Intervention de Jean-Michel Arnaud

Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Photo de Jean-Michel ArnaudJean-Michel Arnaud :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours du Conseil européen, nous tenons ce traditionnel débat parlementaire visant à éclaircir les différents points qui y seront abordés.

Pour commencer, le conflit russo-ukrainien demeure le plus grand défi actuel de l’Union européenne. Dans une guerre unilatéralement déclarée par la Fédération de Russie, nous devons évidemment rester aux côtés du peuple ukrainien et de son gouvernement.

Alors que les soldats des deux armées creusent des tranchées et que les combats font rage, comme à Bakhmout où opère la sinistre milice Wagner – l’armée de l’ombre de Poutine –, une issue diplomatique semble impossible à court terme. Nous y sommes donc : la guerre de mouvement fait place à une guerre de positions.

Ces termes ne sont pas anodins pour nous, Français, puisqu’ils renvoient au premier conflit mondial, qui a marqué à jamais notre pays.

Nous devons aujourd’hui puiser dans les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Il s’agit de prévenir tout embrasement militaire à l’échelle continentale. C’est pourquoi le soutien, tant militaire qu’humanitaire, en faveur de l’Ukraine doit se poursuivre et s’intensifier.

Aussi, pour paraphraser la devise européenne, nous avons l’impérieuse nécessité de rester « unis dans la diversité ».

Unis, comme cela fut le cas lors de l’adoption de plusieurs paquets de sanctions, dont les effets limités restent toutefois perceptibles, puisque le PIB russe a diminué de 4 % en 2022.

Solidaires, aussi, en matière de défense : l’envoi de troupes françaises, tchèques, italiennes ou encore belges dans les États limitrophes de la Russie participe à maintenir une posture commune face à Moscou. J’ai une pensée particulière pour nos soldats mobilisés, tout particulièrement pour le 4e régiment de chasseurs alpins de Gap, dans mon département des Hautes-Alpes, qui est actuellement stationné en Roumanie.

Mes chers collègues, quand les démons du passé frappent aux portes du présent, il est de notre devoir de démocrates de faire triompher la raison sur la passion, l’humanité sur la brutalité.

Oui, cette guerre a définitivement été un révélateur des forces et faiblesses de l’Union européenne à tous les niveaux. Si j’ai mis en avant la réaction unanime et concertée des États membres face à l’agression russe, il ne faudrait pas pour autant occulter nos erreurs collectives et ne pas en tirer d’enseignements.

Je pense, par exemple, aux décennies de débats autour de l’autonomie militaire de l’Union, qui nous fait aujourd’hui défaut. Si la France a toujours été proactive sur ces sujets, de nombreux États membres ont souvent repoussé les discussions aux calendes grecques. L’accroissement des dépenses militaires annoncées par l’Allemagne ou encore la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande vont dans le bon sens, mais ce n’est que le début du processus.

L’autonomie stratégique au niveau européen est une assurance vie face aux futures mutations géopolitiques, dans un ordre mondial toujours plus troublé.

Néanmoins, autonomie ne signifie pas isolationnisme. C’est pourquoi je m’inscris dans les récents propos du Président de la République, qui, à l’occasion de sa visite d’État aux États-Unis, a appelé à renforcer « l’intimité stratégique » entre les deux côtés de l’Atlantique. Nous sommes des frères d’armes, a-t-il dit, et je suis d’accord avec lui.

Cette nécessaire autonomie s’applique également au secteur énergétique, comme l’ont souligné certains orateurs. Le développement des énergies renouvelables au sein d’un mix énergétique doit être favorisé à l’échelle européenne. En effet, les situations se révèlent très disparates : alors que la Hongrie dépend à 80 % de la Russie pour ses besoins en gaz, d’autres États, comme la France, possèdent une autonomie énergétique relative.

