Commission des affaires sociales

Réunion du 14 décembre 2022 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • enfance
  • mineur
  • prostitution
  • violence

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous entendons cet après-midi Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance. Madame la secrétaire d'État, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger après votre nomination ; comme vous le savez, votre domaine de compétence est au coeur des travaux de notre commission.

La commission des affaires sociales a inscrit à son programme de travail le suivi des recommandations de la mission commune d'information (MCI) sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions, qui a rendu son rapport en mai 2019.

Je vous ai fait parvenir notre première évaluation de la mise en oeuvre de ces recommandations et je souhaite que vos services y répondent par écrit, en complément de ce que vous pourrez indiquer à la commission.

Certaines de ces préconisations ont été mises en oeuvre dans la loi de 2022 relative à la protection des enfants. C'est pourquoi j'ai souhaité que cette audition permette également de faire le point sur la mise en application de ce texte.

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance

Je vous remercie de votre implication dans les sujets relatifs à l'enfance. Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du rapport de la mission commune d'information et de ses recommandations. Certaines d'entre elles ont été déployées très rapidement par le Gouvernement durant le précédent quinquennat, notamment grâce à la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je reviendrai sur les décrets d'application de ce texte très riche, qui m'occupe depuis mon arrivée au Gouvernement.

Ce rapport a rejoint celui de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) et celui de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ; ces différents travaux nous rappellent l'urgence d'une prise de conscience collective à ce sujet. Nous sommes dans la situation où nous nous trouvions durant le précédent quinquennat s'agissant des violences faites aux femmes : la société entière peine à prendre la mesure de la situation. Or tous nos enfants ne sont pas heureux, tous nos enfants ne sont pas rois ; un enfant meurt dans son cadre familial tous les cinq jours en France et la Ciivise nous dit que 160 000 enfants par an sont victimes d'infractions sexuelles. Nous ne parvenons pas à casser la chaîne de reproduction des violences : les criminels d'aujourd'hui sont souvent des victimes d'hier et cela nous pose question. Votre rapport relève, par ailleurs, le manque de données statistiques dont nous souffrons, pour des raisons diverses. En l'absence de données précises, il n'est pas facile de mettre en place une stratégie claire et partagée.

Pour autant, notre détermination est sans faille. Lors de la réunion du comité interministériel à l'enfance, la Première ministre a mis la lutte contre les violences commises sur les mineurs au premier plan de ses priorités, en agissant selon différents axes, dont ceux que votre rapport présente : l'importance de la connaissance des situations, la prise en charge du psychotraumatisme, la prévention et la formation, le repérage et l'accompagnement des victimes et des auteurs. Vous constatez que je n'ai pas le monopole de ces actions, mais mon rôle auprès de la Première ministre me met en position d'actionner tous ces leviers pour avancer. Nous disposons d'outils opérationnels, comme ce comité interministériel à l'enfance. C'est dans ce cadre que nous avons annoncé la création, en début d'année prochaine, d'un office central de lutte contre les violences faites aux mineurs, accompagné d'une circulaire de politique pénale.

Nous avons également agi au travers du plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022, annoncé par Adrien Taquet. Tous les ministères ont été impliqués et dix-neuf des vingt-deux mesures de ce plan ont été mises en oeuvre en deux ans. C'est un succès qu'il faut saluer et dont nous vous transmettrons le bilan. Ce plan reprend d'ailleurs beaucoup de vos recommandations.

Dans le détail, s'agissant de la prévention et du repérage des situations de violence sexuelle, le ministère de l'éducation nationale a remis sur le métier la question de l'éducation à la vie affective et sexuelle. L'enseignement obligatoire de deux heures n'est pas convenablement mené, nous y revenons en labellisant les associations concernées et nous entendons l'accompagner d'une éducation à la parentalité. Nous avons également renforcé les moyens du 119 et nous améliorons sa visibilité, ainsi que celle du 3018 et du 3020. Ces trois numéros sont, par exemple, inscrits sur les espaces numériques des enfants.

Nous avons augmenté les effectifs du Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (Snated), dans le domaine de l'enfance en danger ainsi que dans celui de la prostitution des mineures, qui entre maintenant dans son champ de compétence.

