Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons amorcé cette discussion il y a quelques semaines à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », et les élus du groupe du RDSE n’ont pas changé de position depuis lors.
La politique d’immigration compte, pour notre pays, parmi les questions les plus difficiles. Elle est sujette aux fantasmes et aux peurs parfois irrationnelles. Dès lors, le devoir d’une République modérée est d’éviter les écueils populistes pour aboutir à une solution équilibrée.
Toutefois, il existe une autre dérive qui doit attirer l’attention du législateur et, partant, celle du Gouvernement : la tentation de faire une loi simplement pour dire que l’on a légiféré.
Monsieur le ministre de l’intérieur, je sais que vous défendez de véritables ambitions. Je ne les fais pas toutes miennes : c’est le jeu de la démocratie. Seulement, le Parlement a déjà adopté en septembre 2018 le projet de loi, défendu par Gérard Collomb, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. C’était il y a quatre ans, autrement dit il n’y a pas si longtemps !
Quel est le bilan de ce texte ? Qu’en est-il des garanties d’exercice et d’effectivité du droit d’asile qu’il devait apporter ? Presque dix de ses articles étaient censés renforcer l’efficacité et la crédibilité de la lutte contre l’immigration irrégulière : qu’en est-il également ? Qu’en est-il, en particulier, de la mise en œuvre des mesures d’éloignement et des dispositions relatives à la rétention administrative, à commencer par l’allongement de cette dernière à quatre-vingt-dix jours ?
En outre, avant de légiférer de nouveau, il serait légitime que nous puissions analyser la réduction de cent vingt à quatre-vingts jours du délai prévu pour déposer une demande d’asile. Dans nos départements, le constat n’est pas à l’amélioration de l’accueil ou du traitement des dossiers : cette mesure devait pourtant réduire le délai de réponse dans les situations difficiles.
Puisque nous devrions bientôt légiférer, cet état des lieux nous permettrait de savoir où et comment agir efficacement.
Au cours des derniers mois, le débat relatif à l’immigration a été dominé par deux enjeux : l’effectivité des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et la place des travailleurs irréguliers.
J’espère néanmoins que les autres sujets ne seront pas écartés. Je pense, par exemple, à l’amélioration de l’accompagnement des personnes étrangères les plus vulnérables, qu’il s’agisse des victimes de violence ou des mineurs isolés, ou encore à l’accompagnement des familles, une question chère aux élus du groupe du RDSE.
Nous allons beaucoup parler des OQTF, et c’est normal, car ce dispositif pose manifestement problème. D’après les données dont je dispose, la France délivre en moyenne 120 000 OQTF par an, dont moins de 10 % sont exécutées : ces chiffres et l’écart qu’ils traduisent montrent bien l’absurdité de ce rouage administratif, particulièrement pesant tant pour notre nation que pour ceux qui, de facto, sont l’objet de décisions quasi aléatoires.
Cette situation d’ensemble justifie de repenser les différents mécanismes qui entourent les OQTF : il s’agit d’en améliorer l’application, en les rendant plus efficaces et plus humaines.
Dans cet esprit, nous défendrons la simplification du contentieux des étrangers, à condition qu’elle garantisse à ces derniers un droit effectif à contester les décisions de l’administration tout en assurant un meilleur traitement des recours et la bonne administration de la justice. Bien sûr, nous examinerons ces mesures avec vigilance.
On propose de généraliser les audiences à proximité des centres de rétention administrative (CRA) ou par moyens audiovisuels, pour éviter les déplacements des personnes retenues : pourquoi pas ! On suggère aussi de créer des pôles territoriaux labellisés pour la gestion du droit d’asile : une nouvelle fois, pourquoi pas ! Mais il ne faut pas que ces dispositifs deviennent des contraintes pour les personnes migrantes en entravant leurs droits.
En parallèle, il faut trouver le moyen de désengorger les préfectures : nous l’entendons. Dans de très nombreux cas, on constate en effet que les décisions préfectorales sont faciles à annuler devant le juge, au motif que de mauvaises appréciations de l’administration ont conduit à de mauvaises décisions.
Toutefois, ce désengorgement passera nécessairement par la baisse du nombre d’OQTF, pour que chacune d’elles soit mieux instruite et ainsi juridiquement fondée. La politique du chiffre, consistant à prononcer des OQTF dans des proportions massives, se révèle inefficace en pratique.
La surpopulation des centres de rétention administrative confirme, à sa manière, l’inefficacité de notre politique de contrôle de l’immigration : ces structures ne sont pas à même de faire face aux flux que nous connaissons. À ce titre, j’espère que nous serons en mesure d’apporter des solutions concrètes.
Entre autres mesures utiles, on a annoncé la possibilité de mettre en place un titre de séjour « métiers en tension ». Cette mesure n’inspire pas d’a priori de principe aux membres de notre groupe, loin de là. Chacun sait qu’actuellement de nombreux immigrés en situation irrégulière travaillent sans être déclarés. Ce travail illégal permet d’offrir de la main-d’œuvre à des secteurs en tension.
Je pourrais citer de nombreux exemples. Certains cas sont mis en lumière : ici, un artisan boulanger pour lequel un village se mobilise, ailleurs un apprenti boucher. Ces personnes ont de la chance, mais il y en a des milliers d’autres qui travaillent sur les marchés, dans la restauration ou encore dans les métiers du bâtiment.
Tous travaillent pour notre pays, et leurs métiers sont souvent essentiels au quotidien de nos concitoyens. Pour autant, ils sont en situation irrégulière : ces travailleurs et leurs employeurs sont donc placés dans une précarité difficile à admettre – ces emplois instables vont de pair avec une faible rémunération et sont privés de tout dispositif de sécurité sociale.
Monsieur le ministre de l’intérieur, pour ce qui concerne ce titre de séjour spécial, nous vous disons donc une fois de plus : pourquoi pas ! Mais à une condition : qu’il soit effectif, dans le respect du droit du travail, sans aucune dérogation.
En d’autres termes, notre position est la suivante : d’une part, il n’est pas question d’offrir aux entreprises une main-d’œuvre à bas coût pour certains métiers boudés par les résidents nationaux ; de l’autre, ce dispositif devra impérativement être assorti de mécanismes de contrôle et de sanctions lourdes pour les entreprises qui continueraient de recourir au travail non déclaré.
Vous l’aurez compris : le projet de loi annoncé suscite de grandes attentes de la part des élus du groupe RDSE, et nous resterons pleinement mobilisés pour vous accompagner lors de l’examen de ce texte.