Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui est censé anticiper celui que nous aurons, au début de 2023, sur un nouveau texte de loi sur l’immigration. Ce sera le vingt-neuvième en quarante ans !
En prélude à ce projet de loi, vous avez publié, le 17 novembre dernier, une circulaire mettant gravement en cause le droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence pour les étrangers, contre laquelle les structures d’accueil et les associations sont vent debout. La discussion commence donc très mal.
S’il partait sur de telles bases, votre texte de loi pourrait être un nouvel appel d’air à tous les débordements, à tous les fantasmes sur la subversion migratoire ou sur les assimilations entre immigration et délinquance, qui pourrissent le débat public depuis tant d’années. L’hystérie soulevée par l’arrivée du navire Ocean Viking en est le dernier exemple.
Pourrions-nous, au contraire, enfin débattre sérieusement et sereinement ? Les migrations sont un enjeu essentiel du monde et de l’époque actuels.
Depuis toujours, la France, comme d’autres grandes démocraties, s’est construite en accueillant des migrants. Pendant longtemps, c’est aussi cela qui a contribué à faire de la France, aux yeux des peuples du monde, la patrie des droits de l’homme. Mais, rompant avec cette histoire au fil des lois régressives, nous sommes devenus l’un des pays les plus restrictifs d’Europe, car, loin des fantasmes, telle est la réalité des chiffres.
Nous vivons une grave crise de l’accueil. Indigne des droits humains, le traitement des migrants est de plus en plus dégradant, en France et en Europe.
Oui, il faut débattre, car les causes des migrations sont multiples. Guerres, pauvreté extrême, violences faites aux femmes, répression des droits humains, catastrophes climatiques jettent des millions de femmes, d’hommes et d’enfants sur les routes de l’exil.
La mondialisation aussi a changé bien des choses, car les habitants de la planète, où qu’ils vivent, considèrent que les inégalités mondiales et le « deux poids, deux mesures » dans le traitement de la vie humaine ne sont plus acceptables. Agissons-nous contre ces inégalités et ces insécurités mondiales ? Bien au contraire, la politique des pays les plus riches, comme le nôtre, ne cesse de les renforcer.
Citons quelques exemples : les opérations militaires à répétition, qui déstabilisent nombre d’États du Sud et du Proche-Orient, les ajustements structurels et les traités de libre-échange, qui laissent exsangues les services publics de ces pays et assignent leurs économies à l’extraversion, à l’encontre de leurs besoins de développement interne, le contrôle monétaire que nous continuons d’exercer sur les pays de l’Afrique de l’Ouest, via l’ex-franc CFA, qui empêche ces derniers de financer leur développement, ou encore les atermoiements face à la crise climatique, dont témoigne l’échec de la COP27.
C’est de tout cela que nous devrions parler, si nous voulions débattre sérieusement des migrations. Mais nous n’allons pas en parler, et certains nous rediront avec des mots nouveaux que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Chaque fois que des solutions concrètes sont mises sur la table pour traiter les causes réelles des désordres mondiaux et les conséquences qu’elles entraînent, elles sont balayées d’un revers de main.
L’arrivée des réfugiés fuyant la guerre en Syrie aurait pu signer une nouvelle prise de conscience en Europe. En 2016, Angela Merkel avait déclaré courageusement : « Nous y arriverons ! » Ce fut l’échec et le retour des murs et des barbelés.
En 2021, après la prise de Kaboul par les talibans, Emmanuel Macron ne trouvait plus qu’à s’inquiéter face au risque des flux migratoires irréguliers.
L’Europe a tourné le dos à ses devoirs d’accueil et de solidarité humaine. La présidence française de l’Union européenne a passé son tour sur le pacte asile et immigration. Aujourd’hui, le non-respect des clés de répartition solidaires à l’échelle européenne, un temps évoqué, associé à l’absurde règlement de Dublin, entraîne souffrance et indignité sur le continent.
Nous vivons la multiplication des camps d’exilés et des violences condamnables aux frontières, avec des dizaines de milliers de morts en Méditerranée, dans la Manche ou sur la route des Balkans.
L’Europe n’a plus qu’une obsession : externaliser le traitement des migrants et marchander les reconduites aux frontières avec les pays de départ, plutôt que de considérer ces États comme des partenaires pour la coopération et le développement.
Ces politiques, qui n’arrêteront rien, tant les causes des migrations sont profondes, ne font que favoriser les contournements et les migrations irrégulières, quand il faudrait au contraire travailler à des voies légales et sécurisées de migration.
Ces voies légales et sécurisées sont possibles, car sinon, comment expliquer que l’Europe puisse accueillir, à juste titre d’ailleurs, plusieurs millions d’Ukrainiens ? Un Afghan fuyant les talibans, une Nigériane fuyant un mariage forcé ou l’excision, un Congolais fuyant les massacres, une famille du Pakistan fuyant les inondations valent-ils moins à nos yeux ?
De tout cela, nous ne débattrons probablement pas. Votre projet, pour ce que nous en savons – nous ne disposons pas encore du texte –, semble vouloir se concentrer sur deux sujets, qui sont présentés comme les deux faces d’une même pièce : la régularisation par le travail pour les uns, l’accélération des expulsions pour les autres. Vous nous demandez donc de nous concentrer sur la situation de ceux qui sont déjà entrés sur notre sol.
Concernant la question du travail, vous connaissez notre position. Elle est claire : nous sommes pour la régularisation de tous ceux qui travaillent. Les grèves de sans-papiers ont montré clairement que des filières entières emploient ces travailleurs sans les déclarer, au vu et au su de tous.