Nous lancerons début 2023 une grande campagne sur les violences sexuelles ; la campagne du 119 avait visé les enfants, la prochaine touchera tous les publics, y compris les parents. Il faut en effet libérer la parole des adultes, qui doivent prendre la responsabilité de protéger les enfants. Je réponds ainsi au #MeToo des enfants : il me semble qu'il revient surtout aux adultes de se saisir de la question.

Nous avons pris en compte les recommandations de la Ciivise. En 2023, nous créerons une plateforme d'écoute des professionnels, qui ne sont pas toujours correctement armés face aux révélations de violence dont ils peuvent être dépositaires. C'est le cas, par exemple, de la maîtresse d'école, qui pourrait se trouver en conflit de loyauté avec les parents, mais également des professeurs du périscolaire, des entraîneurs sportifs, des médecins, etc. Au-delà même de l'obstacle du secret professionnel, il s'agit de leur apprendre à étayer les signaux et de mettre à leur disposition les outils indispensables. Cette plateforme sera d'ailleurs articulée avec les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped), lesquelles exercent déjà ce rôle de contrôle auprès de la médecine libérale. Les formations ont été renforcées dans tous les services concernés et nous nous saisirons du très bon guide de formation des professionnels préparé par la Ciivise.

S'agissant de la prévention, nous travaillons sur le contrôle des antécédents judiciaires de tous les professionnels, ainsi que des bénévoles intervenants dans le champ de l'enfance, comme de la consultation systématique du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Ce dernier outil requiert toutefois un regard humain, ce qui complique le processus. Pour autant, cette étape est obligatoire depuis le 1er novembre dernier et nous établirons bientôt un dispositif national pour interroger presque en temps réel les services du casier judiciaire, avec l'objectif de ne pas freiner les recrutements, non plus que les initiatives des bénévoles en attendant trop longtemps. Cet instrument sera d'abord ciblé sur le travail social, mais absorbera à terme le champ de responsabilité des ministères de l'éducation nationale et des sports. Cette disposition de la loi relative à la protection des enfants est excellente, mais elle concerne plusieurs millions de personnes, ce qui fait peser une pression importante sur les équipes chargées de la mettre en oeuvre.

Votre recommandation n° 4, relative à l'écoute de la parole de l'enfant victime, a aussi beaucoup avancé. Nous avons constaté un phénomène de glaciation des acteurs après l'affaire Outreau, il faut l'admettre. À ce titre, le combat de La Voix de l'enfant a été salutaire, qui a mené à la création des Uaped, des lieux extraordinaires qui permettent d'écouter les enfants et l'environnement familial. C'est pourquoi, avec le garde des sceaux et le ministre de la santé et de la prévention, nous avons décidé d'aller au-delà des 60 Uaped en cours de création. Début 2024, tous les départements en seront dotés, et nous travaillerons ensuite à les dédoubler dans les grosses juridictions. Ces dispositifs s'articulent avec les fameuses salles « Mélanie » des services d'enquête. Nous entendons ainsi disposer d'un maillage de lieux privilégiés et de personnes formées. Enfin, nous travaillerons avec les Uaped sur la question des données.

Quatre autres points ont émergé dans le cadre du comité interministériel à l'enfance, dont le deuxième, la prise en charge des enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), recouvre une partie de vos préconisations. Deux éléments importants seront mis en oeuvre dès janvier : le groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée ainsi que les conseils départementaux de protection de l'enfance. Le département reste chef de file, mais l'État l'accompagne dans la prise en charge de ces enfants. Nous renforcerons ainsi le contrôle des établissements et des services et nous pourrons nous assurer de la bonne vérification des antécédents auprès du Fijaisv et des services du casier judiciaire. Deux autres de nos priorités sont la santé des enfants et la protection contre les effets négatifs du numérique.

Enfin, le service national de la petite enfance offrira une réponse au besoin d'égalité entre hommes et femmes devant le travail, et jouera aussi un rôle de protection des enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Sur le sujet des violences sexuelles sur mineurs en institutions, toute la question est de savoir comment les différentes préconisations sont effectivement mises en oeuvre. Nos rapports ne sont utiles que si nous veillons à la traduction concrète de leurs recommandations.