Je dis bien « relative », car il est question non pas uniquement de la production, mais de l’ensemble de la filière : des matières premières à la commercialisation, en passant par le traitement des déchets. Car oui, comme vous l’avez sans doute lu dans la presse récemment, mes chers collègues, l’unique entreprise capable de recycler l’uranium de nos centrales nucléaires est russe ! Le groupe Orano continue donc d’expédier de l’uranium vers l’usine de Seversk, en Sibérie, appartenant au groupe Rosatom.

En parlant de dépendance économique, je souhaite également évoquer la récente annonce par le gouvernement américain d’un Inflation Reduction Act.

Ce plan de réformes, qui couvre aussi bien la santé que le soutien aux entreprises, comprend en particulier un volet climat. Près de 400 milliards de dollars serviront à financer des mesures sur dix ans, qui doivent permettre aux États-Unis d’atteindre leur objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour les particuliers, cela signifie, par exemple, une aide de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique ou un dispositif de soutien à l’installation de panneaux solaires.

Jusque-là, tout va bien, mais ces mesures concernent uniquement les produits et services provenant du sol américain ou nord-américain. Cette véritable clause de préférence nationale n’est pas sans conséquence pour les Européens, parce qu’elle met en danger nos industriels.

L’administration Biden va favoriser les Tesla américaines par rapport aux BMW allemandes et aux Renault ou Peugeot françaises. Il y a surtout un risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, tandis que des entreprises américaines qui avaient investi en Europe préféreront fabriquer sur le sol américain pour bénéficier des aides.

Cela a été rappelé à plusieurs reprises, ces mesures ouvertement protectionnistes vont à l’encontre des principes de libre-échange de l’OMC. C’est du moins ce qu’ont déclaré les ministres de l’économie allemand et français.

Face à cet état de fait, nous, Européens, devons réagir. Soit en négociant des dérogations, comme cela est le cas pour les Canadiens ou les Mexicains. Soit, comme l’a proposé le Président de la République, en établissant des dispositifs similaires, afin de sauvegarder les industries européennes et d’affirmer la place du vieux continent dans la compétition mondiale face à la Chine. J’attends, madame la secrétaire d’État, des précisions sur ce point.

Le dernier dossier que je souhaite aborder devant vous n’est pas le plus médiatisé, mais c’est celui qui a le plus d’écho dans les territoires ruraux : la nouvelle politique agricole commune (PAC).

Pilier de la construction européenne, l’ambition de l’autosuffisance alimentaire a toujours animé cette politique. Bien que plus de 387 milliards d’euros y soient consacrés jusqu’en 2027 avec des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux, deux écueils, et non des moindres, persistent.

Tout abord, les nouveaux objectifs s’inscrivent dans le Pacte vert européen visant à favoriser la transition écologique. Dans cette perspective, une étude du Joint Research Center a conclu que la mise en œuvre de cette démarche entraînerait une réduction de la production : de 10 % à 15 % dans les filières céréales, oléagineux, viande bovine et produits laitiers, de plus de 15 % dans le porc et la volaille et de plus de 5 % dans les légumes et les cultures permanentes.

J’alerte donc : la transition écologique dans le domaine agricole, c’est non pas produire moins, mais produire mieux.

Oui, il faudra bien nourrir nos concitoyens. Et si nos agriculteurs produisent moins au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous aurons recours aux importations depuis l’étranger, dont l’empreinte écologique est bien supérieure. L’écologie doit infuser toutes nos politiques agricoles, et elle doit se conjuguer avec les défis alimentaires à venir.

Ensuite, à la différence de l’ancienne PAC, la nouvelle prévoit que ce sont les États qui définissent les priorités du pays et les critères sur lesquels seront versées les aides vertes, dans le cadre d’un plan stratégique national. Que les États aient une marge d’appréciation ou d’adaptation pour la bonne application de la PAC, c’est une chose ; mais que chaque État fixe sa feuille de route, c’en est une autre.

Concrètement, nous assistons à une renationalisation de cette politique qui n’a plus que les fonds en commun. J’en appelle au Gouvernement, afin qu’il engage tous les moyens possibles pour préserver notre agriculture et nos agriculteurs.

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