Intervention de André Reichardt

Réunion du 6 décembre 2022 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les discussions du prochain Conseil européen seront une nouvelle fois dominées par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur notre continent. Néanmoins, les chefs d’État et de gouvernement débattront aussi à cette occasion des relations qu’entretient l’Union avec son voisinage méridional.

Nos liens avec la rive sud de la Méditerranée et, au-delà, avec le continent africain revêtent naturellement de multiples dimensions. Mais l’actualité récente – celle de ce qu’il faut bien appeler le fiasco de l’Ocean Viking, mais aussi celle, un peu plus ancienne, du drame de Melilla en juin dernier – vient nous rappeler à quel point la question migratoire reste prégnante.

Sept ans après le déclenchement de la crise de 2015, nous ne pouvons que constater combien l’Europe reste engluée dans ses contradictions, incapable d’opposer une réponse commune à des mouvements migratoires qui semblent toujours plus incontrôlés.

Dès 2016, pourtant, un premier paquet de réformes avait été proposé par la Commission Juncker. Malgré un certain nombre d’accords entre le Parlement et le Conseil, il s’est finalement heurté au mur des dissensions concernant la prise en charge des demandeurs d’asile. La Commission von der Leyen a donc repris le flambeau, mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces propositions sont elles aussi bloquées depuis deux ans.

La présidence tchèque, comme avant elle la présidence française, ne ménage pas ses efforts pour parvenir à un compromis. Quelques progrès sont certes à saluer, sur Eurodac ou sur le règlement Filtrage. Mais l’équilibre global, indispensable pour que la réforme puisse aboutir, semble toujours largement hors de portée – équilibre entre États, bien sûr, mais aussi entre institutions.

En effet, le Conseil, malgré ses divisions sur l’aspect solidarité, se retrouve largement sur certains points fondamentaux, comme la protection des frontières extérieures, le renforcement de la politique de retours ou l’attention accrue portée au modus operandi de certaines ONG en Méditerranée, qui se révèle parfois – je dirais même souvent – contraire aux règles et procédures définies par les conventions internationales.

Cette approche est malheureusement loin d’être partagée au Parlement européen, voire au sein de la Commission, où prévaut une ligne différente, qui s’apparente parfois à une consécration de facto d’un nouveau droit à la migration – je parle bien d’un « droit à la migration ». La Commission semble rejeter par principe un postulat pourtant fondamental : nul ne doit pouvoir entrer ou s’installer sur le sol européen sans y avoir été au préalable légalement autorisé.

Entre ces deux conceptions divergentes, l’Europe semble toujours incapable de trancher. L’agence Frontex et son désormais ex-directeur exécutif ont fait les frais de cette opposition entre le Conseil, la Commission et le Parlement, ainsi que des injonctions politiques contradictoires qui n’ont cessé d’en découler, alors même que Frontex a comptabilisé 281 000 passages illégaux des frontières de l’Union en une année, en progression – excusez du peu ! – de 77 % par rapport à l’année précédente…

Cette ambiguïté de l’Union maintient notre continent dans un tragique état de fragilité face aux phénomènes migratoires, le condamne à un certain nombre de psychodrames – la récente crise franco-italienne en est une parfaite illustration – et le contraint malheureusement à rechercher de vagues solutions d’attente.

La Commission a ainsi présenté le 21 novembre dernier un plan d’urgence en vingt points censé répondre à la hausse des flux en Méditerranée et aux mésententes des États membres concernant les opérations de recherche et de sauvetage. Un plan qui, dans les faits, ne prévoit rien de véritablement concret ni de très nouveau, notamment par rapport au mécanisme volontaire de solidarité mis en place en juin 2022.

En attendant, le nombre des arrivées et des demandes d’asile explose de nouveau. Quant à la politique de retours, la présidence tchèque constate que, malgré les outils mis en place, ses résultats restent médiocres.

Madame la secrétaire d’État, les institutions européennes ont signé une feuille de route avec en point de mire un accord d’ici à février 2024, soit l’ultime limite avant les prochaines élections européennes. Ce calendrier, avant tout basé sur des considérations politiques, risque malheureusement de ne pas être tenu. Il y a pourtant urgence à conclure ce dossier, qui n’a que trop duré et qui sape chaque jour un peu plus la crédibilité du projet européen vis-à-vis de nos concitoyens.

N’oublions pas non plus que, avec la crise de 2015, ce sont les fondations mêmes de l’espace Schengen qui ont vacillé, menaçant d’emporter avec elles le principe de libre circulation.

La question de l’asile et des migrations reste donc indissociable de celle du fonctionnement de l’espace Schengen. La réforme engagée, bien qu’elle soit loin de la « remise à plat » voulue il y a quelques mois par le Président de la République, apparaît néanmoins utile. Mais elle aussi n’avance que lentement. Et alors qu’elle n’a pas encore été menée à bien, la Commission et le Parlement européen viennent de donner leur aval à l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen, …

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