S'agissant de la vérification des antécédents des professionnels au contact des enfants, en cohérence avec la préconisation n° 14, nous avions voté, au sein de la loi relative à la protection des enfants, un renforcement de l'arsenal législatif, notamment l'article 20, qui rend obligatoire la consultation du Fijaisv pour le recrutement de toute personne travaillant au contact de mineurs dans les secteurs sociaux et médico-sociaux, y compris les bénévoles et les travailleurs occasionnels. Des mesures particulières sont-elles prévues pour faire respecter les contrôles dans les établissements accueillant des enfants handicapés ? Ceux-ci sont particulièrement fragiles et les associations semblent avoir des difficultés à en parler. Certains parents craignent peut-être pour les places, qui sont très limitées.

Une plateforme unique au secteur social de consultation des antécédents judiciaires était annoncée lors des débats parlementaires. Son déploiement est-il prévu prochainement ?

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État

Un quart, voire un tiers, des enfants placés sont porteurs de handicap et donc particulièrement fragiles. Les enfants autistes sont ainsi statistiquement plus vulnérables aux violences sexuelles. L'obligation de vérification des antécédents s'applique déjà avec le casier judiciaire, elle a été étendue. L'enjeu est de n'oublier personne, tout en évitant de retarder les embauches. Le dispositif transitoire est centré sur les départements, il s'agit de le rendre opérationnel avant de basculer le plus rapidement possible sur la plateforme nationale, qui a vocation à industrialiser et accélérer le processus.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La présentation d'une attestation de non-inscription au Fijaisv pour chaque personne de plus de 13 ans présente au domicile d'une assistante maternelle a été inscrite dans la loi relative à la protection des enfants. Qu'en est-il de son application ?

Quid de la couverture territoriale des centres de prise en charge du psychotraumatisme ? Il est nécessaire d'ouvrir à terme une centaine de ces structures. Alors qu'en 2019 dix centres régionaux du psychotraumatisme (CRP) ont été créés, le plan de lutte du Gouvernement a prévu que soient opérationnels cinq CRP supplémentaires fin 2022. Pouvez-vous nous dire quel maillage effectif a été atteint en la matière dans l'Hexagone et en outre-mer ? De nouveaux appels à projets sont-ils en cours ?

Enfin, quelles mesures portez-vous pour éviter le passage à l'acte des personnes attirées sexuellement par les enfants, mais aussi pour prévenir la récidive des pédocriminels ? Notre rapport préconisait de réaliser une étude criminologique approfondie sur les déterminants de ce passage à l'acte ; ce qui n'a pas été fait, à notre connaissance, en dépit d'un objectif annoncé de développer la recherche sur ce sujet. En revanche, l'idée d'une structure assurant une permanence d'écoute pour les personnes sexuellement attirées par les enfants a su prospérer, ce dont nous nous réjouissons.

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État

L'obligation de cribler les personnes habitant au domicile d'une assistante familiale à partir de 13 ans est effective depuis le 1er novembre, elle va être systématisée au moment du recrutement. Le problème reste, si l'on peut dire, la reprise du stock, qui va être systématisée par la plateforme que j'évoquais. Un autre outil sera le fichier recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux, dont la mise en place est une des missions du GIP France enfance protégée. Pour autant, il subsiste une fragilité : il s'agit de vraies familles, dans lesquelles les enfants viennent et repartent. Il faudra donc assurer un suivi régulier.

S'agissant des CRP, les dix premiers ont été créés en 2019 et cinq supplémentaires en 2020, avec un volet adultes et un volet enfants et adolescents. Ils prennent en charge des victimes de tout type de violences. La question des mineurs de retour de zone d'opérations de groupements terroristes a accéléré le développement de ces cellules, celles-ci fonctionnent maintenant et sont très utiles.

S'agissant des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs), nous nous sommes rendu compte que, d'une part, nous sommes en retard par rapport à la Belgique, et, d'autre part, certaines personnes susceptibles de passer à l'acte disent avoir appelé, en vain. Un numéro d'écoute a été mis en place, en plus d'un tchat ; ces mesures font partie des objectifs du plan de lutte contre les violences. Nous sommes très attentifs à ce point, en lien avec la politique menée par le ministre de la justice visant les récidivistes.

