Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un honneur de pouvoir dire quelques mots après Mme la Première ministre dans ce débat portant sur la politique migratoire de notre pays, alors qu’un projet de loi sera examiné en premier lieu par la Haute Assemblée.
Ce texte, que je défendrai en lien parfait avec M. le garde des sceaux, prévoit quatre thèmes : la fermeté, la simplification, l’intégration et le travail ; je laisserai évidemment le ministre du travail développer le quatrième.
Le premier thème est la fermeté. Comme l’a dit le Président de la République dans sa campagne électorale, comme la Haute Assemblée l’a déjà réclamé et comme la Première ministre vient de le signifier, nous avons actuellement trop de difficultés à expulser des personnes sur notre sol dont nous ne voulons plus et qui commettent des actes délictuels graves, criminels ou qui sont fichés par nos services de renseignement.
Ces difficultés sont causées non pas par la jurisprudence des tribunaux ni par les engagements constitutionnels ou conventionnels de notre pays, mais par les règles que nous avons nous-mêmes fixées dans les années 2000, dans un contexte qui n’était pas celui que nous connaissons aujourd’hui.
Aussi s’agit-il de mettre dans la loi de la République la fin des réserves d’ordre public, c’est-à-dire la fin de la fin de la double peine, qui empêche le ministre de l’intérieur et les préfets d’expulser du territoire national toute personne ayant commis des actes graves. Je parle de personnes condamnées de façon définitive par les tribunaux à plus de cinq ans de prison pour des actes qui relèvent souvent des crimes : violences envers des femmes, des enfants ou des personnes dépositaires de l’autorité publique, trafics de stupéfiants, etc.
Aujourd’hui, il existe sept réserves d’ordre public ; nous proposons de n’en conserver qu’une, conformément à l’engagement international que nous avons défendu s’agissant des mineurs. Il appartient en effet à l’autorité judiciaire de suivre les mineurs qui commettent des actes délictuels ou criminels.
Nous proposons de lever les autres restrictions à l’expulsion des étrangers qui commettent des délits graves ou des actes criminels et d’inscrire dans la loi la possibilité pour le préfet de présenter ces personnes à l’expulsion, en respectant évidemment l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article prévoit un équilibre entre, d’un côté, le respect de la vie privée et familiale et le droit au séjour et, de l’autre, la défense de la sûreté nationale et la préservation de la sécurité publique.
Nous disons que nous ne devons pas nous autocensurer dans la loi et empêcher ces expulsions. Au total, 4 000 expulsions pourraient être prononcées et exécutées chaque année. Or nous n’en sommes qu’à 3 100 depuis deux ans, comme l’a rappelé Mme la Première ministre. Il appartient au juge de confirmer que l’équilibre entre la vie privée et familiale et les impératifs de sécurité nationale est respecté.
Nous proposerons donc au Parlement de supprimer ces réserves d’ordre public et d’effectuer un copier-coller de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
J’évoquerai à présent l’augmentation du nombre de places dans les centres de rétention administrative. Le Gouvernement a accepté, dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), un amendement du député Éric Ciotti tendant à augmenter de 3 000 le nombre de ces places. De tels centres sont nécessaires pour expulser plus facilement les étrangers qui commettent des actes de délinquance ou qui sont fichés pour radicalisation.
Les centres de rétention administrative présentent aujourd’hui une spécificité. Selon les dernières estimations, 92 % des personnes qui y sont placées ont un casier judiciaire ou sont suivies par les services de renseignement. Les étrangers en situation irrégulière qui sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais qui ne présentent pas de danger pour nos concitoyens n’y sont plus placés. D’autres formules sont privilégiées, comme l’assignation à résidence.
En tant que ministre de l’intérieur, j’ai aussi demandé que les enfants ne soient progressivement plus placés dans ces centres. C’est désormais le cas, sauf à Mayotte, territoire spécifique s’il en est ; nous en reparlerons au cours du débat.
À la demande de Mme la Première ministre et du Président de la République, nous inscrirons dans le texte que nous vous présenterons l’interdiction de placer des mineurs dans des centres de rétention administrative. Une fois que ce texte aura été voté, l’assignation à résidence sera la règle.
Outre leur aspect carcéral, les centres de rétention administrative ont pour spécificité d’accueillir des publics dangereux pour nos concitoyens, ce qui justifie l’augmentation considérable du nombre de places dans ces centres. En 2022, nous avons augmenté de 450 le nombre de ces places, malgré les contraintes liées au covid, et nous créerons celles qui ont été prévues par le Parlement dans la Lopmi. Celle-ci sera promulguée par le Président de la République dans quelques jours. Les mineurs, je le répète, n’auront plus à connaître ce type de rétention.
J’en viens à mon deuxième thème, les mesures de simplification, qui sont – Mme la Première ministre l’a souligné – inspirées directement du rapport du sénateur Buffet, président de la commission des lois. Celui-ci prévoit en effet de réduire de douze à quatre le nombre de procédures possibles pour contester des actes administratifs pris par les préfets de la République.
