Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 30 octobre 2007 à 10h00
Approvisionnement électrique de la france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comment ne pas évoquer, ce matin, dans le cadre du débat sur l'indépendance énergétique de la France, le « troisième paquet » de libéralisation du marché intérieur de l'électricité et du gaz, qui comprend cinq nouvelles propositions législatives complétant la démarche engagée depuis plus de dix ans ?

La mesure phare de ce troisième paquet est sans aucun doute la séparation patrimoniale entre la gestion des réseaux de transport, d'une part, et les activités de fourniture et de distribution, d'autre part.

Neuf États membres, dont la France, avaient fait part, en juin dernier, de leur ferme opposition, ce qui n'a pas empêché la Commission de proposer ce nouveau paquet au Parlement européen, le 19 septembre dernier. Pour contourner la minorité de blocage qui était en train de se constituer, la Commission a imaginé un régime dérogatoire, dit de « gestionnaire de réseau indépendant » ou, dans le jargon de Bruxelles, Independent System Operator, ISO, et ce sans évaluation de la mise en oeuvre des précédentes directives, en particulier depuis l'ouverture du marché au 1er juillet 2007.

C'est aussi la fin du service public de l'énergie que prévoit ce paquet. Certes, est prévue la désignation de fournisseurs en « dernier ressort » pour les plus défavorisés, mais les moyens pour financer ce service et pour organiser une péréquation appropriée ne sont pas définis.

Des questions essentielles, à savoir les investissements et la sécurité d'approvisionnement, sont laissées sans réponse.

Selon Gaz de France, « l'investissement dépend moins de la structure patrimoniale que de l'action du régulateur sur les conditions de rémunération des investissements ». C'est logique.

De plus, selon EDF, « ce sont les groupes intégrés qui ont intérêt à investir dans de nouvelles interconnexions. Les gestionnaires de réseaux de transport détenus par des fonds - quels qu'ils soient - vivent des goulets d'étranglement », et donc des revenus que ceux-ci leur procurent.

Et quid des garanties contre les prises de contrôle par des tiers à l'Union européenne, sauf - et c'est en fait une reconnaissance de la nature stratégique du secteur de l'énergie - à déterminer au cas par cas quelle société non européenne est acceptable ou ne l'est pas ?

Même si une coopération européenne en matière de normes techniques facilitant les interconnexions est positive, le troisième paquet nous paraît inacceptable, et cela pour plusieurs raisons.

Première de ces raisons, la construction d'une politique de l'énergie européenne ne pourrait se faire sur la base du seul marché. Il doit s'agir d'une véritable politique publique à la fois en termes d'investissements, d'objectifs environnementaux, de sécurité d'approvisionnement et de régulation des prix, comme le rappelle la confédération européenne des syndicats. Je me référerai à cet égard à M. Boiteux, qui a tout de même une certaine compétence dans ce domaine : « L'ouverture du marché n'a pas pour effet de faire baisser les prix et c'est au contraire la hausse des prix et des tarifs qui permet l'existence du marché. »

Deuxième raison pour laquelle nous le rejetons, le troisième paquet ne donne pas de garantie en termes de maintien du service universel de l'énergie : d'une part, le champ de citoyens couverts est très réduit - j'ai mentionné la désignation de fournisseurs en « dernier ressort » - ; d'autre part, il n'y a pas de dispositions concernant le financement de ce service, dans un contexte difficile pour la France, où les tarifs réglementés sont d'ores et déjà attaqués.

La troisième raison tient à l'absence d'un véritable mécanisme de contrôle des prix.

Quatrième raison, de forts doutes subsistent quant au financement, rendu plus délicat par la séparation patrimoniale, des investissements dans les réseaux.

Cinquième raison, les objectifs environnementaux peuvent être atteints par d'autres moyens que par la séparation patrimoniale.

Enfin, on peut mettre en doute le principe de proportionnalité - les moyens proposés sont proportionnels aux objectifs poursuivis - de la mesure de dissociation patrimoniale présentée.

Le troisième paquet est une offensive ou, plus exactement, la poursuite d'une offensive européenne à l'encontre des entreprises du secteur énergétique : il revient à considérer qu'une entreprise qui reste verticalement intégrée aurait tendance à sous-investir dans de nouveaux réseaux et à privilégier ses sociétés de vente.

C'est aussi le démantèlement et la privatisation des opérateurs historiques, car, en s'attaquant au caractère intégré de ceux-ci, la Commission européenne remet en cause l'architecture même du système d'organisation de notre secteur énergétique et son type de régulation, fondé sur des obligations de service public, notamment en matière d'investissements avec la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements, qui est le seul outil garantissant la sécurité de nos approvisionnements.

Enfin, il faut savoir qu'il ouvre la voie à la privatisation d'EDF et/ou de son réseau de transport RTE, filiale à 100 %. La séparation patrimoniale rendrait dans ce cas EDF opéable alors que RTE est, on l'a dit à plusieurs reprises, un actif hautement stratégique - tout comme l'est d'ailleurs aussi GRTgaz, le réseau de transport de Gaz de France - alors que l'indépendance des gestionnaires du réseau n'a été contestée par aucun opérateur, même alternatif.

Comment peut-on construire une politique européenne de l'énergie si l'on n'a pas, comme le recommande la mission, une maîtrise publique ?

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le secrétaire d'État, quelle sera votre position au Conseil des transports qui aura lieu à la fin du mois de novembre ?

Par ailleurs, la présidence française, au second semestre de 2008, entend-elle faire évoluer le dogme de la Commission selon lequel la concurrence a pour effet de faire baisser les prix, alors que toutes les expériences montrent qu'il n'en est rien et que certains États sont en train de faire machine arrière ?

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