Au cours des années 2023 et 2024, une audition publique sur les mineurs auteurs de violences sexuelles sera menée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), en vue d'optimiser la prévention et la prise en charge des violences sexuelles des mineurs et d'améliorer la pratique des professionnels. L'inceste entre mineurs d'une même fratrie existe. Le risque est important au sein des familles et des institutions. Je veille à ce que l'intimité des enfants soit concrètement préservée au sein des établissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Je ne reviendrai pas sur l'importance d'être formé pour agir, vous l'avez rappelé aujourd'hui et lors de votre visite à Nantes à l'occasion d'une journée de formation des professionnels du département sur le repérage.

En revanche, je souhaiterais vous demander des précisions sur le nombre d'Uaped déployées à ce jour. En 2019, nous avions recensé 58 de ces unités, au cours de nos travaux.

Comment sont protégés ceux qui signalent les violences, notamment les médecins ? Notre travail avait révélé qu'en la matière les dispositions étaient floues - Jean-Marc Sauvé suggérait également de protéger les auteurs de signalement. Deux médecins pédopsychiatres ont récemment été condamnés par leur ordre, ce qui pose problème, car cela contribue à protéger non pas les enfants victimes, mais les agresseurs ! Que comptez-vous faire pour clarifier notre droit sur ce point ?

Enfin, qu'en est-il de la vérification des antécédents des adultes qui interviennent auprès de mineurs ? Comme rappelé précédemment, l'article 20 de la loi du 7 février 2022 généralise la consultation du Fijaisv pour les professionnels et les bénévoles dans les secteurs sociaux et médico-sociaux. Qu'en est-il des contrôles pour les personnes chargées du transport scolaire ou du transport pédiatrique ? Ces professionnels sont-ils soumis à des procédures de vérification et d'habilitation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Madame la secrétaire d'État, vous avez lancé un audit en matière de protection des mineurs porteurs d'un handicap - je rappelle qu'une enquête a été récemment ouverte par le parquet de Chartres contre une société privée à ce sujet... Pourrions-nous avoir des informations sur les suites qui vont être données ?

De plus, pour simplifier le travail de l'administration à ce sujet et éviter l'enchevêtrement des responsabilités entre plusieurs secrétariats d'État, ne faudrait-il pas confier le suivi du dossier à un seul des secrétaires d'État, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui ?

Nous avons abordé le sujet de la prostitution des mineurs au sein des travaux de la commission des affaires sociales, de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et dans notre rapport d'information intitulé La pornographie et son industrie. Hier, à l'Assemblée nationale, une « survivante de la prostitution », pour reprendre ses mots, a expliqué avoir été entraînée dans un réseau de prostitution après avoir été confrontée à la pornographie lorsqu'elle était mineure. Quelle est votre position sur les mineures victimes de prostitution ? De quels leviers d'intervention disposez-vous ?

Enfin, je rappellerai que nous avons recueilli de nombreux témoignages d'enfants placés à l'ASE ayant subi des violences : des rabatteurs seraient présents devant les hôtels pour les entraîner dans un parcours de prostitution ! Que fait l'État pour lutter contre ce problème ? Plus globalement, ne faudrait-il pas remettre à plat l'ASE, dont le système semble s'effondrer, et ce malgré la bonne volonté des départements ?

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État

À ce stade, nous avons identifié quelque 135 Uaped et projets d'Uaped dans les agences régionales de santé (ARS) : quelque 56 d'entre elles sont conformes au cahier des charges, environ 19 doivent être mises en conformité avec le cahier des charges, et 60 sont encore en projet. Seuls 6 départements n'ont pas encore lancé de projet, mais vous pouvez compter sur l'engagement de la présidente de l'association La Voix de l'enfant, Martine Brousse, pour les inciter à les monter !

Nous partageons avec le ministre de la santé et avec votre commission l'idée selon laquelle la loi en vigueur ne fait pas obstacle à la révélation du secret médical. En revanche, le code de déontologie pousse beaucoup les professionnels à la prudence, ce qui constitue un blocage personnel et entraîne des jurisprudences pour le moins surprenantes. Nous pouvons toutefois noter que, dans une décision récente, le Conseil d'État est revenu sur la condamnation d'une infirmière sur ce sujet. Avec le ministre de la santé, nous entendons ouvrir un dialogue avec les différents ordres pour leur demander de clarifier leurs positions, afin que nous puissions déterminer la nécessité ou non de présenter un texte législatif permettant de clarifier les règles en vigueur.

