Intervention de Charlotte Caubel

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 décembre 2022 à 16h30
Suivi des recommandations de la mission d'information relative aux violences sexuelles sur mineurs en institutions et mise en oeuvre de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants — Audition de Mme Charlotte Caubel secrétaire d'état auprès de la première ministre chargée de l'enfance

Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance :

Je vous remercie de votre implication dans les sujets relatifs à l'enfance. Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du rapport de la mission commune d'information et de ses recommandations. Certaines d'entre elles ont été déployées très rapidement par le Gouvernement durant le précédent quinquennat, notamment grâce à la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je reviendrai sur les décrets d'application de ce texte très riche, qui m'occupe depuis mon arrivée au Gouvernement.

Ce rapport a rejoint celui de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) et celui de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ; ces différents travaux nous rappellent l'urgence d'une prise de conscience collective à ce sujet. Nous sommes dans la situation où nous nous trouvions durant le précédent quinquennat s'agissant des violences faites aux femmes : la société entière peine à prendre la mesure de la situation. Or tous nos enfants ne sont pas heureux, tous nos enfants ne sont pas rois ; un enfant meurt dans son cadre familial tous les cinq jours en France et la Ciivise nous dit que 160 000 enfants par an sont victimes d'infractions sexuelles. Nous ne parvenons pas à casser la chaîne de reproduction des violences : les criminels d'aujourd'hui sont souvent des victimes d'hier et cela nous pose question. Votre rapport relève, par ailleurs, le manque de données statistiques dont nous souffrons, pour des raisons diverses. En l'absence de données précises, il n'est pas facile de mettre en place une stratégie claire et partagée.

Pour autant, notre détermination est sans faille. Lors de la réunion du comité interministériel à l'enfance, la Première ministre a mis la lutte contre les violences commises sur les mineurs au premier plan de ses priorités, en agissant selon différents axes, dont ceux que votre rapport présente : l'importance de la connaissance des situations, la prise en charge du psychotraumatisme, la prévention et la formation, le repérage et l'accompagnement des victimes et des auteurs. Vous constatez que je n'ai pas le monopole de ces actions, mais mon rôle auprès de la Première ministre me met en position d'actionner tous ces leviers pour avancer. Nous disposons d'outils opérationnels, comme ce comité interministériel à l'enfance. C'est dans ce cadre que nous avons annoncé la création, en début d'année prochaine, d'un office central de lutte contre les violences faites aux mineurs, accompagné d'une circulaire de politique pénale.

Nous avons également agi au travers du plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022, annoncé par Adrien Taquet. Tous les ministères ont été impliqués et dix-neuf des vingt-deux mesures de ce plan ont été mises en oeuvre en deux ans. C'est un succès qu'il faut saluer et dont nous vous transmettrons le bilan. Ce plan reprend d'ailleurs beaucoup de vos recommandations.

Dans le détail, s'agissant de la prévention et du repérage des situations de violence sexuelle, le ministère de l'éducation nationale a remis sur le métier la question de l'éducation à la vie affective et sexuelle. L'enseignement obligatoire de deux heures n'est pas convenablement mené, nous y revenons en labellisant les associations concernées et nous entendons l'accompagner d'une éducation à la parentalité. Nous avons également renforcé les moyens du 119 et nous améliorons sa visibilité, ainsi que celle du 3018 et du 3020. Ces trois numéros sont, par exemple, inscrits sur les espaces numériques des enfants.

Nous avons augmenté les effectifs du Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (Snated), dans le domaine de l'enfance en danger ainsi que dans celui de la prostitution des mineures, qui entre maintenant dans son champ de compétence.

Nous lancerons début 2023 une grande campagne sur les violences sexuelles ; la campagne du 119 avait visé les enfants, la prochaine touchera tous les publics, y compris les parents. Il faut en effet libérer la parole des adultes, qui doivent prendre la responsabilité de protéger les enfants. Je réponds ainsi au #MeToo des enfants : il me semble qu'il revient surtout aux adultes de se saisir de la question.

Nous avons pris en compte les recommandations de la Ciivise. En 2023, nous créerons une plateforme d'écoute des professionnels, qui ne sont pas toujours correctement armés face aux révélations de violence dont ils peuvent être dépositaires. C'est le cas, par exemple, de la maîtresse d'école, qui pourrait se trouver en conflit de loyauté avec les parents, mais également des professeurs du périscolaire, des entraîneurs sportifs, des médecins, etc. Au-delà même de l'obstacle du secret professionnel, il s'agit de leur apprendre à étayer les signaux et de mettre à leur disposition les outils indispensables. Cette plateforme sera d'ailleurs articulée avec les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped), lesquelles exercent déjà ce rôle de contrôle auprès de la médecine libérale. Les formations ont été renforcées dans tous les services concernés et nous nous saisirons du très bon guide de formation des professionnels préparé par la Ciivise.

S'agissant de la prévention, nous travaillons sur le contrôle des antécédents judiciaires de tous les professionnels, ainsi que des bénévoles intervenants dans le champ de l'enfance, comme de la consultation systématique du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Ce dernier outil requiert toutefois un regard humain, ce qui complique le processus. Pour autant, cette étape est obligatoire depuis le 1er novembre dernier et nous établirons bientôt un dispositif national pour interroger presque en temps réel les services du casier judiciaire, avec l'objectif de ne pas freiner les recrutements, non plus que les initiatives des bénévoles en attendant trop longtemps. Cet instrument sera d'abord ciblé sur le travail social, mais absorbera à terme le champ de responsabilité des ministères de l'éducation nationale et des sports. Cette disposition de la loi relative à la protection des enfants est excellente, mais elle concerne plusieurs millions de personnes, ce qui fait peser une pression importante sur les équipes chargées de la mettre en oeuvre.

Votre recommandation n° 4, relative à l'écoute de la parole de l'enfant victime, a aussi beaucoup avancé. Nous avons constaté un phénomène de glaciation des acteurs après l'affaire Outreau, il faut l'admettre. À ce titre, le combat de La Voix de l'enfant a été salutaire, qui a mené à la création des Uaped, des lieux extraordinaires qui permettent d'écouter les enfants et l'environnement familial. C'est pourquoi, avec le garde des sceaux et le ministre de la santé et de la prévention, nous avons décidé d'aller au-delà des 60 Uaped en cours de création. Début 2024, tous les départements en seront dotés, et nous travaillerons ensuite à les dédoubler dans les grosses juridictions. Ces dispositifs s'articulent avec les fameuses salles « Mélanie » des services d'enquête. Nous entendons ainsi disposer d'un maillage de lieux privilégiés et de personnes formées. Enfin, nous travaillerons avec les Uaped sur la question des données.

Quatre autres points ont émergé dans le cadre du comité interministériel à l'enfance, dont le deuxième, la prise en charge des enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), recouvre une partie de vos préconisations. Deux éléments importants seront mis en oeuvre dès janvier : le groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée ainsi que les conseils départementaux de protection de l'enfance. Le département reste chef de file, mais l'État l'accompagne dans la prise en charge de ces enfants. Nous renforcerons ainsi le contrôle des établissements et des services et nous pourrons nous assurer de la bonne vérification des antécédents auprès du Fijaisv et des services du casier judiciaire. Deux autres de nos priorités sont la santé des enfants et la protection contre les effets négatifs du numérique.

Enfin, le service national de la petite enfance offrira une réponse au besoin d'égalité entre hommes et femmes devant le travail, et jouera aussi un rôle de protection des enfants.

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