Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quatre ans, la commission des affaires européennes assure une mission de veille pour prévenir les surtranspositions de textes européens dans le cadre de l’examen des projets et propositions de loi comportant des mesures de transposition en droit interne de directives ou des mesures d’application de règlements européens.
Elle formule des observations en tant que de besoin, c’est-à-dire lorsqu’elle constate qu’il est proposé d’aller au-delà de ce qu’impose le droit européen, sans justification documentée ou recevable. L’enjeu est ici de préserver la compétitivité de nos entreprises.
Cette mission, d’abord mise en œuvre à titre expérimental, a été inscrite en 2019 à l’article 73 sexies du règlement du Sénat. C’est dans ce cadre que j’ai saisi la conférence des présidents, qui a décidé de consulter la commission des affaires européennes sur le présent projet de loi.
Tout d’abord, relevons que le Gouvernement propose une démarche de transposition sectorielle par un véhicule dédié, ce qui permet, en principe, de mieux identifier les risques de surtransposition.
Pour autant, la brièveté des délais d’examen et la très grande diversité des sujets abordés n’ont pas facilité le travail d’analyse et la coordination entre les commissions, y compris celle que je préside.
Ensuite, les modifications qu’il est proposé d’apporter en droit interne sont d’inégale importance. La commission des affaires européennes a noté parmi les plus significatives la suppression d’une surtransposition résultant du choix d’une option plus exigeante, ouverte par une directive de 2017, en cas de perte grave du capital social souscrit. La commission des lois, sur le rapport de notre collègue Didier Marie, s’est prononcée favorablement sur l’opportunité de la démarche.
Par ailleurs, plusieurs transpositions sont tardives, et le seront plus encore dans les cas où le Gouvernement demande à procéder par voie d’ordonnance, avec des délais d’habilitation allant au-delà du calendrier prévu par le texte européen.
Il est ainsi proposé de recourir à des ordonnances dans sept cas, le Gouvernement motivant ce choix dès lors qu’il s’agit de transposer des textes techniques n’ouvrant pas de marge de manœuvre et dont la transposition en droit national nécessite des mesures d’adaptation et de coordination, ainsi que la définition de modalités d’application outre-mer.
Tel n’est pourtant pas le cas de l’habilitation sollicitée à l’article 8 pour la transposition de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite CSRD, qui a tout particulièrement retenu l’attention de la commission des affaires européennes.
Je le rappelle, en 2017, l’ordonnance de transposition de la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive), qui a précédé la nouvelle directive, avait introduit des dispositions plus exigeantes que celles que prévoyait alors le texte européen, en raison de l’expérience de la France en matière d’obligation de publication d’informations extrafinancières, qui résultait de la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, et de la loi de 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2.
Or l’habilitation sollicitée aujourd’hui pour la transposition de la directive CSRD est particulièrement large. Elle permet en effet, au-delà des dispositions de la directive, de procéder à des modifications des obligations des entreprises en matière d’enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance. Il pourrait en découler des obligations de transparence renforcée pour les opérateurs français, susceptibles d’emporter des effets concurrentiels négatifs au regard des autres opérateurs européens.
Si la commission des affaires européennes n’est pas compétente pour se prononcer sur l’opportunité d’obligations additionnelles ou d’une extension du champ d’application de la directive, il lui revient en revanche d’attirer l’attention sur le risque de surtransposition que recèle en l’état l’habilitation sollicitée par le Gouvernement. Ce dernier se donne neuf mois à compter de la promulgation de la loi pour publier une ordonnance, dont les conséquences pour les entreprises seront loin d’être négligeables.
La commission des finances et plusieurs de nos collègues ont identifié cette problématique, qui sera discutée lors de l’examen de l’article 8.