Les délais d’attente et les recours suspensifs empêchent notre pays de mener une politique d’immigration digne de ce nom. Nous n’arrivons pas à faire exécuter correctement les lois de la République. Lorsque les tribunaux nous donnent raison au bout d’un an ou deux, les personnes ne sont souvent plus expulsables, notamment parce qu’elles ont désormais une vie privée et familiale sur le sol de la République. Elles ont par exemple eu des enfants.
En revanche, pour ceux que nous accueillons au titre du droit d’asile, un an ou deux, c’est beaucoup trop long. Il leur faut travailler et s’intégrer pour pouvoir vivre dans le pays qui les accueille.
Nous proposerons donc une modification de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Le garde des sceaux reviendra sur cette question. Il s’agit pour nous de territorialiser la CNDA et d’instaurer un juge unique. Nous avons entendu la demande du Conseil d’État et de la CNDA de conserver une instance collégiale pour les arrêts de principe. Le texte que nous présenterons répondra, me semble-t-il, à la demande du Conseil d’État. Mais nous souhaitons, dans un souci d’efficacité et de rapidité, que l’immense majorité des décisions puissent être prises par un juge unique.
Par ailleurs, nous mettrons en place la visioconférence, et nous simplifierons le lien entre le refus de la demande d’asile – 70 % des demandes d’asile sont refusées – et la décision d’obligation de quitter le territoire français. Conformément à l’annonce du Président de la République lors de sa campagne électorale, le refus de la demande d’asile, soit par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), soit par la CNDA en cas d’appel, vaudra obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif aura ensuite quinze jours pour juger l’acte ainsi contesté.
Aujourd’hui, un demandeur d’asile doit attendre entre un an et un an et demi, voire deux ans pour obtenir une réponse. La loi Collomb a permis de réduire les délais de traitement des demandes par l’Ofpra de neuf mois à cinq mois, mais les délais de la CNDA sont malheureusement un peu trop longs, faute de moyens et de simplification, comme nous l’avons déjà dit. Ce que nous voulons, c’est que la demande d’asile complète de n’importe quel demandeur puisse être traitée en moins de neuf mois.
D’autres mesures de simplifications sont prévues. Elles sont très largement inspirées du rapport de François-Noël Buffet, qui, je le crois, a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois de votre assemblée.
Le troisième thème sur lequel je souhaite m’attarder est celui de l’intégration. Vous avez voté dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur une augmentation de 25 % des crédits relatifs à l’intégration, soit une hausse de plus de 100 millions d’euros, notamment pour l’apprentissage du français.
Comme l’a rappelé Mme la Première ministre, 25 % des étrangers en situation régulière sur notre sol parlent très mal le français et ont par conséquent beaucoup de mal à s’intégrer. Certes, des cours de français sont obligatoires, mais l’obtention d’un titre de séjour n’est pas conditionnée à la réussite d’un examen sanctionnant cet apprentissage.
Nous proposons donc que l’obtention d’un titre de séjour soit conditionnée à la réussite, et non pas simplement au passage, d’un examen de français et à l’adhésion aux valeurs de la République, conformément à ce que nous avons prévu dans la loi confortant le respect des principes de la République. En cas d’échec à cet examen, qui concernerait 270 000 personnes par an, le titre de séjour ne serait pas délivré, quand bien même il s’agirait d’une immigration familiale.
L’apprentissage du français est évidemment très important. Le ministre du travail reviendra sur le sujet, ainsi que sur les obligations que nous pourrons imposer. De telles dispositions relèvent du domaine réglementaire par le ministère de l’intérieur et demandent une révolution dans l’organisation des préfectures. Ces dernières doivent cesser de vérifier les titres de séjour de personnes qui sont depuis de nombreuses années sur le sol national, qui travaillent et qui n’ont pas de casier judiciaire. Ces titres doivent être délivrés automatiquement.
Il faut par conséquent concentrer le travail de l’intégralité des agents des préfectures d’abord sur les primo-arrivants. Il faut s’assurer que ces personnes parlent bien le français, qu’elles sont désireuses de s’intégrer, qu’elles peuvent avoir accès à un métier qui leur permette de faire vivre leur famille dans des conditions d’intégration acceptables. Le travail des agents doit ensuite être d’améliorer l’exécution des obligations de quitter le territoire français et de retirer leur titre de séjour à toute personne ayant un casier judiciaire.
Depuis la circulaire que j’ai prise à la demande du Président de la République, 92 000 titres de séjour ont été refusés ou retirés à des étrangers qui avaient une difficulté avec les règles de la République. L’étape suivante est de s’assurer que ces étrangers quittent bien le territoire national. Pour cela, il faut que les préfectures cessent d’ennuyer administrativement ceux qui ne posent aucun problème à la République et qu’elles se concentrent plus largement sur ceux qui lui en posent. Je pense que c’est ce que demandent les Français.