Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, une politique d’intégration doit naturellement envisager le travail comme un outil essentiel, car il est, selon nous, la seule manière durable pour un étranger arrivant sur notre territoire d’assurer sa subsistance. Par ailleurs, le contexte professionnel facilite grandement l’apprentissage de la langue et de la culture d’un peuple.
La France a, comme de nombreux pays, besoin de talents étrangers. Cela ne signifie aucunement que nous sommes déliés de notre obligation de former et d’accompagner nos compatriotes résidant sur notre territoire ; c’est une priorité dans notre marche vers le plein emploi. Cela signifie simplement que nous devons accompagner cette politique d’un recours subsidiaire au recrutement d’étrangers non communautaires pour faire face à nos besoins en compétences.
En réalité, nous le savons, nous avons déjà des procédures permettant l’introduction de main-d’œuvre étrangère, de talents venus de l’étranger. Nous savons aussi délivrer des titres de séjour à des personnes présentes depuis plusieurs années sur le territoire. Mais nous ne pouvons pas nous soustraire plus longtemps à une analyse lucide de notre système. Force est de constater qu’il est inefficace par plusieurs aspects, injuste par d’autres.
Notre système est inefficace, car il ne permet pas à de nombreux étrangers arrivés régulièrement sur notre territoire de se former et d’être accompagnés, puis d’exercer un emploi. Cela se voit dans les chiffres relatifs à la politique de l’emploi : au premier trimestre 2022, le taux de chômage des personnes étrangères était de 13 %, contre 7, 5 % pour l’ensemble de la population. Ce rapport ne varie ni en période de crise ni en période de croissance.
Nous enfermons dans l’illégalité des étrangers présents depuis longtemps sur notre territoire et travaillant notamment dans des secteurs en tension. Ils sont pourtant essentiels à la prospérité et au développement de notre pays. Ils sont le plus souvent déclarés, ils paient des impôts, des cotisations. Mais leur situation relève parfois de la traite des êtres humains.
L’absence de droit au séjour les rend vulnérables et précaires. Il arrive aussi que des employeurs peu scrupuleux les obligent à travailler parfois plusieurs semaines sans repos ou encore à être hébergés dans des conditions indignes. Ce constat ne vaut évidemment pas généralisation, mais nous savons que de telles situations existent.
Progresser sur le sujet, c’est progresser sur l’ensemble des conditions de travail en supprimant ces situations du pire et en revenant à un socle commun pour l’ensemble des salariés.
Ce constat partagé nous oblige. Nous devons sortir du système perdant-perdant. Il nous incombe de faire plus pour lutter contre le travail illégal et le travail dissimulé.
Des étrangers présents depuis plusieurs années sur le territoire, travaillant depuis plusieurs mois en France et exerçant un métier en tension sont en situation irrégulière, sans porte de sortie. Ils travaillent, s’intègrent, veulent s’intégrer ou sont intégrés. Ils demeurent pourtant sans droit au séjour ni au travail.
Nous souhaitons que ces étrangers puissent obtenir un titre temporaire, pour une année renouvelable. Il faut leur permettre de travailler légalement dans un secteur en tension de main-d’œuvre. Ils pourront ensuite s’insérer dans un parcours plus classique, toujours par le travail et par la langue. Cela s’appelle tout simplement l’intégration. C’est ce que nous voulons promouvoir, comme le ministre de l’intérieur et moi l’avons déjà indiqué.
Certains feignent de penser que nous allons ainsi favoriser le travail des étrangers au détriment des Français. C’est faux par construction. Les secteurs en question ont besoin de main-d’œuvre. Les étrangers dont nous parlons ne prennent le travail de personne. Ils occupent un emploi pour lequel il est bien difficile de recruter. Par ailleurs, nous n’avons pas abandonné l’important effort de formation de l’ensemble des actifs et notre objectif de plein emploi.
L’introduction de ce titre de séjour est d’ailleurs une demande forte de nombreuses entreprises, qui souhaitent pouvoir accompagner la régularisation de celles et ceux qui travaillent pour elles.
Dans ce même état d’esprit, nous avons d’ores et déjà entamé la révision de la liste existante des métiers en tension. Elle comporte quelques incongruités, quelques manques. Les métiers de la restauration y sont par exemple aujourd’hui peu présents, tout comme ceux de la propreté. Cette liste devra donc demain être plus en phase avec la réalité des tensions de recrutement.
Si l’on observe la part des emplois en tension occupés par des étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, on ne peut que constater la lenteur et la faiblesse des sanctions infligées.
C’est une certitude, la lutte contre le travail illégal passera par des sanctions applicables plus facilement et plus rapidement.
Il existe aujourd’hui des sanctions pénales, que nous ne prévoyons pas de modifier, car elles sont nécessaires au traitement des situations les plus graves, lorsque sont manifestes l’intentionnalité et la dégradation des conditions de travail.
Il existe aussi des sanctions administratives. Je pense par exemple à la possibilité pour les préfets de fermer un établissement pour une durée maximale de trois mois. C’est une sanction lourde, dont nous devons faciliter l’application.
Il nous faut aussi une sanction administrative calibrée pour être plus systématique, comme une amende de plusieurs milliers d’euros par emploi illégal. Cette sanction n’aurait pas un caractère automatique, mais serait déployée en fonction de l’appréciation d’un certain nombre de critères comme les ressources, les charges, mais aussi, et peut-être surtout, l’intentionnalité, le contexte et la gravité.
Enfin, l’intégration passe à l’évidence par la langue, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur. Or bien des employeurs comptent sur la main-d’œuvre étrangère pour faire tourner leur entreprise. Il ne serait donc pas anormal qu’ils contribuent à la réussite de l’intégration de leurs salariés par la langue.
Nous avons ouvert un dialogue avec les partenaires sociaux pour examiner avec les opérateurs de la formation, par le financement de la formation continue et par la possibilité de libérer des heures sur le temps de travail, la façon dont nous pourrions mettre à contribution les employeurs pour la formation en français de leurs salariés étrangers.
Nous abordons ce débat sans naïveté, en voulant ne plus être les complices passifs d’injustices existantes. En ce qui concerne le travail des étrangers, nous agissons sans naïveté ni idéalisme, mais en faisant preuve de réalisme et avec la volonté de protéger les travailleurs comme les chefs d’entreprise qui n’ont pas d’autre choix.