Intervention de Bernard Jomier

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 novembre 2022 à 9h30
Proposition de loi visant à rétablir l'équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l'accès à la santé pour tous — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Je voudrais commencer par élargir la focale. Nous sommes nombreux à éprouver du désarroi ou de la colère en regardant nos services de santé s'écrouler dans nos territoires. Hier, les psychiatres étaient en grève, demain ce seront les médecins généralistes et bientôt les infirmières. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La dépense publique représente 55 % du PIB et ce pourcentage a connu une augmentation de neuf points en vingt ans. Il faut donc plonger dans la structure de cette dépense pour comprendre notre situation actuelle. En effet, nous ne finançons pas plus nos services publics aujourd'hui qu'à la fin du septennat de Valéry Giscard d'Estaing alors que, depuis, la population française a augmenté de 15 millions d'habitants. En fait, la dépense publique a connu une telle hausse parce qu'elle est fléchée vers des transferts aux entreprises et aux ménages. Ainsi, notre pays sous-finance désormais ses services publics et la part des dépenses publiques que nous consacrons réellement à leur bon fonctionnement n'est que de 38 %. Si le financement de l'hôpital public représentait la même part qu'au début des années 1980, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) hospitalier ne s'élèverait pas à 98 milliards d'euros par an, mais plutôt à 120 ou 125 milliards d'euros.

Nous avons tenté de lancer ce débat au moment de l'examen du PLFSS et de reconsidérer les exonérations de cotisations inutiles, qui coûtent aux finances publiques sans avoir d'impact sur l'activité économique et représentent 72 milliards d'euros. Pourquoi les maintenir ?

Nous attendons tous une grande loi Santé. Cependant, je doute que, dans les circonstances politiques actuelles, le Gouvernement ait la capacité de faire passer une telle loi au Parlement. Je partage presque tous les propos de François Braun, mais n'en retrouve rien dans les actes. Que reste-t-il par exemple du « virage préventif » dans les textes présentés ? Le ministre est confronté aux dogmes de Bercy, aux mêmes contraintes et à la même matrice politique que ses prédécesseurs. Dans ce contexte, les propositions de loi témoignent de ce que nous tentons de faire en tant qu'élus.

Par ailleurs, ne reprochons pas à cette proposition de loi de ne s'adresser qu'à une catégorie de soignants. En effet, c'était aussi le cas de celle de Bruno Retailleau que les groupes majoritaires ont pourtant votée. Chacun cherche des solutions et tente d'apporter sa pierre.

J'en viens aux spécificités de cette proposition de loi et commencerai par la question de l'année supplémentaire. Lors des discussions que nous avons menées avec de jeunes médecins, ces derniers ne se disaient pas opposés à cette année, mais ils y mettaient des conditions. Ainsi, s'ils étaient rémunérés correctement et non sous-payés et exploités pour une dixième année, s'ils étaient accompagnés par un maître de stage et si l'on s'occupait de leur logement, ils étaient plutôt partants. Cependant, vous avez précipité le mouvement et joué un jeu de vitesse avec le Gouvernement, qui a dégainé l'article 23 du PLFSS pour être le premier à porter cette mesure. Cette précipitation a entraîné le rejet des jeunes médecins que rien n'empêche, dans ce texte, de passer un an de plus dans les hôpitaux pour gagner 2 200 euros par mois. Cette précipitation a entraîné la création d'une quatrième année, mais pas d'une année de professionnalisation.

La rapporteure et l'auteure de cette proposition de loi ont donc essayé de faire davantage ressembler cette année à un temps de professionnalisation pour tenir compte de la volonté des jeunes médecins et pour contrer la rédaction retenue par le PLFSS.

Par ailleurs, je vous invite à ne pas fermer la porte au sujet de la PDSA pour tous les médecins. En effet, nous convenons tous du fait que l'abrogation de cette obligation a représenté une erreur. De plus, la plupart des dispositifs actuellement proposés ciblent les jeunes médecins, ce que je ne partage pas. En effet, ils connaissent déjà des situations difficiles et, comme l'a bien expliqué Élisabeth Doineau, une partie d'entre eux est même en train de lâcher. À ce titre, j'attire votre attention sur le fait que le taux d'abandon pendant les études de médecine est en train de grimper et d'atteindre pour la première fois un niveau à deux chiffres. On peut toujours augmenter le numerus apertus, si un plus grand nombre abandonne en cours, cela ne nous avancera pas.

Cette mesure du retour de l'obligation pour tous les médecins est juste, parce qu'ils sont tous collectivement responsables de la PDSA. N'êtes-vous pas intervenus dans des cas de médecins faisant face à des réquisitions localement alors qu'ils travaillent déjà énormément ? Toutefois, le dispositif ne doit pas nécessairement être brutal. La question ne porte pas sur le principe de l'obligation, mais sur la façon dont il doit s'appliquer.

Ensuite, la pénurie ne doit pas entraîner un détricotage du parcours de soins, qui garantit un accès juste et équitable au soin. À l'inverse, la désorganisation de ce parcours et la suppression du médecin traitant se feraient au bénéfice des professionnels concernés, mais aussi de ceux qui ont les outils culturels, relationnels et financiers pour accéder aux soignants. Ces parcours peuvent être aménagés en fonction des pénuries mais doivent être respectés.

J'en viens aux collectivités territoriales. Il faut éviter les effets de concurrence dans le financement, et une remise à plat des aides est en cours de discussion. Mais surtout, il faut inscrire dans la loi et ainsi reconnaître le rôle que ces collectivités jouent en termes d'offre de soins. Aucun texte n'a produit d'avancée sur cette question et le Gouvernement n'envoie aucun signal positif.

Je finirai en évoquant le statut des soignants. Nous avons toujours défendu l'idée qu'ils doivent avoir le choix, et nous observons aujourd'hui une appétence des jeunes médecins pour le salariat. Il faut qu'on prenne en compte le fait, y compris dans les aides, qu'un médecin exerçant en salariat « produit » moins de soins qu'un médecin libéral. Il ne s'agit pas de prendre parti, car je reconnais l'importance de privilégier sa qualité de vie et partage cette idée à titre personnel. Cependant, en tant que législateurs et responsables politiques, il nous faut reconnaître que si tous les médecins libéraux devenaient aujourd'hui salariés, l'offre de soins serait réduite d'un tiers dans le pays.

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