Intervention de Bruno Sido

Réunion du 30 octobre 2007 à 10h00
Approvisionnement électrique de la france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Bruno SidoBruno Sido, président de la mission commune d'information, auteur de la question :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 4 novembre 2006, voilà presque un an, se produisait l'une des plus importantes pannes électriques subies par les Européens tant par son étendue géographique - toute l'Europe occidentale - que par le nombre des personnes touchées - plus de 15 millions de foyers. Mais cette panne n'eut heureusement que des conséquences pratiques bénignes en raison de sa durée limitée - de quelques dizaines de minutes à une heure selon les réseaux - et de la période à laquelle elle survint - un samedi soir à vingt-trois heures.

Il n'en reste pas moins que cette panne révéla brutalement la fragilité des réseaux électriques nationaux, qui est due à leur interconnexion d'un bout à l'autre du continent ainsi qu'à la dépendance très forte de notre organisation sociale et économique à ce bien si particulier et si vital qu'est l'électricité. C'est pourquoi il apparut rapidement nécessaire qu'une mission commune d'information se penche sur le dossier de l'approvisionnement électrique de la France, afin que le Sénat puisse disposer d'abord d'une analyse des causes réelles de l'incident, ensuite d'une évaluation des risques pesant sur la sécurité de cet approvisionnement, enfin de préconisations pour préserver cette sécurité, voire l'améliorer.

Du mois de janvier au mois de juin dernier, la mission que j'ai eu l'honneur et le plaisir de présider a mené six mois de travaux passionnants. À Paris, trente-deux auditions lui ont permis de rencontrer plus d'une cinquantaine de personnalités représentatives du secteur de l'électricité et de couvrir l'ensemble du champ de la réflexion qui s'ouvrait à elle. Afin d'inscrire sa réflexion dans une dimension européenne, des délégations se sont rendues à Bruxelles et dans six pays européens pour y rencontrer plus d'une centaine d'interlocuteurs. Enfin, quelques déplacements en région parisienne et à Dunkerque ont également donné l'occasion d'observer in situ des installations et des sites de production, donnant ainsi un caractère concret à nombre de propos entendus lors des différents entretiens.

Le rapport d'information que Michel Billout, Marcel Deneux, Jean-Marc Pastor et moi-même avons « tiré » de ces rencontres aborde successivement les trois domaines dans lesquels il faut agir pour garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de la France : la production d'abord, le transport et la distribution ensuite, la maîtrise de la consommation enfin.

Bien que distinctes, ces trois parties sont assises sur un socle commun que mes trois collègues rapporteurs et moi-même approuvons et que je résumerai ainsi : un constat, deux observations et trois principes fondamentaux.

Le constat, c'est que le système électrique français fonctionne correctement, dans un cadre garantissant aux consommateurs une fourniture d'électricité d'excellente qualité, avec une grande régularité et à un coût satisfaisant ; c'est une bonne nouvelle. La sécurité d'approvisionnement électrique du pays est donc réelle aujourd'hui, ce qui n'interdit évidemment pas de chercher à la préserver, même à l'accroître.

La première observation, c'est que les caractéristiques intrinsèques de l'électricité sont si particulières - je vous rappelle que l'électricité est un bien indispensable, qui ne se stocke pas, qui, dans de nombreuses circonstances, n'a pas de substitut, et qui restera à jamais soumis à des lois physiques incontournables - que, d'une part, elles justifient pleinement la notion de service public qui est traditionnellement attachée en France à la fourniture d'électricité, et que, d'autre part, elles semblent rendre inadaptées à cette fourniture les règles habituelles de fonctionnement des marchés libéralisés.

La seconde observation, c'est que notre réflexion sur la sécurité d'approvisionnement s'inscrit dans un cadre communautaire sur l'énergie fixé par le Conseil européen au mois de mars dernier. Or celui-ci a retenu deux autres axes qui peuvent parfois apparaître contradictoires avec la recherche de la sécurité d'approvisionnement : l'amélioration de la compétitivité du marché et la lutte contre le réchauffement climatique.

De ce constat et de ces observations résultent les trois principes directeurs de notre rapport d'information.

D'abord, il est absolument nécessaire pour la France de conserver une maîtrise publique dans le domaine électrique et pour l'Europe de bâtir un système où la régulation, par nature publique, permettra d'anticiper les problèmes et d'éviter les crises.

