Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je souhaiterais à mon tour souligner que les délais accordés au Sénat pour l’examen de ce projet de loi ont été particulièrement contraints. Une telle manière de procéder n’est pas acceptable dans une démocratie respectueuse des droits du Parlement, a fortiori pour un texte technique exigeant un temps d’expertise nécessaire à l’appréciation des directives à transposer.
La commission des lois a été saisie de six articles du présent projet de loi. Elle y a apporté des modifications de nature à mieux ajuster les objectifs fixés par les directives à transposer aux spécificités de notre droit interne.
L’article 9 du projet de loi vise à habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la directive du 27 novembre 2019 sur les transformations, fusions et scissions transfrontalières. Cet article appelle trois observations.
D’abord, il soulève une question de méthode. Les habilitations à légiférer par ordonnance doivent demeurer une exception. Compte tenu de l’existence d’un avant-projet d’ordonnance en cours de finalisation et de l’échéance proche pour transposer la directive, en l’occurrence le 31 janvier 2023, la commission a décidé de réduire le délai de l’habilitation du Gouvernement à trois mois, au lieu de six mois.
Ensuite, la directive permet de faire un choix de transposition pour la participation des salariés au sein des organes de direction de la société. Lorsque les représentants de salariés constituent plus de 30 % des membres de l’organe de direction, l’État membre peut choisir de limiter la proportion à 30 % maximum. La commission des lois a estimé qu’une telle option était défavorable aux salariés. Elle a donc supprimé la possibilité offerte au Gouvernement de lever cette option.
Enfin, la directive, qui instaure un contrôle de légalité renforcé, anti-abus et antifraude, permet aux États membres de choisir l’autorité qui en est chargée.
La commission a confié la mission de contrôle préalable d’une opération transfrontalière au greffier du tribunal de commerce en raison, notamment, de leur expérience en matière de fusions transfrontalières, de la volonté exprimée par ces professionnels d’exercer ce contrôle et, enfin, de leur statut d’officier ministériel.
L’article 10 du projet de loi vise à modifier les dispositions du code de commerce qui prévoient une possibilité de dissolution judiciaire d’une société par actions dans le cas où ses capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié de son capital social. Cette sanction correspond à une surtransposition de la directive du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés.
Le projet de loi propose de remplacer la dissolution par l’obligation d’apurer les pertes au moyen d’une réduction du capital social, jusqu’à un minimum qui serait fixé par décret en Conseil d’État.
Cette modification maintient ainsi une double sanction, mais dans un délai plus long. Aux yeux de la commission des lois, elle a semblé justifiée au regard des conséquences économiques des crises récentes, ainsi que des nouvelles modalités de financement des sociétés, qui s’appuient, de nos jours, principalement sur l’endettement.
J’en viens à l’article 11, relatif au droit de la commande publique. Cet article étend aux infractions pénales les plus graves la possibilité, pour les opérateurs économiques sanctionnés en ce sens, de « démontrer » leur « fiabilité » en prenant des « mesures concrètes », afin de pouvoir soumissionner malgré une peine d’exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession. Ce mécanisme de régularisation affaiblit considérablement l’effet dissuasif des peines, qui peuvent pourtant être prononcées pour des infractions allant jusqu’à la traite des êtres humains.
Si les directives européennes de 2014 nous imposent la transposition de ce mécanisme de régularisation en droit interne, la commission a néanmoins complété le dispositif initial en inscrivant dans notre législation le principe selon lequel les mesures concrètes prises par l’opérateur économique font l’objet d’une évaluation tenant compte de la gravité de l’infraction commise. Cette précision reprend les termes des directives ; elle contribuerait non seulement à préserver le caractère dissuasif des peines d’exclusion des procédures de passation des marchés publics, mais aussi à améliorer la lisibilité du droit de la commande publique. Cette évaluation a été présentée par les services du Gouvernement comme « implicite ». Cela ne peut pas satisfaire les législateurs que nous sommes.
La commission des lois s’est penchée sur la transposition de la directive du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne pour ce qui concerne les agents publics des trois versants de la fonction publique.
L’article 17 du projet de loi vise à transposer dans le droit de la fonction publique l’obligation pour les employeurs d’informer les travailleurs des éléments essentiels de la relation de travail. Pour cela, un droit pour tout agent public à « recevoir de son employeur communication des informations et règles essentielles relatives à l’exercice de ses fonctions » serait consacré dans le code général de la fonction publique.
La liste des éléments précis qui seraient communiqués aux agents publics, ainsi que les modalités de cette communication seraient déterminées par un décret en Conseil d’État, renvoyant lui-même à un arrêté établissant les modèles des documents que les employeurs remettraient aux agents publics.
Les États membres avaient jusqu’au 1er août 2022 pour transposer la directive, si bien que la France est déjà en retard de plus de quatre mois.
Il est cependant permis de s’interroger sur la valeur ajoutée du nouveau droit à l’information ainsi créé, au-delà de la simplification opérée pour les agents publics. Une fois que les mesures d’application auront été prises, il conviendra également d’évaluer la charge de travail supplémentaire induite pour les employeurs publics.
Je vous propose d’adopter ces six articles tels que modifiés par la commission des lois.