L'enjeu des Uaped et de la plateforme téléphonique nationale que nous voulons mettre en oeuvre reste d'accompagner les intervenants libéraux - infirmiers ou masseurs-kinésithérapeutes, par exemple - pour qu'ils puissent être rassurés sur le respect du secret médical.

Sur la question de la formation, nous disposons de plusieurs vecteurs pour toucher l'ensemble des secteurs de la santé - la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) travaille sur ce sujet, et nous dialoguons avec les ordres ; si nos discussions ne sont pas concluantes, nous nous tournerons vers le législateur pour avancer.

La disposition du 7 février 2022 à laquelle Mme Meunier fait référence concerne plusieurs millions de travailleurs - le service du casier judiciaire devra absorber tout ce stock de personnes soumises au contrôle du Fijaisv, et plus simplement du bulletin n° 2 du casier judiciaire, dit B2. Étendre ces contrôles à l'ensemble des professionnels en contact avec les enfants risque de noyer le dispositif. Vous évoquez les professionnels du transport scolaire mais pourraient être rajoutées beaucoup d'autres professions comme les infirmières en services pédiatriques. Le processus de contrôle requiert en effet des interventions humaines pour établir ou non l'atteinte à la probité et vérifier auprès de la juridiction compétente si l'affaire a été classée.

Je suis plutôt d'avis de mettre en oeuvre la loi du 7 février 2022, qui est déjà importante. Nous préférons mettre en place un dispositif au travers duquel chaque professionnel sollicitera un certificat d'honorabilité, qui nécessitera une autre démarche, cette fois-ci individualisée, si la mention « néant » est indiquée.

Nous travaillons de sorte que ce dispositif soit mis en oeuvre au début de l'année 2023 - une dizaine de personnes sont en train d'être recrutées à cet effet. Pour autant, le contrôle en la matière ne sera jamais infaillible.

En matière de handicap - plusieurs membres du Gouvernement sont impliqués dans cette politique publique -, mon domaine de compétences me permet de traiter des sujets relatifs aux parcours de l'enfant tandis que celui de la ministre déléguée chargée des personnes handicapées est de s'intéresser au parcours de la personne tout au long de la vie. Nous travaillons en lien étroit, sur ces questions, avec M. Pap Ndiaye et Mme Geneviève Darrieussecq, tant elles sont prégnantes.

Actuellement, le nombre des diagnostics d'enfants souffrant d'un syndrome autistique ou de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) augmente. Or, l'ensemble des troubles de l'acquisition est médicalisé et tous les troubles « dys » relèvent désormais du champ du handicap. Tout cela pose le problème de l'accompagnement des parents, souvent dépassés par ces difficultés, ce qui oblige - ce n'est pas un reproche - les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) à faire du social auprès d'eux... Nous avons constitué un corps d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à part entière, à la suite des pressions que nous avons subies à la rentrée scolaire. Notre objectif est de répondre à ces questions au cas par cas et le mieux possible, tout en ayant une vision globale sur le sujet.

La déléguée interministérielle à l'autisme indique que de plus en plus d'enfants naissent avec des troubles du neurodéveloppement. Nous devons donc disposer d'une feuille de route complète à ce sujet - elle est élaborée par le Conseil national handicap - d'autant que les enfants recevant des prescriptions pour aller dans un institut médico-éducatif (IME) sont de plus en plus nombreux. Or, nous manquons d'IME, si l'on se réfère aux constats des MDPH !

Aussi, nous travaillons à instaurer de nouveaux dispositifs : nous avons déjà augmenté le nombre d'équipes mobiles - il en faut sans doute davantage -, nous avons récemment inauguré un dispositif où l'école se rapproche des IME ; enfin, nous devrons documenter l'ensemble des chiffres qui témoignent de l'explosion du travail des MDPH et des AESH. Cette feuille de route mérite deux ministres !

Nous nous apercevons que les placements des mineurs à l'ASE sont liés aux défaillances des dispositifs du handicap où ils ont été pris en charge auparavant, ce dont nous nous sommes aperçus dans les départements de la Seine-Saint-Denis et du Nord. Nous devons endiguer ce phénomène.

