La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé le CPF, créé en 2014, avec pour objectif de faciliter l'accès de chaque actif à la formation professionnelle.
Premièrement, dans un objectif d'accessibilité et de lisibilité renforcées pour le titulaire d'un CPF, le principe d'acquisition et de mobilisation des droits en heures a été remplacé par un dispositif monétisé en euros.
Deuxièmement, le système complexe et inéquitable de listes de formations éligibles au CPF a été supprimé. Sont désormais éligibles de plein droit les actions de formation préparant aux diplômes et titres à finalité professionnelle enregistrés aux répertoires nationaux gérés par France compétences - le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et le répertoire spécifique (RS) - ou permettant d'obtenir un bloc de compétences de certifications professionnelles.
Une autre innovation importante est la désintermédiation du dispositif. Désormais, les actifs peuvent directement choisir et payer leur formation via un service dématérialisé, « Mon compte formation », lancé en novembre 2019.
Enfin, la loi a confié le financement et la gestion du CPF à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui bénéficie elle-même à ce titre d'une dotation financière de France compétences.
La réforme a connu un indéniable succès quantitatif : environ 2,1 millions de dossiers de formation ont été financés en 2021 par le CPF, contre près de 1 million en 2020 et 500 000 en 2019, soit un doublement chaque année. Grâce à un mode d'alimentation favorable aux temps partiels, elle a également permis un rééquilibrage du recours au CPF entre les hommes et les femmes.
Toutefois, avec 19 millions de profils activés sur « Mon compte formation », cette réforme a aussi ouvert une brèche dans laquelle divers acteurs, allant d'organismes de formation peu scrupuleux à des spécialistes de la fraude, se sont engouffrés.
La fraude au CPF est protéiforme. Il peut s'agir de pratiques commerciales agressives visant à pousser les titulaires d'un compte à acheter une formation contre leur gré ; d'irrégularités à l'éligibilité des formations au CPF ou à l'habilitation de l'organisme de formation à dispenser la formation proposée ; ou encore, de fausses entrées en formation validées sur la plateforme « Mon compte formation » à la suite d'une usurpation d'identité, voire, dans certains cas, d'une collusion entre le titulaire du CPF et le prétendu organisme de formation.
La CDC évalue entre 40 et 60 millions d'euros le préjudice financier lié à ces pratiques. Si ces montants peuvent sembler importants, il convient de les rapporter aux dépenses totales occasionnées par le dispositif, qui se sont élevées à 2,85 milliards d'euros en 2021.
Au-delà de leur impact financier, ces pratiques nuisent à l'image du CPF et, plus généralement, à celle de l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle, brouillant ainsi le message des pouvoirs publics en faveur du développement des compétences.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée par les députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et Thomas Mesnier, et adoptée par l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier, vise à rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre ces abus.
Naturellement, l'action des pouvoirs publics contre la fraude au CPF n'a pas attendu ce texte. Dès le lancement de « Mon compte formation », la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la CDC ont défini une stratégie commune en matière de lutte contre la fraude. Leurs efforts se sont amplifiés depuis 2021 en raison de l'aggravation du phénomène.
L'action de la CDC se déploie principalement sur deux axes.
Le premier axe concerne le traitement des signalements. La CDC a notamment lancé en septembre 2021, sur la plateforme « Mon compte formation », un formulaire permettant aux titulaires d'un CPF de signaler des agissements d'organismes de formation contraires aux conditions générales d'utilisation (CGU) dont ils auraient été les victimes ; depuis le 1er janvier 2022, 50 000 signalements ont été reçus par la CDC, qui ont conduit à la restitution de 620 314 euros de droits CPF à 535 titulaires de compte.
Le second axe concerne le contrôle du service fait. La CDC peut demander à l'organisme de formation toutes pièces justifiant la réalisation de la formation, l'accompagnement du stagiaire ou la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la réalisation de la formation. Elle a ainsi repéré 350 organismes de formation présentant un nombre significatif de contrôles non concluants.
Les alertes identifiées par la CDC, que ce soit à l'occasion d'un contrôle ou à la suite d'un signalement, donnent lieu à une procédure contradictoire au cours de laquelle l'organisme de formation est appelé à apporter ses observations. Les sanctions, appliquées selon une grille graduée, sont débattues au sein d'une commission d'arbitrage réunie à un rythme hebdomadaire. Au total, en 2021, 153 organismes de formation ont été déréférencés de la plateforme « Mon compte formation » ; 945 ont vu une partie de leurs actions de formation être déréférencées et 130 ont fait l'objet d'une suspension de paiement, pour un montant total de 31,2 millions d'euros.
