni à fournir un soutien essentiel à ceux qui en ont besoin. La solidarité européenne est donc primordiale. Ce Conseil européen doit permettre d’avancer vers une réponse commune pour faire face aux enjeux des coûts et des approvisionnements énergétiques, une réponse commune qui soit aboutie, crédible et pertinente, pour reprendre vos termes, madame la secrétaire d’État, ainsi que ceux du président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin.

Cette réponse aboutie sera cohérente par rapport à nos objectifs climatiques si elle contribue à réduire notre dépendance à l’égard des importations d’énergies fossiles et des combustibles fossiles en général, en particulier en provenance des régimes autoritaires. La stratégie à court terme visant à favoriser de nouveaux investissements dans des pays tiers comme l’Azerbaïdjan ne va pas, selon moi, dans ce sens…

Face à la réponse des États-Unis à la crise, avec leur politique du bas prix de l’énergie et les centaines de milliards de dollars de l’Inflation Reduction Act résolument orientés vers la transition écologique et la décarbonation industrielle, notre Green Deal européen risque fort de faire pâle figure. La compétitivité de nos économies se joue dans ce défi.

La fragmentation de nos économies européennes constitue un péril imminent. Oui, un nouvel élan européen est nécessaire. Il convient donc, même si ce n’est pas facile, de trouver les voies d’un accord en faveur d’un plan massif d’amplification industrielle du Green Deal, avec des investissements à la hauteur, notamment grâce à la constitution d’un fonds de souveraineté supposant un emprunt commun nouveau.

Ce nouvel élan européen nécessite de hâter la mise en place concrète de l’ajustement carbone aux frontières : c’est ce protectionnisme vert européen – ce juste échange, si l’on préfère – qui équilibrera notamment la relation avec la politique américaine. Ce protectionnisme vert, c’est aussi la volonté de protéger nos économies en transition de ses concurrents qui méprisent l’environnement, le climat, ainsi que les droits sociaux et humains.

Le Conseil de l’Union européenne a adopté jeudi dernier sa position concernant la directive sur le devoir de vigilance. Sur ce point, on ne peut pas dire que le gouvernement français ait joué un rôle positif, puisque le secteur financier est de facto dégagé de toute responsabilité. Oui, le gouvernement français, champion du devoir de vigilance dans ses discours, a affaibli l’ambition du projet de directive européenne la semaine passée, entraînant avec lui l’Espagne et l’Italie. Pour rappel, les banques françaises ont investi plus de 743 millions d’euros dans la déforestation du Brésil. On ne peut pas ainsi les exempter de toute responsabilité, alors qu’a été votée la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre !

Dans le détail, votre gouvernement a poussé le Conseil de l’Union européenne à adopter une version moins ambitieuse du texte, puisque les mesures d’évaluation et de prévention des risques auxquelles seront soumises les entreprises ne seront que facultatives pour les banques. Or sans obligation, pas d’action. Les banques pourront donc continuer leur soutien, comme BNP Paribas qui est le premier financeur des projets d’énergies fossiles en Europe.

Pourtant, la France était le premier pays en 2017 à avoir inscrit dans son droit le devoir de vigilance. Qu’est devenu notre rôle de leader européen pour défendre des ambitions élevées en matière de défense des droits humains et de l’environnement ? Force est de constater que les lobbies ont du talent et que les intérêts sont ailleurs…

Le texte adopté par le Conseil de l’Union européenne est décevant. Il exclut la possibilité pour des victimes d’agir en justice afin d’être indemnisées lorsqu’une entreprise a manqué à ses obligations environnementales. Le climat a également été exclu du texte final, tandis que les dommages environnementaux, en général, devront être identifiés, mais sans engager aucune responsabilité. Aurons-nous une « loi d’apparence », pour reprendre les mots de Dominique Potier, le père de cette loi pionnière française ?

Heureusement, le Parlement européen n’a peut-être pas dit son dernier mot. Espérons qu’il pourra peser dans la négociation, comme il l’a fait pour l’accord historique intervenu la nuit dernière, qui vise à protéger les forêts du monde et à garantir aux Européens que les produits qu’ils mettent dans leurs paniers de course ne participent pas à la déforestation.

En imposant aux entreprises un devoir de vigilance en matière de déforestation liée à leurs activités, c’est sur 16 % de la déforestation mondiale dont l’Europe est responsable que nous agirons. Des ambitions élevées ont été maintenues en incluant le caoutchouc, le charbon et les dérivés de l’huile de palme. Certes, le secteur financier a réussi son lobbying pour être exclu dans un premier temps du règlement, mais nous y reviendrons dans deux ans.

C’est une ambition politique de même ordre qui devrait animer le Conseil pour que le Fonds social pour le climat permette d’éviter la casse sociale liée à la nécessaire mise en place de la transition écologique. L’abandon pur et simple de l’extension du marché carbone à la route et au bâtiment serait désastreux de ce point de vue. Oui, il faut éviter de taxer les ménages, mais les usages commerciaux peuvent et doivent être imposés. Le dernier trilogue n’a permis aucune avancée sur ce point. Nous comptons sur une action résolue pour y parvenir.

Sortir de la dépendance aux énergies fossiles, aboutir rapidement à une politique d’approvisionnement et de maîtrise des coûts partagée, défendre le Green Deal au niveau qui s’impose, ne renoncer ni au volet relatif à la vigilance des entreprises ni au Fonds social pour le climat, telles sont nos ambitions pour ce nécessaire nouvel élan européen !

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Claude Kern et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors du précédent débat préalable en octobre dernier, j’avais déjà eu l’occasion de souligner que jamais l’ordre du jour d’un Conseil européen n’avait autant porté sur des thématiques internationales et géostratégiques.

Dans mon enthousiasme d’Européen convaincu, j’y lisais les prémices d’un possible réveil géopolitique de l’Union. Il ne saurait, en effet, y avoir d’Union européenne solide et pérenne sans un tel réveil.

Je le répète, quitte parfois à lasser, jamais au cours de l’histoire un regroupement volontaire d’États démocratiques ne s’est constitué autrement qu’à la suite d’une confrontation politique et militaire majeure, qu’il s’agisse d’une guerre d’indépendance, d’une guerre civile, d’une guerre de libération ou d’un conflit d’ampleur avec une puissance extérieure agressive.

L’Union européenne serait-elle, en la matière, une divine exception ? On l’oublie parfois, mais ce sont pourtant bien ces préoccupations géopolitiques qui ont été au cœur des premiers pas de la construction européenne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

La création du Conseil de l’Europe en 1949, puis celle de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) en 1951 – premier marché européen des matières premières stratégiques –, même limités dans leur périmètre, l’illustrent bien. Mais, patatras ! voilà que nous assistons en 1954 à l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) et au repli contraint des pères de l’Europe vers une dimension plus strictement économique de la construction européenne.

L’infâme agression russe contre l’Ukraine et ses multiples conséquences remettent aujourd’hui cet enjeu géopolitique au centre du village Europe. En témoigne l’ordre du jour prévisionnel du Conseil des 15 et 16 décembre prochain, avec cette fois pas moins de six points ayant tous une portée géopolitique et géostratégique indéniable !

Poser les bonnes questions, c’est, dit-on, déjà commencer d’y répondre. Et, il faut le reconnaître, depuis février dernier, jamais l’Union n’aura autant avancé, en matière d’Europe de la défense, d’union des marchés de l’énergie et de lutte contre les ingérences étrangères. Sans vouloir jouer les rabat-joie, je rappelle cependant que le verre à moitié rempli n’augure pas nécessairement du fait qu’il sera plein un jour.

Dans ce type de débat, il est fréquent de citer – sans l’avoir lu – Jean Monnet, qui écrivait que « l’Europe se fer[ait] dans les crises et qu’elle ser[ait] la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises ».

C’est vrai. Mais on oublie en général de rappeler que toutes les crises traversées par l’Europe n’ont pas systématiquement fait l’objet d’une réponse adéquate. Par ailleurs, l’essentiel des crises affrontées par l’Union européenne depuis les années 1960 était de nature économique et financière, et les réponses apportées venaient, de fait, renforcer encore la nature essentiellement économique et commerciale de l’Union.

Jusqu’à présent, les moments géopolitiques cruciaux n’ont que rarement fait l’objet de réponses européennes à la hauteur des enjeux.

À la suite de la chute du mur de Berlin, puis de l’effondrement de l’URSS, l’Union a certes réagi, en acceptant la réunification de l’Allemagne et en procédant à un vaste élargissement incluant les pays libérés du joug soviétique. Mais nous avons renoncé à nous doter d’une gouvernance politique renforcée et surtout d’un système de défense propre à l’Europe qui aurait véritablement consolidé notre réponse.

Je m’agace aussi quand j’entends dire que l’actuelle guerre en Ukraine marquerait le retour de la guerre sur le territoire européen après soixante-dix années de paix. C’est faire, en effet, peu de cas de la succession de conflits sanglants qui se déroulèrent dans les Balkans occidentaux entre 1991 et 2001 et qui causèrent la mort de plus de 140 000 personnes.

Il faut dire que la réponse de l’Union, à l’époque, n’avait guère été à la hauteur, et que ce sont les États-Unis et l’Otan qui furent les maîtres d’ouvrage des engagements militaires visant à mettre fin à ce conflit.

Alors oui, dans la guerre en cours, les pays européens ont franchi un pas très significatif, mais qui reste d’importance bien inférieure à celui qui a été effectué par les États-Unis dans ce conflit. Je me demande parfois si notre engagement eût été le même si Washington n’avait pas fait le choix qui est le sien depuis plus de neuf mois.

Pour reprendre les propos de Jean Monnet, c’est la somme des réponses que nous apporterons aux crises géopolitiques qui nous frappent qui permettra de dire si l’Union est véritablement en train de franchir une étape décisive ou si, au contraire, une fois le conflit passé, nous nous laisserons glisser de nouveau vers le b usiness as usual.

Pour ne pas céder à une indifférence qui confinerait à la lâcheté, nous devons garder sans cesse à l’esprit le courage et la détermination des Ukrainiens, qui nous rappellent tous les jours que « la liberté n’est pas une option, [que] c’est un combat ».

À ceux qui, aujourd’hui, jouent Pékin en pensant que Xi Jinping pourrait convaincre Vladimir Poutine d’arrêter sa guerre sanglante contre les Ukrainiens, je dis qu’ils connaissent très mal les actuels dirigeants de la Chine et de la Russie.

Si, à force d’exactions et de crimes de guerre commis par la Russie, les Européens se positionnent enfin clairement par rapport à Vladimir Poutine, il est loin d’en être de même vis-à-vis de Xi Jinping et de son pouvoir ultra-autoritaire et de plus en plus ouvertement expansionniste.