La situation des lieux de vie et d'accueil (LVA), qui a été mise en lumière récemment à la suite des révélations dont Le Canard enchaîné s'est fait l'écho, le 13 décembre dernier, est l'objet de toutes mes préoccupations. Face à la complexité de la situation d'un certain nombre d'enfants et face à l'évolution de la pratique éducative - en raison de la fin des internats dans les grands établissements -, des structures plus souples ont été créées pour répondre aux besoins des enfants, les LVA. Ils sont très demandés, puisque nous comptons un éducateur par enfant et parfois, deux pour un, si la semaine est entièrement prise en compte, le week-end compris.

Le problème, c'est la dispersion des enfants placés qui répond à une demande, mais également, il faut le dire, à une certaine logique économique. Cette situation renvoie à deux problèmes que j'érige en priorité de mon action : l'habilitation des services qui gèrent les enfants et l'augmentation des lieux de placement - certains départements ont besoin de 10 % de places en plus. Comme toujours, l'autorisation administrative passe après la bonne volonté d'accueillir les enfants. Dans mon audit, j'ai demandé à chaque département de vérifier que les LVA ont bien fait l'objet d'une autorisation administrative - les préfets sont impliqués, nous avons fait de cette demande une priorité.

À cet effet, j'ai demandé, dans le budget pour 2023, un renforcement des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et de la DPJJ pour accompagner les départements dans une véritable stratégie de contrôle. La responsabilité de l'État est d'être aux côtés des départements, pour contrôler ces établissements : trop de services ne sont pas contrôlés, ce qui contribue à jeter l'opprobre sur ce métier, malheureusement !

Le sujet de la prostitution suscite une double inquiétude, en raison, d'une part, du nombre de mineures concernées, et, d'autre part, de la grande fragilité des mineures placées, qui sont des proies pour les rabatteurs. Je me rappelle avoir visité un foyer d'accueil dans le nord de Paris, où j'ai pu constater que huit jeunes filles portées disparues depuis deux jours étaient victimes des mécanismes de traite et de prostitution...

Le procureur général a établi un plan pour lutter contre ce phénomène ; nous avons financé une campagne de sensibilisation plutôt efficace, nous formons nombre de professionnels en la matière, et nous continuerons de le faire. L'enjeu est que nous réussissions à articuler cette démarche avec les services de police et de gendarmerie, afin que tous les services s'investissent dès qu'un enfant s'échappe.

Enfin, il faut clarifier les sanctions applicables aux proxénètes et aux consommateurs : avoir une relation tarifée avec une jeune fille de moins de quinze ans, c'est un crime, même si c'est tarifé ! Nous réfléchissons avec le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux à la meilleure façon de faire passer ce message.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Nous avons grandement besoin que le personnel soit formé, afin de renforcer la prévention en matière de violences contre les mineurs. L'éducation nationale joue, à ce titre, un rôle très important, au travers de l'éducation à la sexualité et à la parentalité. Cela devrait être institutionnalisé, car trop de familles ne disposent pas des notions pour savoir ce qui doit se faire ou non.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Sur les cas de violences, les interventions sont très rapides, en revanche, en cas de manquement éducatif - absence à l'école -, les délais sont bien plus longs. Pourtant, il s'agit déjà d'une carence éducative, qui peut cacher des maltraitances plus graves. Le juge n'enjoint pas aux parents de scolariser leur enfant.

Ma seconde question porte sur les visites médicales. Sont-elles régulièrement réalisées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Madame la secrétaire d'État, j'ai apprécié vos propos : vous pourriez les relayer auprès de certains de vos collègues du Gouvernement...

Le débat sur la place des IME est un point essentiel. Les situations sont connues : les parents refusent de porter plainte de peur de perdre la place qu'occupent leurs enfants dans les établissements. Cela pose la question de la répartition des jeunes entre l'ASE et les établissements. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, le nombre de places en IME a été diminué, alors que les besoins sont criants.

