Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 13 décembre 2022 à 14h30
Politique de l'immigration — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Gérald Darmanin :

Si trente textes ont été pris en quarante ans, c’est parce que la situation est difficile, en raison d’une jurisprudence complexe, des engagements internationaux de la France et des phénomènes migratoires liés à la déstabilisation de certains pays. Quoi qu’il en soit, les trente textes en quarante ans ne sont pas un argument valable, puisque nous n’en avons présenté qu’un seul en six ans.

Enfin, vous avez parlé des personnes en situation irrégulière, que nous acceptons en trop grand nombre et que nous n’avons pas régularisées.

En 2012, lorsque M. Hollande est arrivé aux responsabilités, 208 000 irréguliers sur le territoire national étaient inscrits à l’aide médicale d’État (AME). Par nature, nous ne connaissons pas exactement le nombre d’irréguliers, mais l’AME reste le chiffre le moins contestable, car un grand nombre d’irréguliers s’y inscrivent pour pouvoir se faire soigner.

En 2017, ils étaient 315 000, ce qui représente une augmentation de plus de 100 000 personnes sous votre responsabilité ! Certes, sous le quinquennat du président Macron, ce chiffre est passé de 315 000 à 350 000, notamment car nous ne pouvions pas, en 2020 et 2021, renvoyer des étrangers dans leur pays à cause de la crise de la covid, l’espace aérien étant fermé.

Cette augmentation est certes importante et elle mérite d’être régulée, monsieur le président de la commission des lois, mais elle n’a rien à voir avec l’augmentation exponentielle que vous avez connue, monsieur le sénateur Leconte.

À l’époque, d’ailleurs, vous n’avez pas eu le courage, contrairement à notre Première ministre et au ministre du travail, de proposer des régularisations par le biais d’une loi. Vous avez préféré faire passer la circulaire Valls, dont je rappelle qu’elle proposait 30 000 régularisations – 23 000 au titre du rapprochement familial et 7 000 au titre du travail.

Ne donnez pas des leçons de régularisation et d’humanité quand vous n’avez pas été capables, en votre temps, d’assumer vos responsabilités. Sur de tels sujets, il faut être plus constructif et objectif, monsieur le sénateur.

Monsieur Laurent, il ne s’agit pas de généraliser le juge unique au sein de la CNDA, mais de l’autoriser – voilà qui est très différent – et de laisser à la CNDA le choix de sa formation.

Soit elle considère que les affaires sont simples, aussi bien pour accorder l’asile que pour le refuser – voyez le cas des Ivoiriens, par exemple, dont l’immense majorité ne bénéficie pas de l’asile sans que cela pose de question de principe –, et elle statue sous la forme du juge unique.

Soit il s’agit de cas complexes – orientation sexuelle, réfugiés issus de pays divisés, comme le Soudan, ou encore la situation des ressortissants d’Afghanistan qui ont fui les talibans, à l’origine de la jurisprudence Kaboul –, et nous laissons alors à la CNDA la possibilité de siéger en formation collégiale ou en formation de juge unique.

Bref, le Gouvernement ne propose pas la généralisation du juge unique : au contraire, il laisse le choix à la cour. Cette demande est formulée en partie par le Conseil d’État lui-même, dans le rapport de son ancien vice-président Bruno Lasserre. Certes, vous ne disposez pas encore du texte du Gouvernement, mais permettez-moi de vous corriger : il ne s’agit en rien de généraliser le juge unique.

Monsieur Benarroche, j’ai bien compris les interrogations de votre groupe, mais il n’est pas possible de dire que des milliers de places d’hébergement sont supprimées à Calais.

Au contraire, des milliers de places d’hébergement sont libres, à Calais et sur toute la côte d’Opale – je le dis devant tous les élus de ce secteur, d’autant que j’en suis un moi-même. Ce qui est vrai, c’est que, en laissant les migrants en marge dans des jungles ou auprès des passeurs, nous faisons le jeu de ces derniers : dans toutes les villes du Nord-Pas-de-Calais, les passeurs expliquent qu’il ne faut pas accepter les hébergements, pour garder les migrants sous la main, en leur promettant de les faire passer de l’autre côté de la frontière.

Je salue la proposition du garde des sceaux, à savoir requalifier de délit en crime les agissements des passeurs, avec des peines allant jusqu’à vingt ans de prison. C’est une bonne chose, et j’espère un vote unanime sur ce texte. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire que l’État ne fait pas son travail d’hébergement et d’accompagnement à Calais. D’ailleurs, nous aurions bien aimé que beaucoup nous accompagnent pour encourager les migrants à accepter les hébergements proposés.

Monsieur Benarroche, si la proposition des groupes de gauche du Sénat est de faire pour les demandeurs d’asile ce que nous faisons pour les Ukrainiens, ce sera idéologiquement difficile pour vous. En effet, nous ne donnons pas l’asile aux Ukrainiens ! Nous leur accordons, très rapidement, une protection pour trois ans, puis ils repartent.

Si votre proposition est de mettre fin au droit d’asile et d’accorder une protection temporaire pendant un, deux ou trois ans, vous serez bien plus à droite que ceux que vous dénoncez. Tout cela est bien paradoxal.

Madame la sénatrice Benbassa, je ne répondrai pas à vos provocations ; elles sont difficiles à entendre, car elles sont insultantes pour une partie d’entre elles. Je répondrai seulement à la dernière ; vous avez évoqué mes deux grands-pères, pour vous demander si je serais ici devant vous s’ils n’avaient pas été accueillis en France. Je vous trouve bien mal renseignée !

L’un de mes grands-pères est né en Algérie, du temps où ce territoire était français. Il s’est engagé dans l’armée coloniale à 14 ans ; il ne savait ni lire ni écrire, et la France lui a énormément apporté. En 1962, il a choisi notre pays. Il était un militaire de carrière et un Français de volonté. Oui, évidemment, pour ces Français de volonté, le Gouvernement est tout à fait prêt à construire de belles histoires.

Mon second grand-père était un juif maltais, né en Tunisie. Il est venu en France dans les années 1930, pour travailler dans les mines. Il a ensuite rencontré ma grand-mère, et ainsi me voilà, manifestement pour votre plus grand plaisir… Oui, avec le texte que nous proposons, ce grand-père, qui est venu exercer en France un métier difficile, aurait été régularisé et naturalisé.

Mes deux grands-pères avaient de grandes qualités : ils aimaient la France, ils étaient travailleurs et ils n’avaient pas de casier judiciaire. Donc, oui, avec une telle loi, je serais bien là devant vous.

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