Lors de la dernière réunion du Conseil européen, nos chefs d’État et de gouvernement se sont bien posé la question de l’évolution de leur positionnement face à la nouvelle équation chinoise. Mais, là encore, nous sentons une véritable frilosité à mettre clairement des mots sur les choses, puisque ce débat a eu lieu dans le cadre d’un point sobrement intitulé « Relations internationales » de l’ordre du jour du précédent Conseil.

Bis repetita pour le Conseil à venir, qui n’a pas prévu de point référant explicitement à la Chine ! Pourtant, on ne voit guère comment ce Conseil, qui se tiendra au lendemain d’un sommet Union européenne-Asean, à Bruxelles, et surtout quelques jours après des soulèvements inédits contre la folle politique « zéro covid » des autorités chinoises, pourrait ne pas aborder le sujet.

C’est en osant enfin nommer les choses par leur nom que notre Union pourra véritablement affirmer son virage géopolitique ; un virage aujourd’hui indispensable à son existence pleine et entière, voire à sa survie, dans un monde où la brutalisation des relations internationales est non plus une menace, mais bel et bien une réalité.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et UC.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain vient clore une année qui aura profondément bouleversé l’Europe. Confrontée à la guerre à ses portes, l’Union a su réagir et se montrer unie comme jamais, mais elle a aussi vu ses faiblesses mises à nu.

Elle a tout d’abord été solidaire avec l’Ukraine sur le plan financier, avec le déblocage de 18 milliards d’euros, comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État.

Elle a été solidaire également sur le plan militaire, avec les 3 milliards d’euros que représente l’instrument Facilité européenne pour la paix, sous forme de livraisons massives d’armes, lesquelles, ajoutées au courage des Ukrainiens, ont permis dans un premier temps de résister à l’offensive russe, puis de contre-attaquer avec succès.

La solidarité a par ailleurs été humanitaire, avec la mise en œuvre pour la première fois de la protection temporaire, qui vient d’être prolongée jusqu’en mars 2024 et a permis l’accueil de plusieurs millions de réfugiés, dont 100 000 en France.

Enfin, l’Union a fait preuve de solidarité pour sanctionner la Russie, même s’il aura fallu discuter et si l’on pouvait vraisemblablement aller plus loin.

Tout cela est à saluer, et l’Europe doit rester unie et déterminée dans son soutien à l’Ukraine et la condamnation sans concession de l’agresseur qu’est la Russie.

Permettez-moi à cet instant, madame la secrétaire d’État, de vous dire mon étonnement d’avoir entendu le Président de la République aborder la nécessité de donner à M. Poutine « des garanties de sécurité », alors que lui n’adresse aucun signe de désescalade, bien au contraire, en transformant l’hiver en arme de guerre contre les civils et en détruisant impitoyablement les infrastructures énergétiques du pays. À nos yeux, ce n’est pas à nous de tendre la main ni le moment de le faire.

Si l’Union a su réagir, la guerre marque cependant un avant et un après pour l’Europe. Nos certitudes s’évanouissent.

L’Union européenne n’est plus protégée. Elle ne peut se défendre seule et délègue sa sécurité au parapluie militaire américain. Sa prospérité, fondée sur la pérennité de la paix, est ébranlée, comme son économie, qui reposait jusqu’à présent sur une énergie bon marché.

L’inflation s’installe, la récession menace, la crise énergétique frappe les ménages et fragilise notre tissu industriel. Notre démocratie elle-même vacille sous la désinformation, les ingérences étrangères et la montée des populismes, comme nous l’avons amèrement constaté en Suède et en Italie.

L’Europe doit faire front, conforter son unité et ne pas céder à la fragmentation. Nous devons assumer nos responsabilités, reconstruire nos souverainetés et réduire nos dépendances. Cela commence par un premier point d’urgence : les réponses à la crise énergétique.

Les divergences entre États nous font perdre un temps précieux. Si un accord a pu être trouvé sur le pétrole russe, il faut aller plus loin et conclure un autre accord sur l’achat de gaz en commun, créer un fonds européen de soutien aux ménages et aux entreprises, enfin découpler le prix de l’électricité et celui du gaz.

C’est une priorité absolue, et nous espérons que le récent rapprochement des points de vue entre la France et l’Allemagne pour une réforme structurelle du marché de l’électricité permettra d’aboutir très rapidement et évitera la menace de délocalisations de nos industries.

Ensuite, viendra le temps de bâtir notre indépendance énergétique en investissant massivement dans les énergies renouvelables, en évitant qu’une nouvelle dépendance au gaz de schiste américain, dont le prix est élevé, ou à l’Azerbaïdjan ne succède à celle que nous avions avec la Russie.

Se posera aussi la question de la sécurité de nos approvisionnements en matières premières – l’uranium, par exemple, aujourd’hui importé de pays peu sûrs et dont les déchets sont recyclés en Russie, seul pays habilité à cet égard et en mesure de le faire.

Le deuxième point d’urgence est l’inflation. À un niveau de 11, 5 % en moyenne en Europe en octobre dernier, elle fait peser de réels risques de récession. À ce sujet, le relèvement des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne (BCE) fait émerger de nombreuses inquiétudes, notamment pour l’accès au crédit.

Cette situation pose la question de notre politique budgétaire, ainsi que celle de la reconduite éventuelle du pacte de stabilité. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous éclairer sur la position que la France défend ?

Pour éviter la récession, bâtir notre autonomie stratégique, relever les grands défis climatiques et industriels, l’Europe doit investir. Pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur la faisabilité de la levée d’un grand emprunt communautaire afin de financer ces investissements, alors que le ministre allemand des finances ne lui apporte manifestement pas son soutien ?

Cette guerre nous affaiblit, après un épisode sanitaire qui avait déjà souligné nos dépendances et dans un contexte de tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine.

Nous devons, à la fois, renforcer notre politique industrielle commune, continuer d’agir pour réduire nos dépendances, rester solidaires et porter nos valeurs dans le contexte international.

À cet égard, les récents déplacements d’Olaf Scholz, puis de Charles Michel, à Pékin, et celui du président Macron, aux États-Unis, semblent s’inscrire dans une volonté de porter la voix économique et commerciale de l’Union européenne face à deux puissances certes différentes, mais qui n’ont ni l’une ni l’autre d’états d’âme.

Les objectifs de l’Allemagne sont-ils bien compatibles avec ceux du reste de l’Union européenne ? L’état des relations franco-allemandes a suscité de nombreuses réactions ces dernières semaines. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les convergences et les divergences entre nos deux pays ? Prévoyez-vous un nouveau Conseil des ministres commun, après l’annulation de la première initiative ?

Le Président de la République, lors de sa visite d’État aux États-Unis, a pointé le danger que représenterait l’Inflation Reduction Act, avec ses 370 milliards de dollars de subventions et d’allégements fiscaux attribués aux entreprises américaines engagées dans la transition vers une économie décarbonée. Très bien. Mais ne soyons pas naïfs : les Américains ne nous épargneront pas. Nous devons bien évidemment négocier, mais aussi, parallèlement, nous protéger.

Aussi, madame la secrétaire d’État, à quand un Buy European Act, comme le demande le Parlement européen depuis de nombreuses années ?

Enfin, cette guerre aux portes de l’Europe nous interroge sur le positionnement géostratégique de l’Union européenne et ses relations de voisinage.

La question de l’élargissement est ainsi revenue sur le devant de la scène. Il est temps de mettre en œuvre une méthodologie clarifiée et harmonisée pour accélérer les négociations, répondre à l’envie d’Europe des peuples des Balkans occidentaux, de l’Ukraine et de la Moldavie et freiner l’influence croissante des puissances étrangères qui déstabilisent ces pays.

Le sommet UE-Balkans occidentaux, qui a lieu aujourd’hui, et le soutien d’un milliard d’euros pour faire face à la crise énergétique sont les bienvenus, mais il faut donner des gages supplémentaires à ces pays, tout en conservant un haut niveau d’exigence à l’égard des règles européennes.

Pour conclure, après six mois de présidence française et six mois de présidence tchèque, cette année 2022 aura permis certaines avancées, notamment sur la solidarité des Vingt-Sept à l’égard de l’Ukraine. Mais de nombreuses questions restent en suspens. Il est temps de passer de la parole aux actes, pour construire une Europe plus puissante, plus résiliente et plus ambitieuse. La France doit jouer un rôle moteur dans cette transformation.

Madame la secrétaire d’État, nous souhaitons que le Président de la République et vous-même fassiez preuve de diplomatie, de conviction et de fermeté lors de ce Conseil européen, pour engager enfin des avancées sur les nombreux sujets évoqués aujourd’hui.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir à la veille d’un Conseil européen qui se tient dans un contexte d’aggravation certaine, en 2023, de la crise énergétique et économique au sein de l’Union.

Alors que toute une partie de la zone euro risque d’entrer en récession en 2023, selon les estimations de la Commission européenne, les gouvernements de la zone euro ont jusqu’à présent consacré collectivement environ 1, 25 % du PIB intrazone au soutien à l’énergie pour cette année, ce qui représente environ 200 milliards d’euros.

En France, nous faisons face à des prix qui ont dépassé 1 000 euros le mégawattheure cet été et qui sont aujourd’hui aux alentours de 500 à 600 euros le mégawattheure, soit une multiplication comprise entre dix et vingt par rapport aux prix d’avant la crise sanitaire.

Si cette hausse a été exacerbée par la crise ukrainienne, il est admis que ses prémices sont antérieures. Dès juillet 2021, les tarifs réglementés de l’électricité en France ont connu une envolée vertigineuse du fait d’un emballement des prix sur le marché de gros.

Les prix de gros du gaz ont augmenté de 150 % environ entre avril 2021 et la fin octobre 2021. Pour un client moyen, la facture de gaz est passée de 977 euros à 1 482 euros.

Par conséquent, le prix de l’électricité sur les marchés de gros, corrélé au prix du gaz, a été complètement détourné du coût de production, avec un triplement des prix en un an. L’électricité nucléaire française a connu alors une décorrélation de son coût de production et de sa valeur sur les marchés.

Il est vrai que, en 2022, l’augmentation du coût de production a été importante du fait de l’indisponibilité d’une partie de notre parc nucléaire. La sécheresse a aussi eu un impact sur les volumes de production hydroélectrique. Toutefois, nos coûts de production sont restés très inférieurs aux prix de marché.

Je prends soin de faire ce rappel, car la crise ukrainienne et le manque de capacités de production, en particulier en France, n’expliquent pas à eux seuls la spirale haussière. Se limiter à cette explication reviendrait à passer à côté des véritables enjeux : la crise énergétique est non pas conjoncturelle, mais structurelle ; elle tient à l’organisation même du marché de l’énergie, celui de l’électricité en particulier.

Il faut bien le constater, c’est la part mineure de l’énergie échangée sur le marché de gros qui nous entraîne dans cette spirale inflationniste, laquelle met aujourd’hui en danger les particuliers, les collectivités et les entreprises.

