Intervention de Gisèle Jourda

Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque nous avons défendu il y a quelques années ici, au Sénat, la proposition de résolution européenne visant à créer le Fonds européen de défense, nous avons entendu des réactions étonnées de personnalités émérites – y compris d’un ancien ministre des affaires étrangères ! –, pour lesquels la paix paraissait durable.

Je n’insisterai pas sur le sujet qui a déjà été abordé par les intervenants précédents, mais la guerre est aujourd’hui malheureusement si proche qu’elle a nécessité de la réactivité de notre part. Après le défi sanitaire auquel l’Europe a dû faire face, il a fallu essayer d’apporter des réponses, ce qui n’a pas été si simple… La réactivité européenne est faite de diversité, et nous n’avons pas tous les mêmes objectifs ou les mêmes façons d’y parvenir.

J’évoquerai ce soir les questions de voisinage, de sécurité et de défense. Alors que la défense européenne n’était plus qu’un vain fantasme pour certains – peu nombreux – qui osaient penser plus loin que l’Otan, et alors que le Fonds européen de défense, pour la création et l’abondement duquel nous nous étions battus, avait été siphonné pour faire face au covid-19, l’Europe s’est enfin décidée à faire siens les mots d’autonomie et de boussole stratégique.

Au-delà de l’aide militaire inédite apportée aux forces armées ukrainiennes et de la décision de faire entrer l’Ukraine et la Moldavie dans le processus d’élargissement, le premier semestre de 2022 a été marqué par l’adoption du premier Livre blanc de la défense européenne.

Cette boussole stratégique européenne a fait l’objet d’un accord unanime des États membres à l’occasion du Conseil européen du 25 mars dernier : il convient de s’en féliciter, tout en restant vigilants. D’après les statistiques de l’Agence européenne de défense, les acquisitions communes de matériels atteignent seulement 18 % des dépenses de défense. C’est deux fois moins que l’objectif de 35 % fixé dans la boussole.

Ce soutien politique est inédit et doit reposer sur un triptyque : la stratégie, la technique et la crédibilité.

L’Union européenne devrait prochainement se doter enfin de la base industrielle et technologique de défense (BITD) autonome, qui sera le fondement technique de son indépendance.

Désormais, l’Union doit mettre en œuvre la feuille de route fixée par la boussole stratégique : c’est une condition nécessaire pour garantir sa crédibilité sur la scène internationale.

Cette stratégie, c’est d’abord la lecture partagée des menaces auxquelles l’Europe doit faire face. C’est aussi le renforcement de la capacité d’action rapide, de commandement et de contrôle. C’est également le renforcement de la coopération face aux menaces hybrides, dans des domaines tels que le renseignement, le cyber, l’espace ou la lutte contre la désinformation. C’est ensuite la question des investissements communs en matière de capacités militaires. C’est enfin les partenariats stratégiques de l’Union.

Il reste une série de questions qui n’ont pas encore été abordées et que je résumerai en une phrase : la défense européenne est-elle un projet visant la coopération ou l’intégration ?

Tant que nous ne clarifierons pas ce que notre politique de défense commune est censée représenter au sein de la construction européenne, nous ne serons en mesure ni de comprendre ce que l’Union doit faire et ne doit pas faire, ni de départager les attributions respectives de l’Union et de l’Otan.

En effet, le retour de la guerre n’est plus une hypothèse d’école. L’inacceptable agression russe perpétrée en Ukraine en est une preuve sanglante. Notre action ne sera crédible qu’à la condition que nous réalisions les efforts techniques et stratégiques nécessaires.

Depuis le 23 juin dernier, la politique de voisinage et d’élargissement de l’Union européenne est entrée dans une phase complètement inédite.

Dès lors, comment valoriser, dans le processus d’élargissement, les efforts incontestables réalisés par l’Ukraine et la Moldavie dans le cadre du partenariat oriental ? Doit-on prendre en compte les acquis obtenus dans le cadre de l’accord d’association, ou ces pays doivent-ils repartir de zéro dans cette longue procédure ?

Quid de la Géorgie, bon élève du partenariat oriental ? Nous ne pouvons pas dire qu’elle ne remplissait pas les critères, ce serait inexact.

Au début du mois d’octobre dernier était organisée la première réunion de la Communauté politique européenne (CPE), voulue par le Président de la République, pour permettre, selon lui, « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération ».

Prompte à saluer toute initiative de coopération, je m’interroge sincèrement sur le fonctionnement de nos instances européennes et internationales existantes : ne sont-elles pas censées être déjà cet espace ? La CPE n’est-elle pas un doublon du Conseil de l’Europe, puisqu’elle en a le même périmètre ? Comment se passeront les futures réunions prévues en Moldavie et en Espagne ?

Je m’interroge : si nous n’arrivons pas à trouver des positions communes à 27, allons-nous y parvenir à 44 ? Et il y a un risque grave, celui que l’Union ne s’écartèle sous le poids des ensembles régionaux devenus trop puissants, ou qu’elle ne se détruise en raison d’intrusions de superpuissances bien mieux organisées que nous.

Le succès de la nouvelle phase de la politique d’élargissement qui s’est ouverte cet été reposera sur la capacité de l’Union européenne à faire preuve de pragmatisme et à développer des coopérations concrètes avec nos partenaires. La CPE peut en être l’un des éléments.

Entre une adhésion accélérée illusoire et une procédure interminable aux effets délétères, la CPE a au moins le mérite d’arrimer rapidement à l’Union les pays aspirant à la rejoindre.

Je conclurai en demandant la mise en œuvre d’un plan de relance du partenariat oriental. Un accord d’association était en voie d’établissement avec l’Azerbaïdjan. Où en sommes-nous ? N’abandonnons pas le partenariat oriental : c’est un outil qu’il ne faut pas négliger !

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