Ensuite, il est essentiel d'affirmer que la composition des bouquets énergétiques des différents pays interconnectés n'est pas uniquement une question d'ordre national et que l'interconnexion des réseaux électriques doit faire primer les préoccupations de sécurité et de solidarité sur les intérêts commerciaux.

Enfin, un aspect majeur de la sécurité d'approvisionnement passe par la maîtrise de la demande d'électricité : je pense ici à la gestion des « pointes », aux mécanismes dits « d'effacement » ou encore à l'efficacité énergétique des processus industriels, des bâtiments et des équipements. À l'avenir, nombre de nos comportements doivent changer, non pas forcément pour moins consommer d'électricité, mais pour toujours la consommer mieux.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les bases sur lesquelles est structuré le rapport avec ses quarante propositions, adopté le 27 juin dernier par l'ensemble des membres de la mission commune d'information, à l'exception de Mme Voynet.

Depuis, quatre mois se sont écoulés, au cours desquels trois événements ont renforcé l'actualité de nos travaux.

Je pense tout d'abord au Grenelle de l'environnement, monsieur le secrétaire d'État. En tant que président du groupe de suivi de la commission des affaires économiques du Sénat, j'ai pu apprécier très directement la richesse et la qualité des débats que cette initiative du Président de la République et du Gouvernement a suscités. Nous avons discuté ici même, voilà quelques semaines, tant de la démarche que de ses premiers résultats. Des décisions essentielles ont été adoptées la semaine dernière à l'issue des trois journées de tables rondes et le Président de la République a publiquement annoncé, jeudi dernier, ses engagements en la matière.

Je veux y revenir un instant, car, dans le domaine de l'électricité, cette fructueuse réflexion collective n'a pas manqué d'aboutir à des propositions identiques ou très similaires à nombre de celles que la mission avait elle-même suggérées et qui s'appuyaient sur le principe de bon sens suivant : la meilleure façon de sécuriser l'approvisionnement électrique est encore de ne pas gaspiller l'électricité.

Dans cette perspective, les préconisations les plus importantes du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l'environnement, intitulé « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser l'énergie », me semblent celles qui concernent le secteur du bâtiment : rendre obligatoires les normes de construction haute performance environnementale, dites « HPE », pour toutes les constructions neuves, d'une part, procéder à la rénovation thermique progressive du parc ancien de logements et de bureaux pour en améliorer l'isolation, d'autre part. Compte tenu de la place qu'occupe ce secteur dans le bilan énergétique national - près de la moitié de l'énergie finale consommée en France -, il s'agit évidemment d'une piste prioritaire.

Notre mission l'avait elle-même considérée comme telle puisque, dans ce bilan, la part de l'électricité est prépondérante : représentant les deux tiers de la consommation du secteur résidentiel-tertiaire, elle a fortement augmenté en trente ans, en raison de cette particularité française qu'est le chauffage électrique, qui équipe encore 70 % des constructions récentes.

C'est ce constat qui a conduit notre mission à proposer pour le bâtiment une demi-douzaine de mesures complémentaires et, me semble-t-il, parfois originales : favoriser, dans les bâtiments nouveaux, l'installation de systèmes de chauffage alternatifs aux convecteurs électriques ; modifier l'assiette et certains taux du crédit d'impôt dédié aux économies d'énergie ; moduler les droits de mutation pesant sur les bâtiments disposant des labels « HPE » et haute qualité énergétique, dites « HQE », et imposer l'utilisation de ces labels pour toutes les constructions ou rénovations de bâtiments appartenant à l'État ; instituer, pour les particuliers, un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d'énergie et, pour les collectivités publiques, un fonds de déclenchement des investissements immobiliers efficaces en énergie pour les bâtiments publics.

Ces encouragements, ces obligations, ces facilités resteront lettre morte si deux difficultés essentielles, pointées tant par notre mission que par le Président de la République, ne sont pas résolues très rapidement, l'information des professionnels du bâtiment et de leurs clients sur les nouveaux matériaux, techniques et appareils favorisant la maîtrise de la demande d'énergie, ainsi que la qualification desdits professionnels à ces technologies. La méconnaissance et l'incapacité à savoir faire sont autant de freins aux pratiques vertueuses que les questions de coût de l'investissement et de fiscalité. Il faut donc agir également en ce domaine et très rapidement.

C'est pourquoi la mission a également suggéré d'établir un plan national de formation des professionnels à la performance énergétique du bâtiment et de réaliser, dans le cadre du programme de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans le bâtiment, PREBAT, des études sur les facteurs socio-économiques de la sous-utilisation des technologies d'amélioration de cette performance.

Ainsi, à l'évidence, les mesures pratiques à mettre en oeuvre dans le secteur du bâtiment, en application des conclusions du Grenelle de l'environnement, devront aussi s'appuyer sur les propositions de la mission d'information et les reprendre.

Mais, au-delà de ce secteur, le groupe 1 du Grenelle de l'environnement a également formulé d'autres propositions identiques à celles de la mission, qui ont été reprises dans les décisions finales et expressément approuvées par le Président de la République dans son intervention de jeudi dernier, ce dont je me félicite vivement. Il s'agit d'étendre l'étiquetage énergétique à tous les appareils de grande consommation électrique et d'imposer des régimes de veille peu consommateurs, d'interdire la vente des lampes à incandescence à l'horizon 2010 et, bien entendu, de développer la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.

Le seul point d'achoppement entre nos travaux et ceux du Grenelle de l'environnement, concerne, évidemment, le recours à l'énergie nucléaire. La mission recommande le maintien de l'option nucléaire et le remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées. J'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune, le 4 octobre dernier, à quel point je juge essentielle cette option pour faire face au défi du changement climatique ; je le répète aujourd'hui en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement électrique du pays.

Le deuxième événement intervenu depuis la remise de notre rapport, c'est l'adoption par la Commission européenne, le 19 septembre, du troisième paquet énergie, dont l'un des objectifs est précisément de renforcer la sécurité de l'approvisionnement de l'Union. Face à ce nouveau train de propositions législatives, ma position est mitigée. Elle est partagée entre la satisfaction, une fois encore, de voir traduites en décisions positives plusieurs des préconisations de la mission et l'inquiétude suscitée par la fixation d'objectifs inopportuns, voire dangereux, car inadaptés au cas très particulier de l'électricité, dont je vous ai déjà rappelé les caractéristiques.

Au chapitre des satisfactions, je citerai la création d'une agence de coopération des régulateurs nationaux de l'énergie habilitée à arrêter des décisions de nature obligatoire, comme le suggérait notre proposition n° 17 , le renforcement de l'indépendance des régulateurs nationaux dans les États membres assorti des mécanismes garantissant cette indépendance, qui répond en partie à notre proposition n° 16, et la mise en place d'une nouvelle organisation de collaboration des gestionnaires européens de réseau de transport chargée, notamment, d'élaborer des normes de sécurité et des codes commerciaux et techniques communs, de planifier et de coordonner les investissements nécessaires au niveau de l'Union, conformément à nos propositions n° 13 et 14.

Mais j'éprouve aussi des inquiétudes. Il en est ainsi, bien entendu, à l'égard de l'obligation de séparation patrimoniale entre producteurs d'électricité et gestionnaires de réseaux de transport, le fameux « unbundling ». Pour régler un problème qui se pose, à l'évidence, dans certains pays, la Commission s'enferre dans une seule direction, faisant fi du modèle français, qui démontre par l'exemple, au quotidien, qu'il est parfaitement efficace pour garantir, grâce à un contrôle et une régulation publics rigoureux, l'indépendance du gestionnaire du réseau, l'accès non discriminatoire au réseau et les investissements de capacité. Il me semble que la Commission se rend en l'espèce coupable d'un raisonnement strictement idéologique bien regrettable. Aussi, j'encourage le Gouvernement à poursuivre, au sein du Conseil, son entreprise pédagogique pour obtenir qu'une majorité d'États se prononce pour la reconnaissance de l'organisation française comme alternative à l'unbundling.

Mais le biais de l'idéologie ne se niche pas simplement dans cette option ; il colore l'ensemble du paquet énergie, non pas tant dans ce qu'il propose que dans ce qu'il ne propose pas. Conformément à sa doxa traditionnelle, la Commission estime que l'approfondissement de la libéralisation du marché de l'énergie va améliorer la situation. Or, en ce qui concerne l'électricité, je suis convaincu - je ne suis pas le seul - qu'elle fait fausse route et qu'au contraire il est nécessaire que ce secteur connaisse une forte maîtrise publique.

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