Cette fragilité du marché unique européen de l’énergie est largement documentée. La France répète depuis des mois à qui veut l’entendre qu’il faut sortir du mécanisme de la dernière centrale appelée, mais devant les refus catégoriques, notamment celui de l’Allemagne, on se borne pour le moment à constater les dégâts.

Le plafonnement de la rente des inframarginaux à 180 euros le mégawattheure, soit au minimum trois à quatre fois leur coût de production, continuerait de tirer les prix à la hausse en France en maintenant d’énormes profits pour ces producteurs, aux dépens des consommateurs et des contribuables.

Tout porte à croire que les mécanismes proposés, très complexes, n’ont pas été suffisamment étudiés, qu’ils sont aux mieux inefficaces, au pire contre-productifs, et qu’ils entraîneront de nombreux effets d’aubaine, comme ceux qui sont liés à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) ou, dernièrement, à la sortie de l’obligation d’achat.

La promotion des Power Purchase Agreements (PPA), ces contrats privés bilatéraux avec un droit de sous-tirage pour les acteurs privés, imaginés pour favoriser les investissements de long terme devant la faillite des effets spéculatifs du marché, revient à accepter de confier les moyens de production à de grands groupes privés français ou étrangers. Dans ces conditions, la décentralisation des moyens de production, mais aussi l’éclatement du réseau de distribution, porte en germe une potentielle remise en cause de la péréquation tarifaire et de l’égalité territoriale.

Les solutions consistant à se défaire de ce prix de marché, pourtant largement responsable de la crise, sont pour le moment éliminées d’office, au motif qu’elles sont contraires au dogme de la concurrence. Madame la secrétaire d’État, c’est bien pourtant la réforme en profondeur du marché européen de l’énergie que la France doit défendre ! Nous venons de déposer une proposition de résolution européenne à cet égard.

Cette réforme doit articuler des mesures immédiates : l’extension des tarifs régulés – nous la proposerons demain, dans notre espace réservé – pour les collectivités locales ; la négociation d’une dérogation permettant à la France de rapprocher les prix de nos coûts de production, compte tenu de la spécificité nucléaire de notre mix ; enfin, le plus rapidement possible, une exclusion de l’électricité des mécanismes concurrentiels, à commencer par une décorrélation du prix de l’électricité et du gaz.

C’est urgent, d’autant que les mécanismes de soutien censés compenser les folies du marché coûtent très cher. Le seul bouclier tarifaire, en France, est déjà estimé à près de 45 milliards d’euros !

Je voudrais, madame la secrétaire d’État, évoquer une seconde question : la proposition de directive sur le devoir de vigilance des grandes entreprises. Le Conseil vient d’approuver, le 1er décembre dernier, une position commune considérablement appauvrie, en raison notamment des pressions de la France.

Alors que seulement 16 % des entreprises européennes pratiquent volontairement une forme ou une autre de surveillance de l’ensemble de leur chaîne de valeur, afin de prévenir les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, le projet de directive européenne portait l’ambition de rendre ce devoir de vigilance obligatoire dans toute l’Union ; on parlait de « zéro abus »…

Le texte adopté a été largement affaibli : la notion de chaîne de valeur a été remplacée par celle de chaîne d’activité, qui n’est pas définie en droit, ce qui ne permet plus d’intégrer les filiales, les sous-traitants et les fournisseurs aux obligations du devoir de vigilance.

Le champ du devoir de vigilance n’inclut ni l’usage qui est fait des produits commercialisés par les entreprises, ni les activités des clients des entreprises de services, ni les exportations d’armes ou de matériels de surveillance. La référence au secteur financier dans la définition de la « chaîne d’activité » a été également amoindrie : la liste des services financiers soumis au devoir de vigilance sera laissée au choix des États membres.

Ainsi, comme le soulignent différentes ONG, « de nombreux services financiers seront exclus, comme les activités d’investissement ou les activités des partenaires commerciaux des entreprises bénéficiant du service financier, exemptant les banques de leurs obligations de vigilance concernant les activités des sous-traitants des entreprises qu’elles financent, alors que, dans le secteur textile ou pétrolier par exemple, l’essentiel des violations survient en lien avec la sous-traitance ».

Vous avez démenti par voie de communiqué, madame la secrétaire d’État, avoir milité pour la sortie des banques du champ de la directive. Dont acte. Mais comment, alors, en est-on arrivé là ? Que s’est-il passé ? Quelle a été, et quelle sera, la position française sur le devoir de vigilance ?

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est une étape cruciale dans les sanctions infligées à la Russie par l’Occident. Depuis hier, plus aucun navire ne peut décharger de pétrole russe dans les ports de l’Union européenne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Japon ou de l’Australie.

Au terme de difficiles négociations, notamment avec la Hongrie, pays de l’Union particulièrement enclavé et qui fait face à de grandes difficultés pour diversifier ses approvisionnements, un compromis a finalement été trouvé : seul le pétrole arrivant par bateau est concerné par l’embargo.

À cet embargo s’ajoute une nouvelle disposition, décidée vendredi dernier par l’Union européenne : les États membres se sont mis d’accord pour plafonner le prix du baril russe à 60 dollars. Ce plafond a été durci, avec l’ajout d’une disposition prévoyant de le maintenir 5 % en deçà du prix du marché du brut russe.

À ce stade, s’il faut nous féliciter de cette décision commune sur un sujet aussi stratégique, les pays de l’Union faisant face à des situations très disparates en matière d’approvisionnement énergétique et de possibilités de diversification, nous pouvons également nous interroger sur l’efficacité du dispositif, le baril russe se négociant aujourd’hui aux alentours de 65 dollars. Plusieurs pays ont d’ores et déjà fait part de leur déception.

J’en viens à une autre source d’énergie. La présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a suggéré aux États membres de procéder à des ajustements des conditions d’activation du plafonnement des prix du gaz, jeudi 1er décembre, dans un premier projet de compromis relatif au « mécanisme de correction du marché ».

Présentée le 22 novembre, la proposition législative de la Commission européenne prévoit la mise en place automatique d’un plafond sur le prix du gaz négocié sur le marché des instruments dérivés TTF (taxe sur les transactions financières), lorsque deux conditions sont réunies de manière simultanée : premièrement, le prix de règlement pour les instruments dérivés TTF dépasse 275 euros pendant deux semaines consécutives ; deuxièmement, l’indice TTF European Gas Spot Index (EGSI) est supérieur de 58 euros au prix de référence du GNL au cours des dix derniers jours précédant la fin de la période de deux semaines susmentionnée.

Alors que les États membres partisans d’un plafond ont jugé ces conditions bien trop exigeantes, la proposition de la Commission va trop loin pour les pays opposés à tout plafonnement, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Afin de trouver un compromis, Prague suggère d’abaisser de 275 euros à 264 euros la limite de prix au-delà de laquelle le plafond serait déclenché et de faire passer à cinq jours les deux périodes requises pour activer le mécanisme.

Le projet de compromis modifie également le champ d’application du mécanisme. Il ne serait ainsi plus limité aux dérivés TTF à un mois, mais concernerait également ceux dont l’échéance est comprise entre un et trois mois.

Enfin, Prague propose de supprimer l’obligation pour les États membres de notifier à la Commission européenne les mesures prises pour réduire la consommation de gaz et d’électricité en cas d’activation du mécanisme. Quelle sera la position de la France sur cette proposition ?

Alors que l’Union européenne entre dans l’hiver et que certains des pays membres font face à des températures inférieures à –10 degrés Celsius, les décisions doivent être prises rapidement.

À l’instar de la covid-19, la guerre en Ukraine est un accélérateur des tendances qui structurent l’Union européenne. Depuis des mois, la guerre est à nos portes et nous oblige à trouver des réponses adaptées. La démarche engagée par la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) lors du premier trimestre 2022 doit se poursuivre, afin de construire une Europe plus souveraine en matière d’énergie, mais aussi plus forte et capable d’agir en matière de sécurité et de défense.

À ce titre, nous nous félicitons de l’approbation par la Commission d’un investissement de près de 1, 2 milliard d’euros dans la recherche et le développement en matière de capacités de défense : 61 projets collaboratifs seront soutenus et bénéficieront de financements du Fonds européen de la défense. Ces projets sont nécessaires pour renforcer, à la fois, nos fondations industrielles et technologiques de défense et leur politique de sécurité et de défense commune.

Nous saluons également l’accord trouvé entre les industriels allemands et français sur la phase 1B de l’avion du futur, le Scaf (système de combat aérien du futur). C’est une excellente nouvelle pour la France, mais aussi pour l’Europe de la défense, qui a tout de même du mal à prendre son envol…

C’est une percée majeure pour l’industrie de défense de l’Union, qui se situe au cœur de la « souveraineté européenne » souhaitée par la France. Si les blocages de la première phase du projet sont levés, il faudra de nouveau négocier pour les phases suivantes du projet.

Nous appelons de nos vœux des négociations plus apaisées pour les prochaines phases.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est actuellement plongée dans une crise énergétique inédite.

La production des entreprises est menacée et freine la réalisation de l’objectif de réindustrialisation de l’Europe. Les collectivités sont au bord du gouffre, et avec elles les services publics fournis à nos concitoyens, qui eux-mêmes seront touchés tôt ou tard, puisqu’ils devront bien, un jour, payer le prix du bouclier tarifaire mis en place pour limiter en urgence l’impact de la hausse des prix.

La guerre en Ukraine, les tentatives de désorganisation du marché de l’énergie par la Russie et les sanctions prises par l’Union européenne contre le gaz russe ont mis en lumière les mauvaises décisions prises par notre pays en matière de nucléaire, ainsi que les lacunes du marché commun de l’énergie, en particulier pour ce qui concerne le calcul du prix de l’électricité.

En effet, alors que le prix du gaz s’est envolé du fait du contexte international, le coût de l’électricité atteint lui aussi, mécaniquement, des niveaux jamais vus par le passé, puisqu’il est calculé en fonction du coût de la dernière unité de production, qui est généralement une centrale thermique au gaz.

La politique des petits pas ne suffira pas pour remédier à cette situation. Traiter les conséquences de la crise énergétique sans accepter d’en voir les causes ne nous conduira qu’à une impasse et ne fera qu’aggraver l’état de nos finances publiques.

Le marché européen de l’électricité doit donc être réformé urgemment et en profondeur, en le décorrélant des prix du gaz, afin d’éviter que cette crise ne se poursuive ou ne se reproduise à l’avenir. Pourtant, la Commission européenne n’a toujours pas, à ce jour, présenté de proposition de réforme et ne devrait pas le faire avant mars 2023, alors que la période hivernale sera la plus risquée en termes d’augmentation des prix.

