Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la guerre d’invasion russe a amené l’Europe à faire preuve d’une détermination commune sans précédent pour soutenir l’Ukraine.

Il s’agit en effet d’une attaque contre nous tous, contre nos valeurs communes et contre les chances du multilatéralisme pour changer la donne planétaire. C’est aussi, d’une certaine façon, le défi du climat qui se joue un peu aujourd’hui en Ukraine.

Face à une situation inédite, des décisions impossibles à envisager il y a encore quelques mois ont été prises en quelques semaines, renforçant une évidence : ce n’est qu’ensemble que les États membres de l’Union européenne auront un poids suffisant.

Face à la crise énergétique, les États membres n’ont pas tous la même capacité à gérer équitablement les prix et la demande ni à fournir un soutien essentiel à ceux qui en ont besoin. La solidarité européenne est donc primordiale. Ce Conseil européen doit permettre d’avancer vers une réponse commune pour faire face aux enjeux des coûts et des approvisionnements énergétiques, une réponse commune qui soit aboutie, crédible et pertinente, pour reprendre vos termes, madame la secrétaire d’État, ainsi que ceux du président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin.

Cette réponse aboutie sera cohérente par rapport à nos objectifs climatiques si elle contribue à réduire notre dépendance à l’égard des importations d’énergies fossiles et des combustibles fossiles en général, en particulier en provenance des régimes autoritaires. La stratégie à court terme visant à favoriser de nouveaux investissements dans des pays tiers comme l’Azerbaïdjan ne va pas, selon moi, dans ce sens…

Face à la réponse des États-Unis à la crise, avec leur politique du bas prix de l’énergie et les centaines de milliards de dollars de l’Inflation Reduction Act résolument orientés vers la transition écologique et la décarbonation industrielle, notre Green Deal européen risque fort de faire pâle figure. La compétitivité de nos économies se joue dans ce défi.

La fragmentation de nos économies européennes constitue un péril imminent. Oui, un nouvel élan européen est nécessaire. Il convient donc, même si ce n’est pas facile, de trouver les voies d’un accord en faveur d’un plan massif d’amplification industrielle du Green Deal, avec des investissements à la hauteur, notamment grâce à la constitution d’un fonds de souveraineté supposant un emprunt commun nouveau.

Ce nouvel élan européen nécessite de hâter la mise en place concrète de l’ajustement carbone aux frontières : c’est ce protectionnisme vert européen – ce juste échange, si l’on préfère – qui équilibrera notamment la relation avec la politique américaine. Ce protectionnisme vert, c’est aussi la volonté de protéger nos économies en transition de ses concurrents qui méprisent l’environnement, le climat, ainsi que les droits sociaux et humains.

Le Conseil de l’Union européenne a adopté jeudi dernier sa position concernant la directive sur le devoir de vigilance. Sur ce point, on ne peut pas dire que le gouvernement français ait joué un rôle positif, puisque le secteur financier est de facto dégagé de toute responsabilité. Oui, le gouvernement français, champion du devoir de vigilance dans ses discours, a affaibli l’ambition du projet de directive européenne la semaine passée, entraînant avec lui l’Espagne et l’Italie. Pour rappel, les banques françaises ont investi plus de 743 millions d’euros dans la déforestation du Brésil. On ne peut pas ainsi les exempter de toute responsabilité, alors qu’a été votée la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre !

Dans le détail, votre gouvernement a poussé le Conseil de l’Union européenne à adopter une version moins ambitieuse du texte, puisque les mesures d’évaluation et de prévention des risques auxquelles seront soumises les entreprises ne seront que facultatives pour les banques. Or sans obligation, pas d’action. Les banques pourront donc continuer leur soutien, comme BNP Paribas qui est le premier financeur des projets d’énergies fossiles en Europe.

Pourtant, la France était le premier pays en 2017 à avoir inscrit dans son droit le devoir de vigilance. Qu’est devenu notre rôle de leader européen pour défendre des ambitions élevées en matière de défense des droits humains et de l’environnement ? Force est de constater que les lobbies ont du talent et que les intérêts sont ailleurs…

Le texte adopté par le Conseil de l’Union européenne est décevant. Il exclut la possibilité pour des victimes d’agir en justice afin d’être indemnisées lorsqu’une entreprise a manqué à ses obligations environnementales. Le climat a également été exclu du texte final, tandis que les dommages environnementaux, en général, devront être identifiés, mais sans engager aucune responsabilité. Aurons-nous une « loi d’apparence », pour reprendre les mots de Dominique Potier, le père de cette loi pionnière française ?

Heureusement, le Parlement européen n’a peut-être pas dit son dernier mot. Espérons qu’il pourra peser dans la négociation, comme il l’a fait pour l’accord historique intervenu la nuit dernière, qui vise à protéger les forêts du monde et à garantir aux Européens que les produits qu’ils mettent dans leurs paniers de course ne participent pas à la déforestation.

En imposant aux entreprises un devoir de vigilance en matière de déforestation liée à leurs activités, c’est sur 16 % de la déforestation mondiale dont l’Europe est responsable que nous agirons. Des ambitions élevées ont été maintenues en incluant le caoutchouc, le charbon et les dérivés de l’huile de palme. Certes, le secteur financier a réussi son lobbying pour être exclu dans un premier temps du règlement, mais nous y reviendrons dans deux ans.

C’est une ambition politique de même ordre qui devrait animer le Conseil pour que le Fonds social pour le climat permette d’éviter la casse sociale liée à la nécessaire mise en place de la transition écologique. L’abandon pur et simple de l’extension du marché carbone à la route et au bâtiment serait désastreux de ce point de vue. Oui, il faut éviter de taxer les ménages, mais les usages commerciaux peuvent et doivent être imposés. Le dernier trilogue n’a permis aucune avancée sur ce point. Nous comptons sur une action résolue pour y parvenir.

Sortir de la dépendance aux énergies fossiles, aboutir rapidement à une politique d’approvisionnement et de maîtrise des coûts partagée, défendre le Green Deal au niveau qui s’impose, ne renoncer ni au volet relatif à la vigilance des entreprises ni au Fonds social pour le climat, telles sont nos ambitions pour ce nécessaire nouvel élan européen !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion