L'Espagne s'étant, quant à elle, engagée dans un premier temps dans le secteur éolien, fait aujourd'hui une pause, après s'être rendu compte qu'on ne maîtrise pas l'énergie éolienne comme on le veut.
La Grande-Bretagne avait joué la carte du gaz venant de la mer du Nord. Aujourd'hui, elle s'interroge sur la diminution des réserves. Attendre que le marché apporte une réponse ne semble pas satisfaisant.
Et je ne parle pas de la Pologne qui nous a tendu les bras et nous a demandé de lui venir en aide. En effet, 90 % de son énergie nucléaire sont produits dans des centrales à charbon obsolètes qui dégagent du CO2, ce qui laisse ce pays démuni.
Voilà très schématiquement brossée une situation assez inquiétante. De surcroît, chaque État a son « code de la route » pour le transport de l'électricité et les règles sont parfois concurrentes.
En France, l'électricité est produite sur le territoire. C'est énorme ! Garantir la sécurité de l'approvisionnement électrique implique d'abord de s'assurer que des moyens de production adéquats sont disponibles à tout instant pour répondre à la consommation.
Il s'agit, en France, d'une règle de base du service public de l'électricité, consacrée dans la loi du 10 février 2000.
Ainsi, Réseau de transport d'électricité élabore tous les deux ans un bilan pluriannuel prévisionnel qui permet d'anticiper les risques de déséquilibre à un horizon de dix ans. Vient s'y superposer, comme M. Bruno Sido l'a indiqué, une programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité élaborée pour dix ans par le Gouvernement, ce qui permet de situer les projections en termes d'investissement.
La PPI, gage de diversité des sources de production, constitue l'une des traductions concrètes de la politique énergétique nationale.
Ces deux outils, qui relèvent pleinement de la maîtrise publique du secteur, permettent donc d'anticiper et de prévenir les risques de défaillance de l'offre d'électricité.
De même, le bilan de RTE met régulièrement en évidence les fragilités en matière de sécurité d'approvisionnement des deux régions françaises que sont la Bretagne et la région PACA, qui sont sous-équipées en moyens de production pour la première, et en moyens de transport pour la seconde.
La mission a d'ailleurs préconisé, à cet égard, de réfléchir à l'institution d'une obligation d'équilibrage régional entre production et consommation, qui pourrait être définie sur la base de grandes « régions électriques ».
Cette règle de bon sens - veiller à l'adéquation entre l'offre et la demande - est malheureusement loin d'être partagée en Europe, comme je l'évoquais à l'instant.
Nombre d'États de l'Union européenne n'ont pas une conception aussi active de la politique énergétique que nous et font preuve d'une foi quasi intangible dans les vertus du marché, qui, selon eux, est un outil efficace de régulation et d'incitation aux investissements. La Commission européenne partage au demeurant pleinement cette vision.
Je préfère le préciser, la mission s'est, à l'unanimité, déclarée en opposition complète avec ce modèle.
D'une part, ce modèle de « tout-marché » conduit nombre d'États à fonder le développement de leurs moyens de production en très grande partie sur des centrales à gaz, dont une majeure partie est située en Russie, faisant ainsi un pont d'or, indirectement, à cette dernière.
Certes, ces unités présentent l'avantage de pouvoir être mises en service rapidement, en moins de deux ans, et d'émettre moins de C02 que leurs concurrentes directes, les centrales à charbon.
Pour autant, cette évolution est assez inquiétante au regard de la sécurité d'approvisionnement et de l'indépendance politique de l'Union européenne, qui importe déjà près de 57 % de son gaz et devrait importer 84 % en 2030, si l'évolution actuelle se poursuit. La diversification permise par le gaz naturel liquéfié ne sera pas suffisante pour réduire le poids dominant de la Russie dans nos importations, avec toutes les conséquences politiques et économiques que cela suppose.
D'autre part, la plupart de ces mêmes pays refusent tout développement de capacités nucléaires sur leur territoire mais, dans le même temps, verraient d'un bon oeil l'installation de ce type d'unités chez leurs voisins, en l'occurrence la France pour l'Europe occidentale, ce qui leur permettrait d'importer de l'électricité « bon marché ».
Je le répète, la mission a la conviction que la France - M. Bruno Sido l'a indiqué - n'a pas vocation à devenir le « poumon nucléaire » de l'Europe et à être le seul pays à devoir gérer tous les à-côtés sociaux et environnementaux de cette option énergétique.
Pour ces raisons, il est indispensable de réorienter en profondeur la politique communautaire de l'énergie.
M. Bruno Sido a rappelé quelles étaient les principales propositions de la mission à cet égard : d'une part, obligation pour chaque État de réaliser des bilans prévisionnels d'équilibre entre l'offre et la demande, ainsi que d'élaborer un document prospectif indiquant comment est garanti cet équilibre, construit sur le modèle d'une programmation pluriannuelle française et, d'autre part, imposition de normes minimales de production afin qu'aucun État ne puisse fonder durablement la satisfaction de ses besoins en électricité sur les importations.
Cette réorientation devrait idéalement prendre corps au sein d'un pôle public européen de l'énergie.
Cette organisation, qui fonctionnerait sur la base d'une réelle solidarité entre pays, notamment pour les questions ayant trait au développement des énergies renouvelables ou pour le respect des engagements environnementaux, devra tenir compte des conceptions de chacun concernant le bouquet énergétique. Il nous semble que ces nouvelles fondations de l'Europe de l'énergie seront de nature à donner naissance à de nouvelles régulations du secteur.
Malheureusement, les dernières propositions de la Commission européenne ne s'inscrivent absolument pas dans cette logique, ce que je ne peux que déplorer. Ce que l'on appelle « troisième paquet énergie » a précisément pour objet de renforcer la concurrence dans les secteurs de l'électricité et du gaz, en ce qu'il vise, notamment, à la séparation patrimoniale entre les entreprises de production et de commercialisation et celles qui sont chargées du transport.
Cette proposition est d'ailleurs très dangereuse, car elle va « casser » nos groupes énergétiques, alors qu'à l'étranger se constituent des mastodontes, Gazprom, pour n'en citer qu'un, qui n'auront pas à subir de telles contraintes. Tout est orienté sur le marché concurrentiel.
Quel bilan peut-on tirer des premières années d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques ?
Il faut reconnaître que les entreprises qui s'étaient engouffrées dans cette voie voilà maintenant deux ans ont pratiquement toutes demandé à faire marche arrière.
C'est la raison pour laquelle a été mis en place sur le territoire national le fameux tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TARTAM, qui permet un rééquilibrage entre prix régulés et prix du marché, ces derniers ayant explosé.
La Commission européenne plaide en faveur d'un recours accru aux marchés libres et considère que les prix de l'électricité ont vocation à converger en Europe au fur et à mesure des progrès de l'unification des marchés intérieurs de l'électricité.
Or, plusieurs raisons empêchent d'appliquer à l'électricité les règles habituelles du marché.
D'une part, ce bien est tout à fait hors normes en raison de ses caractéristiques physiques : il s'agit d'un bien non stockable, qui nécessite un équilibrage permanent entre l'offre et la demande.
D'autre part, les différentes techniques de production n'ont pas le même coût et rien ne justifie que l'électron nucléaire soit facturé le même prix que l'électron issu d'une centrale à charbon ou à gaz.