C'est un plaisir de vous accueillir pour cette audition. Il faut bien l'avouer, nous ne pensions pas vous retrouver si rapidement pour étudier votre candidature à une nouvelle nomination.
J'ai préparé cette audition exigeante pour que notre échange soit le plus éclairant possible et qu'il ne soit perçu ni comme une formalité convenue, ni comme une tribune inquisitrice. Ainsi, j'ai échangé avec la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, Didier Migaud, Président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), Catherine Guillouard, ancienne présidente de la RATP, qui a récemment mis fin à sa fonction pour raisons personnelles mais qui, avec détermination, a préparé le groupe à l'ouverture à la concurrence et mené à bien de nombreux chantiers.
La question centrale de cette audition est donc celle-ci : l'ancien Premier ministre Jean Castex peut-il être le nouveau PDG de la RATP ?
Sans nul doute, votre appétence et votre compétence sur les transports sont au rendez-vous, comme nous l'avions déjà exprimé très largement en juillet dernier. Je peux en témoigner en tant qu'administrateur de l'Afitf que vous présidez, ou présidiez. Dès vos premiers jours à la tête de cette agence, j'ai pu constater une impulsion nouvelle, une mobilisation accrue des services de l'État et un nombre record de conventions signées et de crédits consommés. J'y voyais un atout et le renforcement du plaidoyer en faveur des transports, alors que ce sujet a été totalement occulté durant la présidentielle et qu'il revient tel un boomerang dans l'actualité.
Pour autant, ce premier point positif est grippé par un chapelet de réserves et de remarques que l'on ne peut camoufler.
Premièrement, votre nomination vient se mêler à une longue liste de « recasages » s'apparentant moins au mérite qu'à la loyauté.
Votre expérience risque injustement de se confondre avec les autres nominations d'Emmanuel Macron, celles des naufragés du suffrage universel, des ex-ministres ou proches de la Première dame ; qu'ils soient nommés à la Cour des comptes, à la préfecture de Police de Paris, au Conseil constitutionnel, au Port et au MUCEM de Marseille, à la Commission de régulation de l'Énergie, à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ou au Comité de la Biodiversité...
Les Français ou mieux, le Président de la République lui-même, n'en voulaient plus : ils les ont fait sortir par la grande porte de la démocratie, il a trouvé le moyen de les faire rentrer par les fenêtres du copinage. Est-ce donc cela, le nouveau monde ?
Deuxième point, nous sommes pour le moins surpris de vous retrouver si rapidement après vous avoir questionné pour votre nomination à l'Afitf, le 27 juillet dernier. 104 jours seulement séparent le Jean Castex qui se présentait devant nous comme candidat à l'Afitf de celui qui se présente aujourd'hui comme candidat à la RATP.
Reste à savoir si cette candidature sera la bonne, ou si vous restez ouvert à d'autres opportunités de nomination que nous aurons à traiter. Ensuite, quid du devenir de l'Afitf ?
Dernier point, nous avons été forcément embarrassés par les réserves de la HATVP. À première vue, son avis du 18 octobre dernier semblait contraindre assez strictement le possible exercice de vos futures fonctions, vous demandant de vous abstenir de toute démarche auprès des membres du Gouvernement qui étaient en exercice lorsque vous étiez Premier ministre ou encore, jusqu'au 16 mai 2025, auprès des services qui étaient placés sous votre autorité.
Quel dirigeant d'un établissement public de transport aussi important que la RATP peut s'abstenir de tout contact avec le ministre des transports ou le ministre de l'intérieur ?
Mais mon entretien avec le président de la HATVP a permis de m'éclairer et d'écarter les questions pénales et déontologiques de ces réserves. Dans le cadre spécifique de l'ouverture à la concurrence, vous devez simplement vous abstenir de démarcher, c'est-à-dire, selon la définition du Larousse, de mener à bien une entreprise, telle une intervention faite auprès d'une autorité, en l'occurrence auprès de vos anciens collègues ministres. La frontière me semblait poreuse, mais le président Migaud a levé mes doutes.
Le cadre de cette nomination étant ainsi posé, je souhaitais bien sûr vous interroger sur deux sujets qui me paraissent cruciaux : le financement du transport public en France et votre stratégie à la tête de la RATP.
Pour ce qui est du financement du transport public, je sais que vous avez conscience de la situation de crise que nous vivons. Des infrastructures et du matériel vieillissants, des autorités organisatrices de mobilité (AOM) à l'agonie financière, à l'image d'Ile-de-France Mobilités (IDFM) qui n'aura pour seule solution, au grand dam de sa présidente, que de baisser encore son offre ou d'augmenter fortement son Pass Navigo, à contresens de la décarbonation des transports que nous appelons de nos voeux.
Comment trouver de nouvelles ressources en investissement et en fonctionnement, comme cela avait été promis par votre prédécesseur à Matignon, et qui ne sont jamais arrivées ?
Comment rétablir un service de qualité à un coût acceptable, après une dégradation palpable depuis la rentrée ?
Pour ce qui est de la stratégie du groupe, allez-vous continuer la politique de la présidente Guillouard, qui a essayé d'aller chercher des bénéfices dans d'autres pays et vers d'autres corps de métier que le transport public pur, pour lutter contre la perte probable de marchés en Ile-de-France, du fait de l'ouverture à la concurrence et de l'assèchement des subventions publiques ou allez-vous vous recentrer sur le coeur de métier qu'est le transport public et notamment en Ile-de-France ?
Enfin, le président de la RATP Jean Castex sera-t-il celui qui défendra les mesures de sécurité portées par l'entreprise alors que le Gouvernement qu'il dirigeait il y a peu les refusait au travers d'amendements sénatoriaux, comme celui visant à supprimer l'obligation de reclassement en cas d'avis d'incompatibilité rendu pour occuper une fonction sensible, notamment pour les fichés S ?
Pour conclure, en fonction des réponses que vous apporterez à nos questions, comme je l'ai dit : compétence et appétence demeurent pour moi la priorité des priorités.
Aussi, à titre personnel, et sans engager ni mes collègues, ni mon groupe, je voterai pour votre nomination aux fonctions de PDG de la RATP.
Je le fais dans un seul but : celui de ne pas vous affaiblir au moment où, juste après le départ de Catherine Guillouard et avant une grève qui vous est offerte comme cadeau de bienvenue, le climat social et l'offre de transports se dégradent et le marché concurrentiel s'active fortement.
Je crois que nous avons tous plutôt intérêt à ce que vous réussissiez cette grande et belle mission et ainsi éviter le déclassement du groupe RATP et de ses 69 000 salariés, sur un plan local, national et international.