Rendons-nous bien compte que nous serons cet hiver confrontés à des risques de blackout et que des délestages seront très certainement mis en œuvre pour les éviter ! C’est du jamais vu, même si le Président de la République a tenté de nous rassurer en parlant de « scénarios de la peur »…

Je comprends bien que le sujet est très sensible parmi les États membres, qui ont chacun des mix énergétiques, donc des intérêts, différents. Mais la crise sanitaire nous a prouvé que l’Union était capable d’agir beaucoup plus rapidement qu’elle ne le fait actuellement ; quant à l’inadaptation du marché, elle est connue de longue date. Il faut accélérer de toute urgence sur ce volet, et la France doit peser de tout son poids en vue d’aboutir à une solution rapide.

Je souhaiterais donc savoir, madame la secrétaire d’État, si une accélération est prévue ou si nous devons nous résigner à attendre la fin du premier trimestre 2023, donc accepter les risques afférents à l’absence d’application d’une réforme durant l’hiver ?

En outre, pourriez-vous m’indiquer si des pistes commencent au moins à se démarquer ? Quel est, par exemple, l’avis du Gouvernement sur le système grec ?

Celui-ci consisterait à faire reposer la négociation du prix sur deux compartiments de centrales : d’un côté, les centrales « à forte proportion de coûts fixes », c’est-à-dire le renouvelable et le nucléaire, dont le prix de vente serait fixé sur la base d’un appel d’offres fondé sur le coût moyen de production ; de l’autre côté, les autres centrales, fonctionnant aux énergies fossiles, qui auraient un coût variable, le prix final de l’électricité étant alors formé par une moyenne pondérée des deux. Ou privilégieriez-vous d’autres pistes et, dans ce cas, lesquelles ?

Je voudrais, en outre, vous interroger sur une première étape intermédiaire qui pourrait être franchie en cas d’accord sur le principe d’un plafonnement temporaire du prix du gaz, dit « système ibérique ».

Il ne s’agit bien évidemment pas d’une réforme structurelle, et ce plafonnement n’a vocation à intervenir que dans des cas exceptionnels de très forte hausse des prix. Il aurait néanmoins le mérite d’éviter les situations les plus catastrophiques.

Cependant, des désaccords importants persistent entre les États membres, ce qui pourrait encore en retarder l’adoption. En effet, certains pays, dont la France, estiment que le plafond, fixé pour le moment à 275 euros le mégawattheure, est trop élevé et que les conditions sont trop difficiles à atteindre.

Cela a été dit, l’Allemagne et les Pays-Bas y sont pour leur part plutôt opposés, craignant une hausse de la consommation de gaz et un manque de compétitivité face aux marchés asiatique et américain, ce qui pourrait entraîner une rupture de l’approvisionnement du continent.

Or le plafonnement du prix du gaz serait justement accompagné d’un accord de solidarité entre les États membres pour la fourniture d’énergie, d’un accord pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables et d’un objectif de réduction de la consommation de 15 %, ce qui permettrait d’éviter les écueils soulevés par les sceptiques.

Par ailleurs, rien n’empêchera en parallèle d’augmenter les livraisons de gaz par le biais de sources dignes de confiance, telles que la Norvège ou l’Algérie.

Madame la secrétaire d’État, demeurez-vous optimiste sur l’obtention d’un accord ? Quel est l’état d’avancement des discussions ? Pouvons-nous espérer un assouplissement des conditions et/ou un abaissement du plafond, ou devrons-nous nous contenter du mécanisme très restrictif, présenté le 24 novembre dernier aux ministres de l’énergie, qui laisse peu d’espoir d’amélioration quant au prix du gaz ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque nous avons défendu il y a quelques années ici, au Sénat, la proposition de résolution européenne visant à créer le Fonds européen de défense, nous avons entendu des réactions étonnées de personnalités émérites – y compris d’un ancien ministre des affaires étrangères ! –, pour lesquels la paix paraissait durable.

Je n’insisterai pas sur le sujet qui a déjà été abordé par les intervenants précédents, mais la guerre est aujourd’hui malheureusement si proche qu’elle a nécessité de la réactivité de notre part. Après le défi sanitaire auquel l’Europe a dû faire face, il a fallu essayer d’apporter des réponses, ce qui n’a pas été si simple… La réactivité européenne est faite de diversité, et nous n’avons pas tous les mêmes objectifs ou les mêmes façons d’y parvenir.

J’évoquerai ce soir les questions de voisinage, de sécurité et de défense. Alors que la défense européenne n’était plus qu’un vain fantasme pour certains – peu nombreux – qui osaient penser plus loin que l’Otan, et alors que le Fonds européen de défense, pour la création et l’abondement duquel nous nous étions battus, avait été siphonné pour faire face au covid-19, l’Europe s’est enfin décidée à faire siens les mots d’autonomie et de boussole stratégique.

Au-delà de l’aide militaire inédite apportée aux forces armées ukrainiennes et de la décision de faire entrer l’Ukraine et la Moldavie dans le processus d’élargissement, le premier semestre de 2022 a été marqué par l’adoption du premier Livre blanc de la défense européenne.

Cette boussole stratégique européenne a fait l’objet d’un accord unanime des États membres à l’occasion du Conseil européen du 25 mars dernier : il convient de s’en féliciter, tout en restant vigilants. D’après les statistiques de l’Agence européenne de défense, les acquisitions communes de matériels atteignent seulement 18 % des dépenses de défense. C’est deux fois moins que l’objectif de 35 % fixé dans la boussole.

Ce soutien politique est inédit et doit reposer sur un triptyque : la stratégie, la technique et la crédibilité.

L’Union européenne devrait prochainement se doter enfin de la base industrielle et technologique de défense (BITD) autonome, qui sera le fondement technique de son indépendance.

Désormais, l’Union doit mettre en œuvre la feuille de route fixée par la boussole stratégique : c’est une condition nécessaire pour garantir sa crédibilité sur la scène internationale.

Cette stratégie, c’est d’abord la lecture partagée des menaces auxquelles l’Europe doit faire face. C’est aussi le renforcement de la capacité d’action rapide, de commandement et de contrôle. C’est également le renforcement de la coopération face aux menaces hybrides, dans des domaines tels que le renseignement, le cyber, l’espace ou la lutte contre la désinformation. C’est ensuite la question des investissements communs en matière de capacités militaires. C’est enfin les partenariats stratégiques de l’Union.

Il reste une série de questions qui n’ont pas encore été abordées et que je résumerai en une phrase : la défense européenne est-elle un projet visant la coopération ou l’intégration ?

Tant que nous ne clarifierons pas ce que notre politique de défense commune est censée représenter au sein de la construction européenne, nous ne serons en mesure ni de comprendre ce que l’Union doit faire et ne doit pas faire, ni de départager les attributions respectives de l’Union et de l’Otan.

En effet, le retour de la guerre n’est plus une hypothèse d’école. L’inacceptable agression russe perpétrée en Ukraine en est une preuve sanglante. Notre action ne sera crédible qu’à la condition que nous réalisions les efforts techniques et stratégiques nécessaires.

Depuis le 23 juin dernier, la politique de voisinage et d’élargissement de l’Union européenne est entrée dans une phase complètement inédite.

Dès lors, comment valoriser, dans le processus d’élargissement, les efforts incontestables réalisés par l’Ukraine et la Moldavie dans le cadre du partenariat oriental ? Doit-on prendre en compte les acquis obtenus dans le cadre de l’accord d’association, ou ces pays doivent-ils repartir de zéro dans cette longue procédure ?

Quid de la Géorgie, bon élève du partenariat oriental ? Nous ne pouvons pas dire qu’elle ne remplissait pas les critères, ce serait inexact.

Au début du mois d’octobre dernier était organisée la première réunion de la Communauté politique européenne (CPE), voulue par le Président de la République, pour permettre, selon lui, « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération ».

Prompte à saluer toute initiative de coopération, je m’interroge sincèrement sur le fonctionnement de nos instances européennes et internationales existantes : ne sont-elles pas censées être déjà cet espace ? La CPE n’est-elle pas un doublon du Conseil de l’Europe, puisqu’elle en a le même périmètre ? Comment se passeront les futures réunions prévues en Moldavie et en Espagne ?

Je m’interroge : si nous n’arrivons pas à trouver des positions communes à 27, allons-nous y parvenir à 44 ? Et il y a un risque grave, celui que l’Union ne s’écartèle sous le poids des ensembles régionaux devenus trop puissants, ou qu’elle ne se détruise en raison d’intrusions de superpuissances bien mieux organisées que nous.

Le succès de la nouvelle phase de la politique d’élargissement qui s’est ouverte cet été reposera sur la capacité de l’Union européenne à faire preuve de pragmatisme et à développer des coopérations concrètes avec nos partenaires. La CPE peut en être l’un des éléments.

Entre une adhésion accélérée illusoire et une procédure interminable aux effets délétères, la CPE a au moins le mérite d’arrimer rapidement à l’Union les pays aspirant à la rejoindre.

Je conclurai en demandant la mise en œuvre d’un plan de relance du partenariat oriental. Un accord d’association était en voie d’établissement avec l’Azerbaïdjan. Où en sommes-nous ? N’abandonnons pas le partenariat oriental : c’est un outil qu’il ne faut pas négliger !

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Arnaud

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours du Conseil européen, nous tenons ce traditionnel débat parlementaire visant à éclaircir les différents points qui y seront abordés.

Pour commencer, le conflit russo-ukrainien demeure le plus grand défi actuel de l’Union européenne. Dans une guerre unilatéralement déclarée par la Fédération de Russie, nous devons évidemment rester aux côtés du peuple ukrainien et de son gouvernement.

Alors que les soldats des deux armées creusent des tranchées et que les combats font rage, comme à Bakhmout où opère la sinistre milice Wagner – l’armée de l’ombre de Poutine –, une issue diplomatique semble impossible à court terme. Nous y sommes donc : la guerre de mouvement fait place à une guerre de positions.

Ces termes ne sont pas anodins pour nous, Français, puisqu’ils renvoient au premier conflit mondial, qui a marqué à jamais notre pays.

Nous devons aujourd’hui puiser dans les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Il s’agit de prévenir tout embrasement militaire à l’échelle continentale. C’est pourquoi le soutien, tant militaire qu’humanitaire, en faveur de l’Ukraine doit se poursuivre et s’intensifier.

Aussi, pour paraphraser la devise européenne, nous avons l’impérieuse nécessité de rester « unis dans la diversité ».

Unis, comme cela fut le cas lors de l’adoption de plusieurs paquets de sanctions, dont les effets limités restent toutefois perceptibles, puisque le PIB russe a diminué de 4 % en 2022.