De plus, 1 500 jeunes Français sont aujourd'hui exilés en Belgique, comme l'a rappelé un récent rapport du Sénat : l'État paie des sommes importantes pour leur suivi. Or ce dernier est très inégal selon les établissements : j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte personnellement lors d'un déplacement. Chaque année, nous votons un crédit de 90 millions d'euros dans le PLFSS en faveur d'un fonds d'urgence visant à éviter les départs en Belgique : celui-ci n'est jamais utilisé. Les MDPH ne sont plus en capacité d'orienter les personnes. Or la psychiatrie a toujours ses entrées directes avec la Belgique. Se pose ainsi la question de la transversalité sur ces sujets.

Nous avons évoqué la situation des AESH : le secteur médico-social n'est-il pas mieux armé que l'éducation nationale pour gérer ce volet ?

J'ai récemment participé à un colloque organisé par l'École nationale de la magistrature (ENM) sur la prise en charge des personnes handicapées lors des auditions de justice. Généralement, les jeunes concernés ne bénéficient d'aucune écoute, car la justice est incapable de prendre en compte leur parole.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Ma remarque se fonde sur mon expérience d'ancien président de conseil départemental : c'est le juge qui prend les décisions de placement et il revient aux conseils départementaux de veiller à la bonne exécution de la décision. De bonnes relations entre les deux institutions facilitent le placement, mais ce n'est pas toujours le cas. Autrefois, les services étaient bien dimensionnés pour prendre en charge les jeunes de nos départements en difficulté. Depuis l'arrivée des mineurs non accompagnés (MNA) - ils ne sont d'ailleurs pas toujours mineurs -, la charge a considérablement augmenté, au détriment des enfants dont nous avions la responsabilité. Vingt ans plus tard, ce problème est toujours d'actualité.

En outre, nous manquons de pédopsychiatres : vous avez fort à faire dans ce domaine, madame la secrétaire d'État.

Avec le rapprochement des fratries, on fait parfois entrer le loup dans la bergerie. Les choses sont difficiles à appréhender.

Nous étions soulagés de pouvoir compter sur la prise en charge des enfants par la Belgique. Dans mon département, sur 72 enfants, jamais les familles n'ont souhaité que les enfants soient rapatriés. J'ajoute que les établissements belges sont agréés.

« Signaler n'est pas dénoncer » : tel était le slogan d'une campagne qui visait à déculpabiliser les personnes attirant l'attention des services sociaux sur le cas d'un enfant en difficulté. Réitérons cette stratégie en vue d'améliorer la prise en charge des jeunes en difficulté.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je me réjouis de vos propos sur la façon de traiter la prostitution des mineurs, madame la secrétaire d'État.

Certains proxénètes sont traduits en justice à l'occasion de grands procès. Mais les clients ne sont jamais inquiétés : c'est un véritable problème. Certes, des moyens supplémentaires sont nécessaires pour les enquêtes, mais le problème est ailleurs : la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel n'est pas appliquée. On ne peut pas, d'un côté, faire montre de complaisance envers un client sollicitant les services d'une personne majeure et, de l'autre, soutenir que le client ayant recours à un mineur est un criminel. Il est impossible d'avoir une telle approche dans notre politique pénale. Allez dire à des gamines que la prostitution est impossible quand celles-ci sont mineures, mais qu'à partir de 18 ans, cette pratique relève du glamour. Dans le cadre de la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, j'avais proposé que l'achat de services sexuels auprès d'une mineure âgée de 15 à 18 ans soit considéré comme un viol. Le garde des sceaux m'avait alors répondu qu'il ne fallait pas poursuivre « les pauvres gars » qui ne connaissaient pas l'âge de la prostituée : c'est bien là toute l'ambiguïté. Madame la secrétaire d'État, favorisez la bonne application de la loi de 2016 : cela facilitera la poursuite des clients ayant recours à la prostitution, parmi lesquels figurent les clients de personnes mineures.

J'en viens aux troubles divers dont souffrent de plus en plus d'enfants : pourquoi un tel accroissement ? Où en sont nos travaux de recherches ? Le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) publieront bientôt un rapport sur la médicalisation accrue et précoce des enfants. Mobilisons-nous collectivement sur les causes de ce phénomène de société.

Certaines séparations familiales se déroulent mal : les enfants sont alors les otages de la vengeance de l'un des parents et, en réalité, des pères.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

J'insiste : statistiquement, dans la majorité des cas, c'est bien le père. Je plaide donc en faveur des juridictions spécialisées : le juge des enfants, le juge aux affaires familiales et le parquet doivent travailler ensemble au profit des familles rencontrant des problèmes. Il faut arrêter de confier des enfants à l'ASE parce que la famille dysfonctionne autour d'une séparation.