Les CGU de la plateforme ont été modifiées à plusieurs reprises afin de prévenir la fraude et de compléter l'arsenal de la CDC. Ainsi, en juin 2021, a été instauré un délai obligatoire de onze jours ouvrés entre la date d'envoi d'une proposition de commande par un organisme de formation et le début de la formation correspondante. En octobre 2022, a été mis en place un contrôle des organismes de formation en amont de leur référencement sur la plateforme.
Depuis le 25 octobre dernier, afin de prévenir les usurpations d'identité et les utilisations frauduleuses de compte, l'accès des utilisateurs à la plateforme a été sécurisé par la mise en place de la solution FranceConnect+, qui nécessite de disposer d'une identité numérique La Poste. Si elle est efficace, cette solution qui alourdit le processus de connexion comporte des effets de bord non négligeables, notamment vis-à-vis de personnes en difficulté avec le numérique. Depuis un mois, une diminution de 30 à 35 % du volume de dossiers a été constatée. Si le libre accès à la plateforme doit continuer à être garanti, il convient d'interpréter cette donnée avec prudence, car elle résulte de l'effet combiné de plusieurs mesures de régulation.
En parallèle, le ministère du travail a réalisé une campagne de communication grand public afin de mettre en garde les titulaires de CPF contre les appels téléphoniques, les courriels et les SMS frauduleux. Des messages de prévention sont diffusés régulièrement au sujet des arnaques au CPF, rappelant aux titulaires de ne pas communiquer leurs identifiants personnels et de ne pas souscrire à des formations promettant des cadeaux ou des compensations financières. Il reste néanmoins des obstacles législatifs à lever pour permettre à ces actions de prendre leur pleine mesure.
Des échanges d'informations entre les services de l'État, France compétences et la CDC se sont activement développés afin de lutter contre la fraude. Toutefois, en l'état actuel du droit, la CDC ne peut en faire usage afin de recouvrer les sommes indûment perçues par des organismes de formation. En effet, les décisions de la CDC impliquant des sommes à rembourser par les organismes de formation ne permettent pas d'obtenir l'exécution forcée des créances. La CDC doit saisir le tribunal administratif afin d'obtenir un titre exécutoire, ce qui permet aux organismes concernés de gagner du temps, voire d'organiser l'évasion des fonds.
De plus, si les échanges entre services permettent d'identifier les fraudeurs, la CDC ne peut pas les invoquer devant le tribunal administratif en l'absence de fondement légal. En matière de démarchage téléphonique, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a mis en place un régime d'opposition avec la possibilité de s'inscrire gratuitement à la liste Bloctel. Ce régime a été renforcé par la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, qui a rendu obligatoire la consultation par les centres d'appel de la liste d'opposition et alourdi les sanctions applicables.
La même loi a interdit tout démarchage téléphonique ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables ; dans ce secteur aussi, la politique publique en faveur de la transition énergétique avait donné lieu à une recrudescence de pratiques de démarchage frauduleux.
Pour les courriers électroniques et les SMS, un régime de consentement préalable et explicite, ou opt-in, s'applique. La prospection directe d'une personne physique par ces moyens de communication est interdite si cette dernière n'a pas préalablement accepté d'être sollicitée.
Ces dispositifs n'ont pas empêché la prolifération de pratiques agressives de démarchage, notamment téléphonique, relatif au CPF. L'analyse des signalements déposés sur « Mon compte formation » permet de constater que, en cas d'abus, le téléphone est effectivement le principal vecteur de prise de contact entre l'organisme de formation et le titulaire de compte.
Face à ce constat, l'article 1er de la proposition de loi tend à interdire la prospection commerciale - par téléphone, par SMS, par courriel ou sur les réseaux sociaux - des titulaires d'un CPF visant à collecter leurs données à caractère personnel ou à conclure des contrats portant sur des actions de formation, sauf si la sollicitation intervient dans le cadre d'une action de formation en cours et présentant un lien direct avec son objet.
Afin de contrôler le respect de ces dispositions, il habilite les agents de la DGCCRF à rechercher et à constater ces infractions, et prévoit des sanctions administratives d'un montant maximal de 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. Cette mesure stricte n'empêchera pas les organismes de formation de communiquer, mais permettra de faire cesser le démarchage abusif en clarifiant les règles. Elle aidera également les actifs à prendre des décisions réfléchies sur l'utilisation de leur CPF et le choix de leur avenir professionnel.