Solidaires, aussi, en matière de défense : l’envoi de troupes françaises, tchèques, italiennes ou encore belges dans les États limitrophes de la Russie participe à maintenir une posture commune face à Moscou. J’ai une pensée particulière pour nos soldats mobilisés, tout particulièrement pour le 4e régiment de chasseurs alpins de Gap, dans mon département des Hautes-Alpes, qui est actuellement stationné en Roumanie.

Mes chers collègues, quand les démons du passé frappent aux portes du présent, il est de notre devoir de démocrates de faire triompher la raison sur la passion, l’humanité sur la brutalité.

Oui, cette guerre a définitivement été un révélateur des forces et faiblesses de l’Union européenne à tous les niveaux. Si j’ai mis en avant la réaction unanime et concertée des États membres face à l’agression russe, il ne faudrait pas pour autant occulter nos erreurs collectives et ne pas en tirer d’enseignements.

Je pense, par exemple, aux décennies de débats autour de l’autonomie militaire de l’Union, qui nous fait aujourd’hui défaut. Si la France a toujours été proactive sur ces sujets, de nombreux États membres ont souvent repoussé les discussions aux calendes grecques. L’accroissement des dépenses militaires annoncées par l’Allemagne ou encore la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande vont dans le bon sens, mais ce n’est que le début du processus.

L’autonomie stratégique au niveau européen est une assurance vie face aux futures mutations géopolitiques, dans un ordre mondial toujours plus troublé.

Néanmoins, autonomie ne signifie pas isolationnisme. C’est pourquoi je m’inscris dans les récents propos du Président de la République, qui, à l’occasion de sa visite d’État aux États-Unis, a appelé à renforcer « l’intimité stratégique » entre les deux côtés de l’Atlantique. Nous sommes des frères d’armes, a-t-il dit, et je suis d’accord avec lui.

Cette nécessaire autonomie s’applique également au secteur énergétique, comme l’ont souligné certains orateurs. Le développement des énergies renouvelables au sein d’un mix énergétique doit être favorisé à l’échelle européenne. En effet, les situations se révèlent très disparates : alors que la Hongrie dépend à 80 % de la Russie pour ses besoins en gaz, d’autres États, comme la France, possèdent une autonomie énergétique relative.

Je dis bien « relative », car il est question non pas uniquement de la production, mais de l’ensemble de la filière : des matières premières à la commercialisation, en passant par le traitement des déchets. Car oui, comme vous l’avez sans doute lu dans la presse récemment, mes chers collègues, l’unique entreprise capable de recycler l’uranium de nos centrales nucléaires est russe ! Le groupe Orano continue donc d’expédier de l’uranium vers l’usine de Seversk, en Sibérie, appartenant au groupe Rosatom.

En parlant de dépendance économique, je souhaite également évoquer la récente annonce par le gouvernement américain d’un Inflation Reduction Act.

Ce plan de réformes, qui couvre aussi bien la santé que le soutien aux entreprises, comprend en particulier un volet climat. Près de 400 milliards de dollars serviront à financer des mesures sur dix ans, qui doivent permettre aux États-Unis d’atteindre leur objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour les particuliers, cela signifie, par exemple, une aide de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique ou un dispositif de soutien à l’installation de panneaux solaires.

Jusque-là, tout va bien, mais ces mesures concernent uniquement les produits et services provenant du sol américain ou nord-américain. Cette véritable clause de préférence nationale n’est pas sans conséquence pour les Européens, parce qu’elle met en danger nos industriels.

L’administration Biden va favoriser les Tesla américaines par rapport aux BMW allemandes et aux Renault ou Peugeot françaises. Il y a surtout un risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, tandis que des entreprises américaines qui avaient investi en Europe préféreront fabriquer sur le sol américain pour bénéficier des aides.

Cela a été rappelé à plusieurs reprises, ces mesures ouvertement protectionnistes vont à l’encontre des principes de libre-échange de l’OMC. C’est du moins ce qu’ont déclaré les ministres de l’économie allemand et français.

Face à cet état de fait, nous, Européens, devons réagir. Soit en négociant des dérogations, comme cela est le cas pour les Canadiens ou les Mexicains. Soit, comme l’a proposé le Président de la République, en établissant des dispositifs similaires, afin de sauvegarder les industries européennes et d’affirmer la place du vieux continent dans la compétition mondiale face à la Chine. J’attends, madame la secrétaire d’État, des précisions sur ce point.

Le dernier dossier que je souhaite aborder devant vous n’est pas le plus médiatisé, mais c’est celui qui a le plus d’écho dans les territoires ruraux : la nouvelle politique agricole commune (PAC).

Pilier de la construction européenne, l’ambition de l’autosuffisance alimentaire a toujours animé cette politique. Bien que plus de 387 milliards d’euros y soient consacrés jusqu’en 2027 avec des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux, deux écueils, et non des moindres, persistent.

Tout abord, les nouveaux objectifs s’inscrivent dans le Pacte vert européen visant à favoriser la transition écologique. Dans cette perspective, une étude du Joint Research Center a conclu que la mise en œuvre de cette démarche entraînerait une réduction de la production : de 10 % à 15 % dans les filières céréales, oléagineux, viande bovine et produits laitiers, de plus de 15 % dans le porc et la volaille et de plus de 5 % dans les légumes et les cultures permanentes.

J’alerte donc : la transition écologique dans le domaine agricole, c’est non pas produire moins, mais produire mieux.

Oui, il faudra bien nourrir nos concitoyens. Et si nos agriculteurs produisent moins au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous aurons recours aux importations depuis l’étranger, dont l’empreinte écologique est bien supérieure. L’écologie doit infuser toutes nos politiques agricoles, et elle doit se conjuguer avec les défis alimentaires à venir.

Ensuite, à la différence de l’ancienne PAC, la nouvelle prévoit que ce sont les États qui définissent les priorités du pays et les critères sur lesquels seront versées les aides vertes, dans le cadre d’un plan stratégique national. Que les États aient une marge d’appréciation ou d’adaptation pour la bonne application de la PAC, c’est une chose ; mais que chaque État fixe sa feuille de route, c’en est une autre.

Concrètement, nous assistons à une renationalisation de cette politique qui n’a plus que les fonds en commun. J’en appelle au Gouvernement, afin qu’il engage tous les moyens possibles pour préserver notre agriculture et nos agriculteurs.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. Jean-Claude Anglars applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les discussions du prochain Conseil européen seront une nouvelle fois dominées par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur notre continent. Néanmoins, les chefs d’État et de gouvernement débattront aussi à cette occasion des relations qu’entretient l’Union avec son voisinage méridional.

Nos liens avec la rive sud de la Méditerranée et, au-delà, avec le continent africain revêtent naturellement de multiples dimensions. Mais l’actualité récente – celle de ce qu’il faut bien appeler le fiasco de l’Ocean Viking, mais aussi celle, un peu plus ancienne, du drame de Melilla en juin dernier – vient nous rappeler à quel point la question migratoire reste prégnante.

Sept ans après le déclenchement de la crise de 2015, nous ne pouvons que constater combien l’Europe reste engluée dans ses contradictions, incapable d’opposer une réponse commune à des mouvements migratoires qui semblent toujours plus incontrôlés.

Dès 2016, pourtant, un premier paquet de réformes avait été proposé par la Commission Juncker. Malgré un certain nombre d’accords entre le Parlement et le Conseil, il s’est finalement heurté au mur des dissensions concernant la prise en charge des demandeurs d’asile. La Commission von der Leyen a donc repris le flambeau, mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces propositions sont elles aussi bloquées depuis deux ans.

La présidence tchèque, comme avant elle la présidence française, ne ménage pas ses efforts pour parvenir à un compromis. Quelques progrès sont certes à saluer, sur Eurodac ou sur le règlement Filtrage. Mais l’équilibre global, indispensable pour que la réforme puisse aboutir, semble toujours largement hors de portée – équilibre entre États, bien sûr, mais aussi entre institutions.

En effet, le Conseil, malgré ses divisions sur l’aspect solidarité, se retrouve largement sur certains points fondamentaux, comme la protection des frontières extérieures, le renforcement de la politique de retours ou l’attention accrue portée au modus operandi de certaines ONG en Méditerranée, qui se révèle parfois – je dirais même souvent – contraire aux règles et procédures définies par les conventions internationales.

Cette approche est malheureusement loin d’être partagée au Parlement européen, voire au sein de la Commission, où prévaut une ligne différente, qui s’apparente parfois à une consécration de facto d’un nouveau droit à la migration – je parle bien d’un « droit à la migration ». La Commission semble rejeter par principe un postulat pourtant fondamental : nul ne doit pouvoir entrer ou s’installer sur le sol européen sans y avoir été au préalable légalement autorisé.

Entre ces deux conceptions divergentes, l’Europe semble toujours incapable de trancher. L’agence Frontex et son désormais ex-directeur exécutif ont fait les frais de cette opposition entre le Conseil, la Commission et le Parlement, ainsi que des injonctions politiques contradictoires qui n’ont cessé d’en découler, alors même que Frontex a comptabilisé 281 000 passages illégaux des frontières de l’Union en une année, en progression – excusez du peu ! – de 77 % par rapport à l’année précédente…

Cette ambiguïté de l’Union maintient notre continent dans un tragique état de fragilité face aux phénomènes migratoires, le condamne à un certain nombre de psychodrames – la récente crise franco-italienne en est une parfaite illustration – et le contraint malheureusement à rechercher de vagues solutions d’attente.

La Commission a ainsi présenté le 21 novembre dernier un plan d’urgence en vingt points censé répondre à la hausse des flux en Méditerranée et aux mésententes des États membres concernant les opérations de recherche et de sauvetage. Un plan qui, dans les faits, ne prévoit rien de véritablement concret ni de très nouveau, notamment par rapport au mécanisme volontaire de solidarité mis en place en juin 2022.

En attendant, le nombre des arrivées et des demandes d’asile explose de nouveau. Quant à la politique de retours, la présidence tchèque constate que, malgré les outils mis en place, ses résultats restent médiocres.

Madame la secrétaire d’État, les institutions européennes ont signé une feuille de route avec en point de mire un accord d’ici à février 2024, soit l’ultime limite avant les prochaines élections européennes. Ce calendrier, avant tout basé sur des considérations politiques, risque malheureusement de ne pas être tenu. Il y a pourtant urgence à conclure ce dossier, qui n’a que trop duré et qui sape chaque jour un peu plus la crédibilité du projet européen vis-à-vis de nos concitoyens.

N’oublions pas non plus que, avec la crise de 2015, ce sont les fondations mêmes de l’espace Schengen qui ont vacillé, menaçant d’emporter avec elles le principe de libre circulation.

La question de l’asile et des migrations reste donc indissociable de celle du fonctionnement de l’espace Schengen. La réforme engagée, bien qu’elle soit loin de la « remise à plat » voulue il y a quelques mois par le Président de la République, apparaît néanmoins utile. Mais elle aussi n’avance que lentement. Et alors qu’elle n’a pas encore été menée à bien, la Commission et le Parlement européen viennent de donner leur aval à l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen, …

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

… tout en préconisant également l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie.