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État

Faut-il recentraliser l'ASE ? Pour avoir dirigé pendant longtemps les services de PJJ, j'estime qu'une telle décision prendrait beaucoup de temps à se concrétiser. En outre, l'ASE est une politique éminemment territoriale : il convient de prendre en compte les spécificités de chaque département. Elle exige également une coordination entre tous les acteurs : les décrets facilitant la création des comités départementaux pour la protection de l'enfance (CDPE), prévus par la loi du 7 février 2022, sont en cours de finalisation. Développons une stratégie d'offre et de contrôle et définissons des trajectoires pour les professionnels, selon la situation de chaque département. Les CDPE joueront un rôle important à l'avenir. De plus, je compte favoriser un renforcement des contrôles.

J'ai parfaitement conscience que l'ASE se situe au bord de la rupture. C'est un cercle vicieux : la qualité de la prise en charge diminue et l'on manque de professionnels. Il est urgent d'agir, notamment via les missions de contrôle de l'État.

Les assises de la santé aborderont le problème de la démographie médicale dans le secteur scolaire. La santé mentale des enfants, notamment celle des 13-16 ans, fait l'objet de signaux très inquiétants. Il faut mieux documenter ces situations : le handicap mental sert de paravent à des situations bien différentes, en cas de difficulté des parents à éduquer leurs enfants, notamment. On remplace l'accompagnement social par la délivrance de médicaments. Les problèmes sont mieux traités lorsqu'ils sont pris en compte rapidement.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

À cet égard, il faudrait desserrer l'étau sur le nombre d'orthophonistes, qui peuvent parfaitement prendre en charge les enfants atteints de « dys » et éviter ainsi une réponse médicale.

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État

Je suis d'accord.

Le décret visant à une nouvelle répartition entre départements des MNA est en passe d'être publié. Les MNA ont contribué à l'engorgement de l'ASE. Cela dit, un mineur doit être confié aux soins de la protection de l'enfance, quel que soit son statut. De plus, la présomption de minorité s'impose quand on ne connaît pas leur âge. L'évaluation de la minorité a progressé, mais elle reste hétérogène. Articulons mieux les dispositifs visant les majeurs avec ceux qui sont destinés aux mineurs.

La prostitution est un vaste sujet. J'aborde les choses avec pragmatisme : tout est bon à prendre lorsque l'on intente des procès aux criminels. Je pense que la peur du gendarme est une méthode efficace. De plus, notre pays a une approche complexe de la sexualité : on le voit dans les violences intrafamiliales. Nous devons progresser en matière d'éducation à la vie affective et sexuelle. Nous faisons face à une montagne : je pense que les procès médiatisés nous aident à avancer dans ce domaine.

La rédaction de neuf décrets d'application de la loi du 7 février 2022 est bien avancée.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Bonne

Nous manquons de temps pour aborder en profondeur la question de l'application de loi relative à la protection des enfants. Je réitère mes propos tenus en séance le 8 décembre dernier : il serait intéressant, non pas de créer une délégation à la protection de l'enfance, mais de mener une mission d'évaluation sur les lois de 2007, 2016 et 2022. Nous avons adopté des avancées législatives - le Sénat a d'ailleurs fortement enrichi la loi, en proposant par exemple la création des comités départementaux pour la protection de l'enfance - mais nous n'avons pas toujours d'informations sur leur mise en oeuvre concrète.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

En tant que rapporteur du projet de loi, cette mission de suivre l'application de la loi promulguée vous incombe de droit.

Debut de section - Permalien
Charlotte Caubel, secrétaire d'État

Les métiers de la protection de l'enfance se sont largement professionnalisés. Mais les acteurs sont perdus face à la multiplicité des textes et des prescriptions. C'est pourquoi je suis très intéressée par le travail que vous pourrez mener.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je précise que la mission commune d'information avait été complétée par une mission conjointe de la commission des lois et de notre commission sur la question du secret professionnel et, notamment, du secret médical.

Merci beaucoup pour cet échange de qualité, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.