Intervention de Didier Marie

Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain vient clore une année qui aura profondément bouleversé l’Europe. Confrontée à la guerre à ses portes, l’Union a su réagir et se montrer unie comme jamais, mais elle a aussi vu ses faiblesses mises à nu.

Elle a tout d’abord été solidaire avec l’Ukraine sur le plan financier, avec le déblocage de 18 milliards d’euros, comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État.

Elle a été solidaire également sur le plan militaire, avec les 3 milliards d’euros que représente l’instrument Facilité européenne pour la paix, sous forme de livraisons massives d’armes, lesquelles, ajoutées au courage des Ukrainiens, ont permis dans un premier temps de résister à l’offensive russe, puis de contre-attaquer avec succès.

La solidarité a par ailleurs été humanitaire, avec la mise en œuvre pour la première fois de la protection temporaire, qui vient d’être prolongée jusqu’en mars 2024 et a permis l’accueil de plusieurs millions de réfugiés, dont 100 000 en France.

Enfin, l’Union a fait preuve de solidarité pour sanctionner la Russie, même s’il aura fallu discuter et si l’on pouvait vraisemblablement aller plus loin.

Tout cela est à saluer, et l’Europe doit rester unie et déterminée dans son soutien à l’Ukraine et la condamnation sans concession de l’agresseur qu’est la Russie.

Permettez-moi à cet instant, madame la secrétaire d’État, de vous dire mon étonnement d’avoir entendu le Président de la République aborder la nécessité de donner à M. Poutine « des garanties de sécurité », alors que lui n’adresse aucun signe de désescalade, bien au contraire, en transformant l’hiver en arme de guerre contre les civils et en détruisant impitoyablement les infrastructures énergétiques du pays. À nos yeux, ce n’est pas à nous de tendre la main ni le moment de le faire.

Si l’Union a su réagir, la guerre marque cependant un avant et un après pour l’Europe. Nos certitudes s’évanouissent.

L’Union européenne n’est plus protégée. Elle ne peut se défendre seule et délègue sa sécurité au parapluie militaire américain. Sa prospérité, fondée sur la pérennité de la paix, est ébranlée, comme son économie, qui reposait jusqu’à présent sur une énergie bon marché.

L’inflation s’installe, la récession menace, la crise énergétique frappe les ménages et fragilise notre tissu industriel. Notre démocratie elle-même vacille sous la désinformation, les ingérences étrangères et la montée des populismes, comme nous l’avons amèrement constaté en Suède et en Italie.

L’Europe doit faire front, conforter son unité et ne pas céder à la fragmentation. Nous devons assumer nos responsabilités, reconstruire nos souverainetés et réduire nos dépendances. Cela commence par un premier point d’urgence : les réponses à la crise énergétique.

Les divergences entre États nous font perdre un temps précieux. Si un accord a pu être trouvé sur le pétrole russe, il faut aller plus loin et conclure un autre accord sur l’achat de gaz en commun, créer un fonds européen de soutien aux ménages et aux entreprises, enfin découpler le prix de l’électricité et celui du gaz.

C’est une priorité absolue, et nous espérons que le récent rapprochement des points de vue entre la France et l’Allemagne pour une réforme structurelle du marché de l’électricité permettra d’aboutir très rapidement et évitera la menace de délocalisations de nos industries.

Ensuite, viendra le temps de bâtir notre indépendance énergétique en investissant massivement dans les énergies renouvelables, en évitant qu’une nouvelle dépendance au gaz de schiste américain, dont le prix est élevé, ou à l’Azerbaïdjan ne succède à celle que nous avions avec la Russie.

Se posera aussi la question de la sécurité de nos approvisionnements en matières premières – l’uranium, par exemple, aujourd’hui importé de pays peu sûrs et dont les déchets sont recyclés en Russie, seul pays habilité à cet égard et en mesure de le faire.

Le deuxième point d’urgence est l’inflation. À un niveau de 11, 5 % en moyenne en Europe en octobre dernier, elle fait peser de réels risques de récession. À ce sujet, le relèvement des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne (BCE) fait émerger de nombreuses inquiétudes, notamment pour l’accès au crédit.

Cette situation pose la question de notre politique budgétaire, ainsi que celle de la reconduite éventuelle du pacte de stabilité. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous éclairer sur la position que la France défend ?

Pour éviter la récession, bâtir notre autonomie stratégique, relever les grands défis climatiques et industriels, l’Europe doit investir. Pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur la faisabilité de la levée d’un grand emprunt communautaire afin de financer ces investissements, alors que le ministre allemand des finances ne lui apporte manifestement pas son soutien ?

Cette guerre nous affaiblit, après un épisode sanitaire qui avait déjà souligné nos dépendances et dans un contexte de tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine.

Nous devons, à la fois, renforcer notre politique industrielle commune, continuer d’agir pour réduire nos dépendances, rester solidaires et porter nos valeurs dans le contexte international.

À cet égard, les récents déplacements d’Olaf Scholz, puis de Charles Michel, à Pékin, et celui du président Macron, aux États-Unis, semblent s’inscrire dans une volonté de porter la voix économique et commerciale de l’Union européenne face à deux puissances certes différentes, mais qui n’ont ni l’une ni l’autre d’états d’âme.

Les objectifs de l’Allemagne sont-ils bien compatibles avec ceux du reste de l’Union européenne ? L’état des relations franco-allemandes a suscité de nombreuses réactions ces dernières semaines. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les convergences et les divergences entre nos deux pays ? Prévoyez-vous un nouveau Conseil des ministres commun, après l’annulation de la première initiative ?

Le Président de la République, lors de sa visite d’État aux États-Unis, a pointé le danger que représenterait l’Inflation Reduction Act, avec ses 370 milliards de dollars de subventions et d’allégements fiscaux attribués aux entreprises américaines engagées dans la transition vers une économie décarbonée. Très bien. Mais ne soyons pas naïfs : les Américains ne nous épargneront pas. Nous devons bien évidemment négocier, mais aussi, parallèlement, nous protéger.

Aussi, madame la secrétaire d’État, à quand un Buy European Act, comme le demande le Parlement européen depuis de nombreuses années ?

Enfin, cette guerre aux portes de l’Europe nous interroge sur le positionnement géostratégique de l’Union européenne et ses relations de voisinage.

La question de l’élargissement est ainsi revenue sur le devant de la scène. Il est temps de mettre en œuvre une méthodologie clarifiée et harmonisée pour accélérer les négociations, répondre à l’envie d’Europe des peuples des Balkans occidentaux, de l’Ukraine et de la Moldavie et freiner l’influence croissante des puissances étrangères qui déstabilisent ces pays.

Le sommet UE-Balkans occidentaux, qui a lieu aujourd’hui, et le soutien d’un milliard d’euros pour faire face à la crise énergétique sont les bienvenus, mais il faut donner des gages supplémentaires à ces pays, tout en conservant un haut niveau d’exigence à l’égard des règles européennes.

Pour conclure, après six mois de présidence française et six mois de présidence tchèque, cette année 2022 aura permis certaines avancées, notamment sur la solidarité des Vingt-Sept à l’égard de l’Ukraine. Mais de nombreuses questions restent en suspens. Il est temps de passer de la parole aux actes, pour construire une Europe plus puissante, plus résiliente et plus ambitieuse. La France doit jouer un rôle moteur dans cette transformation.

Madame la secrétaire d’État, nous souhaitons que le Président de la République et vous-même fassiez preuve de diplomatie, de conviction et de fermeté lors de ce Conseil européen, pour engager enfin des avancées sur les nombreux sujets évoqués aujourd’hui.

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