Selon toute vraisemblance, le Conseil se prononcera dans deux jours sur cette question. Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position défendue par la France ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

M. Pierre Laurent remplace Mme Pascale Gruny au fauteuil de la présidence.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les chefs d’État ou de Gouvernement de l’Union européenne se retrouvent la semaine prochaine à Bruxelles dans un contexte géopolitique et économique toujours très tendu.

Si la guerre en Ukraine sera une nouvelle fois au menu des échanges, avec l’entrée en vigueur du dernier train de sanctions à l’encontre de la Russie, les discussions porteront aussi sur les tensions commerciales entre Européens et Américains.

En se rendant aux États-Unis, Emmanuel Macron espérait convaincre Joe Biden de renoncer à son Inflation Reduction Act. Il n’a pu que constater une nouvelle fois la posture hyperprotectionniste des Américains, dont il avait fait déjà l’amère expérience en 2021 lors de l’annulation du « contrat du siècle » avec l’Australie.

Les priorités de Joe Biden ont toujours été claires : d’abord la politique intérieure, ensuite la Chine et, loin derrière, éventuellement, l’Europe. Cette posture des Américains renvoie notre continent à ses propres faiblesses et à l’impérieuse nécessité pour lui de réagir s’il ne veut pas finir par devenir invisible sur la scène internationale.

Face à l’ampleur des plans américains de nature protectionniste, aggravés par un choc négatif de compétitivité des prix de l’énergie, l’Europe doit soutenir puissamment son industrie et appliquer elle aussi une préférence pour les productions localisées sur notre continent.

Encore faudra-t-il que l’Europe puisse lever des moyens comparables à ceux des États-Unis : quand nous autorisons un financement public de 5 milliards d’euros pour l’hydrogène vert, Washington met 100 milliards de dollars sur la table. Le chemin semble donc encore bien long !

Puisqu’il est ici question de souveraineté industrielle, je voudrais vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur deux sujets importants qui ont fait l’objet de travaux récents au Sénat : la santé et le numérique.

En matière de santé, notre pays fait actuellement face à des ruptures d’approvisionnement concernant de nombreux médicaments : c’est le cas notamment de la cortisone et des antibiotiques.

Alors que la situation est similaire chez nos voisins, la Commission européenne tarde à proposer une révision de la législation pharmaceutique et un plan d’action à l’échelle de l’Union pour lutter contre ces pénuries, lequel devrait passer par une plus grande maîtrise des approvisionnements et de la production.

Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est aujourd’hui et ce que peut faire la France pour inciter la Commission à prendre davantage en compte ce problème ?

Par ailleurs, la Commission a présenté une proposition de règlement visant à établir un espace européen des données de santé. Le Sénat, par mon intermédiaire et celui de ma collègue Laurence Harribey, entend se saisir de ce sujet pour garantir la protection des données à caractère personnel.

En effet, si nous comprenons bien l’enjeu que représente l’utilisation de ces données pour favoriser la recherche médicale, il est tout aussi indispensable d’en préserver la confidentialité, afin d’assurer la protection des libertés individuelles.

Les cyberattaques récurrentes menées contre notre système de santé – la plus récente vise l’hôpital de Versailles depuis samedi dernier – montrent que le sujet doit être pris très au sérieux. Nous devons nous armer contre ces hackers sans scrupule qui n’hésitent plus à diffuser sur le darknet des données confidentielles concernant les patients.

Pouvez-vous nous indiquer quelle position défend actuellement le gouvernement français dans le cadre des négociations au Conseil sur ce texte, notamment en ce qui concerne l’hébergement des données ?

En matière de numérique, la Commission européenne a également présenté une proposition de règlement visant à améliorer les conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.

Ces plateformes numériques modifient la relation salarié-employeur classique et ont donc un impact important sur notre législation. Notre vigilance est nécessaire pour garantir la protection des travailleurs.

Pouvez-vous nous donner des informations concernant l’évolution des négociations sur ce texte ? Votre réponse intéressera également ma collègue Laurence Harribey.

Aujourd’hui, l’Union européenne et les États membres sont confrontés au défi que représente l’utilisation accrue des technologies du numérique développées le plus souvent par des opérateurs étrangers. On le voit aussi bien pour la question des travailleurs de plateforme que pour l’espace européen des données de santé.

La question de la sécurité, qui est à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, ne peut être dissociée de celle de la souveraineté européenne, sur le plan tant sanitaire que numérique. Cette question doit désormais devenir centrale dans toutes les discussions. Nous comptons sur le Gouvernement pour y veiller de près !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Laurence Harribey applaudit également.

Mme Pascale Gruny remplace M. Pierre Laurent au fauteuil de la présidence.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Cadec

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain sera largement consacré aux questions de politique étrangère, de sécurité et de défense, notamment à la guerre en Ukraine et aux relations de l’Union avec les pays de son voisinage méridional. Il est cependant prévu que les chefs d’État et de gouvernement abordent également certaines questions économiques concernant l’énergie.

À l’évidence, toutes ces questions sont liées entre elles et sont plus importantes et urgentes les unes que les autres.

Nos concitoyens attendent surtout des dirigeants européens qu’ils fassent preuve de fermeté dans la défense des intérêts de l’Union et d’efficacité dans la prise de décision.

La solidarité avec le peuple ukrainien doit être sans cesse réaffirmée. Qu’on le veuille ou non, tout signe contraire, témoignant d’un début de lassitude de nos opinions publiques ou d’une certaine irrésolution de l’Union, serait perçu par les Russes comme une marque de faiblesse.

Nous n’avons donc pas d’autre choix que de poursuivre dans cette voie et de maintenir à tout prix l’unité du bloc tant qu’une issue satisfaisante n’aura pas été trouvée dans des termes acceptables pour l’Ukraine.

Le Président de la République a récemment répété qu’il entendait maintenir un dialogue direct avec le dirigeant russe. Je veux croire qu’il le fera avec le soutien explicite de ses partenaires européens et des autres alliés de l’Ukraine.

L’exercice est délicat, car il faut éviter d’ajouter de la confusion à la confusion. Les postures narcissiques et la volonté de se donner une importance personnelle ne doivent tenir aucune place dans ce genre d’exercice.

Le Conseil européen de décembre sera l’occasion pour les chefs d’État et de gouvernement d’envisager un paquet supplémentaire de sanctions – le neuvième – contre la Russie.

Toute sanction, quelles que soient sa nature et son ampleur, soulève cependant deux questions essentielles : celle de son efficacité pour amener le pays qui en est la cible à la résipiscence et celle de ses éventuelles répercussions négatives sur les pays qui adoptent la sanction.

Il me semble que, sur l’un et l’autre point, la pertinence des huit paquets de sanctions adoptés jusqu’à présent par l’Union n’a pas encore été totalement démontrée, tant s’en faut. Il serait bon que l’examen d’un éventuel nouveau paquet fournisse l’occasion d’un bilan réaliste.

La question vitale de l’énergie est bien sûr liée aux développements géopolitiques récents, mais elle ne s’y résume pas. Le tarissement de nos approvisionnements en gaz et en pétrole de Russie a surtout mis en évidence les mauvais choix politiques faits en Europe, particulièrement en France, au cours de la dernière décennie, marquée par un abandon programmé injustifiable de la filière nucléaire et par une aggravation inconsidérée, surtout de la part de l’Allemagne, de la dépendance gazière à l’égard de la Russie.

L’explosion des prix de toutes les sources d’énergie que nous subissons actuellement se conjugue à d’autres facteurs pour attiser le foyer d’une inflation galopante, qui affecte de plus en plus durement les entreprises comme les familles.

Enrayer ce processus infernal devrait être l’une des priorités des dirigeants européens. Évidemment, la solidarité est de mise, même s’il est apparu récemment que les intérêts des uns et des autres peuvent sérieusement diverger, voire se heurter.

Nous attendons de ce Conseil européen qu’il propose des solutions fortes et cohérentes, susceptibles de manifester rapidement leurs effets sur le marché des produits énergétiques.

En outre, toute discussion entre les chefs d’État et de gouvernement sur les relations de l’Union avec son voisinage méridional, particulièrement avec les pays du Maghreb, devra porter en priorité sur le problème de la gestion des flux migratoires.

La question de l’accueil des candidats à l’immigration en Europe est de plus en plus urticante. Elle envenime aussi bien nos débats de politique interne, en faisant le jeu des extrêmes des deux bords, que les relations diplomatiques au sein de l’Union entre les États membres principalement concernés.

Pour lutter efficacement contre ce phénomène et contre les réseaux criminels qui l’entretiennent, la coopération des pays d’origine est indispensable ; elle n’est pourtant pas à la hauteur de ce que l’Union serait en droit d’attendre. Les refus de réadmission le plus souvent manifestés par ces États, à la suite de décisions d’expulsion prises par les autorités des pays européens, sont tout simplement intolérables.

Les accords de réadmission et la mise en œuvre d’une coopération judiciaire et policière étroite devraient constituer pour l’Union une condition sine qua non à l’ouverture commerciale de notre marché intérieur aux marchandises de ces pays et à l’octroi d’autres mécanismes d’aide européenne pour leur développement économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Cadec

Telles sont, madame la secrétaire d’État, quelques-unes des grandes préoccupations que nous souhaiterions voir porter par le Président de la République à l’occasion de cette importante réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie vivement de vos interventions et de vos questions, auxquelles je vais tâcher de répondre.

Je commencerai par les points à l’ordre du jour du Conseil européen, avant de revenir sur les autres sujets d’actualité sur lesquels vous avez eu la gentillesse de m’interroger.

Premièrement, la plupart d’entre vous ont évoqué dans leurs interrogations la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine. Je voudrais le redire devant vous : la France continuera à soutenir l’Ukraine. Comme le disait le sénateur Marie, ce soutien sera humanitaire, militaire et financier.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs le soutien humanitaire lorsque l’on établit des comparaisons, parfois de manière trop hâtive : l’Europe est le seul continent qui accueille 2 millions de réfugiés en provenance de ce pays.

Nous continuerons de soutenir l’Ukraine dans la durée, puisque, comme la sénatrice Guillotin et le sénateur Allizard l’ont souligné, la guerre risque d’être longue.

J’ajouterai pour vous répondre, monsieur le sénateur Allizard, que, lorsque nous parlons de soutien et de défense, nous les envisageons évidemment dans le cadre d’une préférence européenne, au travers, par exemple, de la proposition de règlement relatif à la mise en place de l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes, dite Edirpa. Nous prêtons une attention toute particulière à cette préférence.