La proposition de loi vise, par ailleurs, à renforcer les moyens d'action de la CDC face à la fraude. À cette fin, elle donne une base légale à la communication d'informations entre les acteurs de la lutte contre la fraude. L'article 2 prévoit ainsi que la CDC, France compétences, les services de l'État chargés de la répression des fraudes et ceux qui sont chargés des contrôles de la formation professionnelle, mais aussi les organismes financeurs, les organismes délivrant la certification Qualiopi et les ministères ou organismes propriétaires de certifications professionnelles peuvent échanger tous les documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur accomplissement.
Il autorise également la cellule nationale de renseignement financier, Tracfin, à transmettre des informations à la CDC ainsi qu'à l'Agence de services et de paiement (ASP), chargée de verser les aides à l'embauche d'apprentis. Ces échanges d'informations permettront de faire gagner un temps précieux à la CDC pour l'accomplissement de sa mission de lutte contre la fraude.
L'article 2 bis, inséré à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement, donne à la CDC les moyens de mettre en oeuvre un recouvrement forcé des sommes indûment versées à un organisme de formation. À cet effet, le directeur général de la CDC pourra délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du prestataire devant la juridiction compétente, comportera tous les effets d'un jugement. En outre, lorsqu'elle constatera la mobilisation par le titulaire d'un CPF de droits indus ou une utilisation contraire à la réglementation, la CDC pourra procéder au recouvrement de l'indu par retenue sur les droits inscrits ou sur les droits futurs du titulaire.
Comme le prévoit l'article 2, les agents de la CDC pourront obtenir de l'administration fiscale les informations contenues dans le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba). En outre, la CDC pourra recevoir de l'administration fiscale communication de tous documents ou renseignements nécessaires aux contrôles préalables au paiement des sommes dues, ainsi qu'à la reprise et au recouvrement des sommes indûment versées au titre du CPF.
L'article 3 tend à inscrire dans la loi les conditions du référencement sur « Mon compte formation », ce qui permettra de fonder le refus par la CDC de référencer un organisme de formation qui ne remplirait pas ces conditions. Il serait notamment vérifié que l'organisme propose des formations éligibles à un financement CPF, dispose de la certification qualité Qualiopi, respecte les prescriptions de la législation fiscale et sociale et satisfait aux CGU. La CDC pourrait procéder à la même vérification pour les organismes de formation déjà référencés sur la plateforme avant la publication de la loi. Afin d'assurer l'opérationnalité de la mesure, des échanges de données pourraient être organisés entre la CDC, les Urssaf et l'administration fiscale.
Afin de mettre fin à certaines dérives de nature à tromper les titulaires de CPF, l'article 4 vise à encadrer le recours à des sous-traitants en soumettant ces derniers aux mêmes obligations que les donneurs d'ordre. Cette dernière mesure appelle une vigilance particulière. Appliquée indistinctement à tous les sous-traitants, notamment les travailleurs indépendants et les micro-entrepreneurs, elle pourrait mettre en péril une partie du secteur. Le décret en Conseil d'État prévu pour son application devra bien préciser la portée de ces obligations selon le degré d'implication dans l'exécution des actions de formation et la nature du prestataire concerné.
En matière de lutte contre la fraude, il n'existe pas de solution infaillible. Il s'agit de mettre en place des barrages filtrants qui rendront plus compliqués les contournements. La proposition de loi, très attendue, répond à cette logique, et le rapport d'information que nous vous avons présenté, en juin dernier, avec Frédérique Puissat et Corinne Féret soutenait déjà ces objectifs.
Je considère que la lutte contre la fraude et l'amélioration de la qualité de la formation professionnelle forment un continuum. À cet égard, je salue le travail réalisé en matière de certifications professionnelles par France compétences, qui représente en soi un levier de prévention des abus. Ce texte ne prétend pas épuiser le sujet des ajustements à apporter au CPF, puisque des réflexions sont en cours, en concertation avec les partenaires sociaux et dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, sur la mise en place d'un mécanisme de régulation du dispositif. Je vous invite donc à adopter sans modification cette proposition de loi, ce qui permettra son entrée en vigueur immédiate.
Enfin, il m'appartient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que cette proposition de loi comprend des dispositions relatives à l'interdiction de la prospection commerciale des titulaires d'un CPF ; aux échanges d'informations et de documents entre les autorités compétentes en matière de lutte contre la fraude au CPF ; aux modalités de recouvrement des sommes versées indûment au titre du CPF ; et aux conditions de référencement des organismes de formation sur le service dématérialisé « Mon compte formation » et de recours à la sous-traitance par les organismes référencés sur ce service.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs aux règles d'acquisition, de mobilisation et d'abondement des droits inscrits sur le CPF, ainsi qu'à l'organisation et au financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Il en est ainsi décidé.