Monsieur le sénateur Cadec, vous avez mentionné certains propos du chef de l’État sur l’Ukraine. Je le répète dans cet hémicycle : la paix se fera dans les conditions déterminées par l’Ukraine et quand celle-ci le souhaitera. Le Président de la République, à l’image de l’ensemble de nos partenaires, a déjà eu l’occasion de le préciser.

Comme vous le savez, l’Union européenne a pris la décision de soutenir l’Ukraine dans cette guerre et de collaborer en ce sens avec tous ses alliés. Ainsi, avec nos partenaires du G7 et l’Australie, nous avons décidé de plafonner les prix du pétrole russe.

Vous rappeliez, monsieur le sénateur Kern, que ce plafond a été fixé à 60 dollars. Cette mesure contribuera à réduire la capacité de la Russie à mener sa guerre, en diminuant fortement ses revenus issus du pétrole. Je ferai remarquer qu’elle a déjà contribué à faire baisser les prix, monsieur de Montgolfier, puisque les prix du brut ont atteint un plancher aujourd’hui.

Pour la suite, l’Union européenne continue de travailler à de nouvelles mesures, après déjà huit paquets de sanctions qui pèsent sur le régime russe. Plusieurs options supplémentaires sont à l’étude, notamment la restriction d’exportations dans les domaines de la technologie, des banques et des services, ainsi que de nouvelles désignations de responsables politiques, militaires et économiques russes soutenant la guerre.

Monsieur le sénateur Allizard, monsieur le sénateur Arnaud, vous l’avez tous deux souligné, c’est l’affaiblissement de la Russie à moyen terme que nous visons, et nous l’obtiendrons.

Monsieur Rapin, vous m’avez interrogée sur la mise en place d’un tribunal spécial pour les crimes relatifs à l’agression de la Russie. La lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Ukraine est pour la France une priorité. Nous nous sommes mobilisés, en soutien tant de la justice ukrainienne que de la Cour pénale internationale.

S’agissant de la proposition de créer un tribunal spécial, nous avons commencé à y travailler avec nos partenaires européens et ukrainiens ; vous savez que nous avons reçu l’envoyé spécial ukrainien à ce sujet. Évidemment, il reviendra d’obtenir le plus large consensus possible au sein de la communauté internationale.

Deuxièmement, l’énergie, du fait de vos nombreuses interventions à ce sujet, est un enjeu qui me permettra de m’adresser à tout le monde.

Vous le savez, elle est vraiment au cœur de nos priorités européennes communes. J’ai rappelé les différents textes sur lesquels les ministres de l’énergie ont travaillé d’arrache-pied ces dernières semaines. Il est, d’évidence, important de préserver un cadre de concurrence équitable, comme l’a rappelé le sénateur Médevielle, sans sacrifier à la solidarité, comme l’a souligné le sénateur Fernique.

Monsieur le sénateur Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous avez mentionné le mécanisme de plafonnement du gaz. Il n’est pas assez ambitieux, nous en sommes d’accord. Certes, une réforme de l’indice du gaz est menée pour mieux refléter les prix à la fois du gaz par gazoduc et du gaz naturel liquéfié (GNL), mais il est clair qu’il faut aller plus loin.

Par conséquent, nous allons continuer d’insister pour faire baisser les prix du gaz, de même que nous allons continuer à utiliser la palette d’outils qui existe déjà ; elle contribuera à cette baisse.

Je pense à la plateforme d’achats conjoints qui nous donne un pouvoir de marché important. Je pense également aux discussions avec des partenaires stables, comme la Norvège et les États-Unis. Je pense enfin à l’accélération du déploiement des énergies renouvelables, qui va accroître notre indépendance ; il me semble que le sénateur Marie l’a spécifiquement mentionné.

Messieurs les sénateurs Rapin, Laurent et Pellevat, vous m’avez interrogée sur l’état des négociations relatives à la réforme du marché de l’électricité. Nous sommes d’accord : cette réforme est absolument essentielle, puisqu’elle va nous permettre de découpler durablement le prix de l’électricité de celui des énergies fossiles.

Il se trouve que la Commission nous a donné un calendrier assez précis pour cette réforme. Une consultation va être lancée sur la base d’un premier projet, d’ici à quelques jours ; sur cette base, la Commission formulera une proposition législative au mois de mars prochain.

Cela prend un peu de temps, du fait non seulement des consultations, mais aussi, monsieur le sénateur Pellevat, des études d’impact. Il me semble que nous nous dirigeons, pour cette réforme, vers quelque chose qui ressemblera aux contrats sur différence.

En tout état de cause, cette réforme sera adoptée avant les élections européennes, au printemps de 2024. Elle s’appliquera donc pour l’hiver 2024-2025. Il va nous falloir travailler à une solution pour l’hiver 2023-2024, afin que les prix de l’électricité soient maîtrisés. L’une des pistes est la prolongation des mesures de captation de la rente des énergéticiens, que nous avons adoptées cet hiver.

À ce propos, il est vrai que l’inflation provoquée par la hausse des coûts de l’énergie nous inquiète et aura sûrement des répercussions ; elle en a déjà sur les projets financés par le plan national de relance et de résilience (PNRR).

À ce stade, nous avons seulement envisagé des modifications marginales du cadre financier pluriannuel pour pouvoir préserver nos priorités, mais nous suivrons attentivement la situation.

À moyen terme, monsieur le sénateur Allizard, la transition énergétique assurera effectivement la sécurité de notre approvisionnement, qui sera atteinte grâce à notre autonomie – elle doit être la plus grande possible – et à la diversification des sources d’énergie. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné, nous ne reviendrons pas au business as usual.

Troisièmement, j’ai été interrogée sur les relations avec la Moldavie par Mme la sénatrice Véronique Guillotin, qui, comme elle l’a précisé, est présidente du groupe d’amitié avec ce pays.

La Moldavie s’est vu octroyer le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne lors du Conseil européen des 23 et 24 juin.

Elle a désormais à mettre en œuvre les neuf mesures énoncées par la Commission européenne dans son avis du 17 juin sur la demande d’adhésion moldave ; ces mesures portent sur la réforme de la justice, sur la lutte contre la corruption, la criminalité organisée et l’influence des oligarques, sur la réforme de l’administration publique, sur la réforme de la gestion des finances publiques et sur la protection des droits de l’homme.

J’ai bien conscience que ces exigences sont nombreuses et importantes, mais elles sont essentielles pour préserver l’État de droit à nos frontières et dans l’Union. Nous soutenons les efforts de la Moldavie pour mettre en œuvre ces réformes.

Quatrièmement, j’ai été interrogée par Mme la sénatrice Jourda sur l’articulation entre la Communauté politique européenne et les autres organisations, notamment le Partenariat oriental ou le Conseil de l’Europe ; j’ajoute l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), que vous n’avez pas mentionnée, si mes souvenirs sont bons.

La CPE n’est pas une organisation multilatérale concurrente de ces organisations. Une majorité de nos partenaires, d’ailleurs, préfère très clairement un format souple, plus proche de celui du G7 ou du G20 qui, comme vous le savez, ne disposent pas de secrétariat permanent.

Nous sommes attentifs à la bonne articulation des travaux et du calendrier de la CPE avec ceux du Conseil de l’Europe, de l’OSCE et du Partenariat oriental.

À mon sens, il faut distinguer les objectifs : l’OSCE s’occupe de la sécurité, le Conseil de l’Europe de l’État de droit ; la CPE, quant à elle, est un espace politique, notamment pour discuter de sujets relatifs à l’Arménie, à l’Azerbaïdjan ou aux enjeux maritimes. Cet espace politique a été très utile le 6 octobre dernier, cela a été rappelé, pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

La CPE permet également de développer des projets concrets, comme l’éventuelle itinérance graduelle pour les pays membres – je la mentionnais précédemment – ou le déploiement d’infrastructures.

J’ajoute que de nombreux pays – Ukraine, Moldavie, Balkans occidentaux – me semblent avoir un grand appétit pour cette Communauté politique européenne. En s’élargissant, elle leur permet en effet de bénéficier de notre voisinage.

Monsieur le sénateur Rapin, monsieur le sénateur Allizard, messieurs les sénateurs Arnaud et Fernique, madame la sénatrice Guillotin, madame la présidente Gruny – je crois n’oublier personne ! –, …

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

… vous avez mentionné l’Inflation Reduction Act. Voilà au moins un élément consensuel ! Comme certains d’entre vous l’ont précisé, ce texte vient s’ajouter au différentiel de compétitivité créé par le choc des prix de l’énergie.

Il faut avoir en tête plusieurs éléments.

Tout d’abord, il existera quelques marges de manœuvre dans l’application de cette loi américaine lorsqu’elle fera l’objet d’un décret. Cela dit, ces marges de manœuvre, je crois que vous en avez parfaitement conscience, seront assez faibles.

Ensuite, nous disposons d’outils européens, par exemple les outils anti-subventions. Certains d’entre vous se sont inquiétés d’une possible guerre commerciale ; pour cette raison, les outils anti-subventions seront maniés avec précaution. Vous avez également mentionné le fonds souverain évoqué par la présidente de la Commission européenne dans son discours sur l’état de l’Union en septembre dernier.

Comme vous le savez peut-être, j’étais présente la semaine dernière au conseil Compétitivité au cours duquel il a été discuté de ce fonds. La plupart des pays sont favorables non seulement à l’accélération de sa mise en place, mais aussi à l’augmentation des investissements dédiés ; plusieurs d’entre vous ont, à ce titre, mentionné les montants accordés aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec).

Les États de l’Union se sont prononcés pour l’accélération de la délivrance tant du statut de Piiec que des sommes accordées au titre du fonds souverain. En effet, les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, mettent en place des crédits d’impôt bien plus rapides que ne l’est le montage de projets Piiec.

Par ailleurs, comme vous le savez, ces projets sont souvent destinés à la transition énergétique, notamment dans le domaine de l’hydrogène et des batteries. À cet égard, je dois féliciter le Parlement européen et l’eurodéputé Canfin pour leur soutien, en particulier sur la déforestation.

Cinquièmement, M. le sénateur Gattolin a parlé de la Chine.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Mme Laurence Boone, secrétaire d ’ État. En effet ! M. Allizard a posé énormément de questions…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Vous connaissez le triptyque qui est le nôtre à l’égard de ce pays : coopération, concurrence et rivalité systémique. Lors du dernier Conseil européen, le Président de la République s’est exprimé avec force quant à l’importance croissante de la rivalité systémique dans nos relations avec la Chine.

Concrètement, cette rivalité croissante se traduit par la nécessité de renforcer à la fois les clauses miroir et la réglementation sur l’accès à nos marchés publics. À l’avenir, nous pourrions évidemment nous intéresser de plus près aux outils de contrôle d’exportations ou de filtrage d’investissements.

Sixièmement, les sénateurs Marie et Médevielle m’ont interrogée sur la relation franco-allemande. La semaine passée a témoigné, je dois le dire, d’une intense collaboration franco-allemande, puisque la ministre allemande des affaires étrangères est venue rencontre à Paris la ministre Colonna, les ministres des finances et de l’économie sont allés voir le ministre Bruno Le Maire, et, côté français, la Première ministre s’est rendue à Berlin, où je l’ai accompagnée.

Le travail est réellement intense dans la perspective du prochain conseil des ministres franco-allemand. Même si sa date n’est pas encore arrêtée, nous avons tous en tête le moment important des 60 ans du traité de l’Élysée.

Les travaux s’intensifient dans les domaines de la défense, du spatial, de l’énergie, de la culture, de l’éducation et dans bien d’autres secteurs, sur lesquels nous reviendrons à une autre occasion.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Mme Laurence Boone, secrétaire d ’ État. Non, mieux encore !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Septièmement, le sénateur Marie m’a interrogée sur le pacte de stabilité et de croissance. Nous retrouvons dans les propositions de la Commission les principes auxquels nous sommes attachés : croissance, investissements et soutenabilité.

Nous partageons un cadre commun dans lequel les trajectoires sont personnalisées et qui nous permettra de mettre en œuvre les investissements dont nous avons besoin.

Pour ce qui nous concerne, je pense aux investissements dans la transition énergétique ; pour nos amis allemands, en plus de cette transition, la défense peut nécessiter davantage de dépenses. Ce cadre accorde cette souplesse. Mais bien sûr, le diable réside dans les détails, et nous attendons encore de préciser quelques points.

J’en ai terminé avec les questions relatives au Conseil européen. À présent, je vais répondre à quelques questions plus spécifiques.

En premier lieu, les sénateurs Laurent et Fernique m’ont interrogée sur le devoir de vigilance des entreprises. Il faut nous féliciter de l’accord auquel nous sommes parvenus jeudi dernier. En effet, il dessine le régime de vigilance le plus ambitieux au monde. En 2017, la France a été le premier pays au monde à adopter des règles juridiquement contraignantes sur le devoir de vigilance des entreprises.

Monsieur Laurent, je ne partage pas votre pessimisme. Je vous invite à discuter avec Dominique Potier, qui avait créé un groupe de travail transpartisan à ce sujet. Nous avons beaucoup échangé avec lui pendant le processus qui a conduit à cet accord.

La France a très fortement soutenu ce projet de directive européenne. Forte de son expérience en tant que pays disposant du cadre juridique le plus étendu sur le sujet, elle a plaidé pour un cadre de vigilance ambitieux et opérationnel à l’échelon européen.

Vous l’avez rappelé, messieurs les sénateurs, cette ambition aurait pu être plus forte encore, notamment sur la santé et la sécurité des travailleurs, sur les sociétés mères des grands groupes et multinationales, ou encore sur la responsabilité civile des entreprises. Toutefois, l’Union européenne suppose des compromis.

J’étais présente à la réunion du Conseil dédiée à ce devoir de vigilance des entreprises. Nous avons eu conscience que l’équilibre des forces ne permettait pas d’atteindre tous les objectifs. Nous espérons que les discussions avec le Parlement européen permettront d’améliorer encore le texte.

Qui plus est – je vais pouvoir clarifier ce point –, la France n’a jamais demandé l’exclusion des services financiers.

Debut de section - Permalien
Laurence Boone

Nous avons souhaité que le secteur financier soit traité comme tous les autres secteurs de l’économie.

Par ailleurs, les ministres participant au conseil Justice et affaires intérieures se réuniront jeudi prochain à Bruxelles. Plusieurs d’entre vous m’ont parlé des migrations. Les ministres auront l’occasion jeudi de revenir sur le plan d’action décidé lors du conseil extraordinaire du mois dernier pour mieux gérer les routes migratoires dans les Balkans et en Méditerranée.

En ce qui concerne les bateaux, il a été créé un groupe de contact entre États membres qui va inclure les ONG. L’objectif est d’éviter de répéter, monsieur le sénateur Cadec, ce à quoi nous avons assisté il y a quelques semaines et qui est à déplorer.

Depuis deux ans, vous le savez, monsieur le sénateur Reichardt, nous avançons sur le pacte asile et migrations. Il a d’ailleurs été débloqué sous présidence française du Conseil de l’Union européenne ; il était bloqué depuis dix ans, monsieur le sénateur !

Nous avançons selon un autre triptyque. Le premier élément est la solidarité entre pays de l’Union européenne, essentielle pour garantir la liberté de circulation dans l’espace Schengen. Elle va de pair avec le deuxième élément : la responsabilité. Enfin, le dernier élément, dont la France a fait preuve il y a quelques semaines, est l’humanité.

Lors du prochain conseil Justice et affaires intérieures, les ministres évoqueront également l’élargissement de l’espace Schengen, que vous évoquiez de nouveau. Les nombreuses évaluations réalisées montrent que la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie appliquent correctement les règles de Schengen. Elles sont prêtes à rejoindre cet espace, en contribuant de manière positive à sa sécurité.

Les traités prévoient, vous le savez, que la décision politique de cette pleine intégration appartient désormais au Conseil, à l’unanimité. À l’heure où nous parlons, cette unanimité ne semble pas réunie. La présidence s’efforce de parvenir sur cette question à un consensus, qui peut aussi être un compromis.

Enfin, madame Gruny, madame Guillotin, vous m’avez interrogée sur l’Europe de la santé et de la stratégie pharmaceutique. L’enjeu est, en effet, particulièrement important pour la France, puisqu’il participe du renforcement de notre autonomie stratégique européenne.

La révision de la législation pharmaceutique de l’Union doit être présentée par la Commission en décembre prochain. Nous sommes assez confiants. Nous pensons qu’elle répondra aux attentes.

Sur l’espace européen de santé et les entreprises qui pourraient être en charge du stockage des données afférentes, les discussions sont encore en cours au Conseil.

Le Contrôleur européen de la protection des données et le Comité européen de la protection des données ont produit un avis sur la question. Comme vous le savez sûrement, ils ont notamment proposé qu’il soit inscrit dans le texte que ces données doivent être hébergées sur le territoire de l’Union européenne.

Pour conclure, vous releviez, messieurs les sénateurs Gattolin et Marie, que jamais l’Union n’aura autant avancé que ces derniers mois en matière d’Europe de la défense, d’union des marchés de l’énergie et de lutte contre les ingérences étrangères.

Pour l’ensemble de ces sujets, le maître-mot est, me semble-t-il, celui de souveraineté. Le Président de la République avait proposé ce même agenda de souveraineté à nos partenaires européens dès 2017, dans le discours de la Sorbonne.

Ce mot de souveraineté est désormais repris par nos partenaires, de même que celui de boussole ou d’autonomie stratégique. Il faut vraiment saluer, comme vous l’avez fait ce soir, l’ampleur du changement de paradigme qui s’est opéré depuis lors.

Oui, l’Europe avance d’autant plus vite face aux crises, si nous prenons en commun nos responsabilités. Oui, l’Europe est complexe et l’on n’avance pas toujours aussi vite qu’on le souhaiterait, mais nous sommes vingt-sept à la construire, comme vous le souligniez, madame la sénatrice Jourda.

Je crois que c’est l’honneur de la France, parmi ces vingt-sept, que d’être constamment à l’initiative et force de proposition.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Pour conclure ce débat préalable, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’avoir répondu aussi précisément et nominativement à tous les sénateurs intervenus ce soir sur des sujets aussi importants qu’intéressants.

Ces thèmes donnent l’impression d’être redondants, parce qu’ils sonnent rythmés depuis un moment par la guerre en Ukraine, mais ils n’en demeurent pas moins essentiels.

Je souhaiterais seulement revenir sur plusieurs points.

Le premier est celui de la justice, qui devra un jour être faite pour les crimes perpétrés par les Russes. Au-delà des crimes physiques, qui se ressentent, qui se voient et qui sont présentés par les médias, il existe un crime majeur, relevé par les députés ukrainiens qui ont rendu visite la semaine dernière à notre commission : la déportation.

M. Allizard s’est exprimé sur ce qui peut se passer en Birmanie demain ; je mets en garde, pour ma part, sur ce qui peut se passer dans les mois et les années à venir, du fait de tous ces enfants et toutes ces familles qui ont connu la déportation. L’Union européenne doit observer très attentivement cette situation pour le moins dramatique.

Le deuxième point a été évoqué par nos spécialistes de la santé. Nous avions parlé, madame la secrétaire d’État, avant l’ouverture de la séance et sans nous être concertés, de la pénurie de médicaments.

Mme la secrétaire d ’ État acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

En tant que professionnel de santé, j’ai reçu aujourd’hui un nombre d’alertes considérable, à la fois en provenance de professionnels délivrant au nom des médecins, comme les pharmaciens, et de patients. Ils nous expliquent qu’il est même difficile d’obtenir en ce moment des antibiotiques dans les pharmacies.

Le problème est réel, mais il est récurrent et cyclique. De fait, nous en avions déjà parlé ; je me souviens d’avoir posé deux ou trois questions d’actualité en la matière, pour des produits tout à fait différents. En effet, nous avions rencontré des problèmes avec les antihypertenseurs, puis avec les corticoïdes ; désormais, le problème touche aux antibiotiques. Il faut vraiment y veiller. N’ajoutons pas une crise sanitaire à la crise sanitaire que nous venons de vivre, du fait d’un manque de traitements.

On pense toujours que cela n’arrive qu’aux autres, mais quelque chose commence à poindre…

Le dernier point sur lequel j’aimerais revenir est celui de la Communauté politique européenne. Sincèrement, à l’origine, je considérais cet outil comme un gadget. Mais au fil des rencontres avec nos collègues européens, qui l’intègrent progressivement, nous nous rendons compte qu’elle peut être un outil intéressant.

Le message à faire passer à toutes ces nations qui veulent entrer dans la Communauté politique européenne est qu’il leur revient aussi de la faire vivre. Elles ne peuvent pas tout attendre de l’Union européenne ; elles ne peuvent pas tout attendre des États membres. Elles doivent pouvoir aussi s’affirmer et émettre leurs propres propositions ; nous l’avons souligné.

Le président Gérard Larcher et moi-même étions en déplacement en Serbie récemment. La CPE n’est pas un nouveau paradis qui s’offre à ces pays : elle doit être un outil.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 7 décembre 2022 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

De seize heures trente à vingt heures trente :

Ordre du jour réservé au groupe CRCE

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie, présentée par M. Fabien Gay, Mmes Céline Brulin, Cécile Cukierman et plusieurs de leurs collègues (texte n° 66, 2022-2023) ;

Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour le développement du transport ferroviaire, présentée par M. Gérard Lahellec, Mme Marie-Claude Varaillas et plusieurs de leurs collègues (texte n° 144, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.