Même si les circonstances sont particulières, c'est un plaisir de me retrouver devant vous, comme candidat à la présidence de la RATP - et même si, je tiens à vous rassurer, je n'ai pas l'intention de renouveler des candidatures tous les trois mois... La RATP est une belle entreprise de notre patrimoine national, elle fait face à des difficultés mais, vous me connaissez, ce n'est pas pour me décourager.
Pourquoi candidater alors que je viens d'entrer à l'Afitf ? D'abord parce que lorsque je me suis présenté devant vous pour la présidence de l'Afitf, il y a trois mois, le poste n'était pas vacant à la RATP - et personne n'imaginait qu'il le deviendrait subitement puisque la vacance tient à une décision personnelle, tout à fait respectable et honorable, de Catherine Guillouard. Je tiens à rendre hommage à son action à la tête de la Régie qu'elle a conduite et faite évoluer avec beaucoup de courage, sachant lancer de grands chantiers qu'il faut maintenant poursuivre. Sa décision de partir, annoncée début septembre, a surpris tout le monde et elle est donc intervenue après que je me suis présenté devant vous pour l'Afitf. Je le dis sans détour : quand l'exécutif m'a demandé si cette fonction m'intéressait, j'ai tout de suite répondu positivement. Est-ce que ce sera pour moi le bon poste ? Le précédent n'était pas mauvais, j'étais heureux et je vous remercie de vos appréciations, mais le poste dont il s'agissait il y a trois mois n'a pas la même dimension que celui dont nous parlons aujourd'hui. L'Afitf, c'est une équipe de 5 agents - à la RATP, en incluant les filiales, on dépasse les 70 000 salariés... Vous m'accorderez que je suis cohérent : je reste dans le même secteur, celui des transports collectifs, et je vous ai dit il y a trois mois combien je crois aux transports collectifs, ils représentent des enjeux quotidiens pour des millions de nos concitoyens, mais aussi des enjeux d'aménagement du territoire et de fabrication de la ville - d'abord en Ile-de-France, même si la RATP s'est étendue hors de cette région et même du pays - et, encore, des enjeux fondamentaux de transition écologique.
Voilà comment les choses se sont passées. Les défis sont nombreux, ils ne me découragent pas, ils m'aiguillonnent, même. Troisième opérateur mondial de transport urbain, très liée à l'histoire de la capitale, la RATP fait face à des défis très lourds et considérables, y compris à très court terme - vous les avez présentés. Je suis candidat, donc loin de tout connaître sur le sujet, mais je veux vous dire ma façon de voir les choses.
Il va d'abord falloir, me semble-t-il, s'occuper du très court terme : chacun le sait à travers la presse, il y a un sujet de qualité et de continuité du service, notamment s'agissant du service de bus, avec un quart de l'offre qui n'a pas été réalisée en octobre ; il y a des difficultés sur un certain nombre de lignes de métro, je le sais très concrètement, en tant qu'usager du métro. La RATP rencontre des difficultés de recrutement, de ressources humaines - mais ne comptez pas sur moi pour faire du RATP « bashing », les difficultés sont loin d'être l'apanage de la Régie, les transports collectifs en général sont en difficulté. Il y a des propositions pour en sortir, venue de la RATP et d'IDFM, il faut avancer.
Autre défi de court terme, la facture énergétique va être très importante : elle était de 210 millions d'euros l'an dernier, elle serait de 265 millions d'euros cette année et elle atteindrait 480 à 550 millions d'euros l'an prochain, c'est une augmentation considérable. La RATP consomme 2,5 térawatts-heures (TWh) par an d'énergie, soit 2 % de la consommation électrique de toute l'Ile-de-France. Sur un tel sujet, il va falloir mobiliser des dispositifs nationaux et je veux vous rassurer : je pourrai tout à fait m'adresser au ministre de l'économie et à celui de l'énergie pour mettre en place des mesures tarifaires ; les réserves de la HAVTP ne concernent que l'ouverture à la concurrence. Or, ce n'est pas la RATP qui organise l'ouverture à la concurrence, c'est IDFM, ce n'est pas le Gouvernement, c'est l'instance régionale, issue du Conseil régional.
Autre défi de court terme, la question des salaires et le mouvement social qui, vous me l'accorderez, ne concerne pas que la RATP. Or, la Régie a augmenté les salaires, en moyenne, de 5,2 % cette année, avec l'effet du point d'indice et celui des primes, qui ont concerné surtout les bas salaires et le travail de nuit. Il faudra, bien entendu, prendre aussi en compte la réforme des retraites, qui aura un impact certain.
À courte échéance, parce que ce sont des événements qui se préparent dès aujourd'hui, se présentent également la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), avec 1 million de voyageurs supplémentaires certains jours, cela représente des enjeux très importants de flux, mais aussi, par exemple, de billettique, avec l'objectif qu'au moins 40 % des passagers achètent un billet digital.
Enfin, il y aura l'ouverture à la concurrence en 2025, qui a déjà commencé mais sur des zones où la RATP était peu présente et qui va bientôt toucher toutes les zones de bus qu'elle exploite aujourd'hui, puis en 2030 pour le tramway, et 2040 pour le métro.
Parmi les enjeux de grande envergure qui impliquent des actions dès aujourd'hui, il y a le changement climatique. Il commande de faire gagner des parts modales au transport collectif, alors même que la RATP n'a pas rattrapé le niveau d'avant la crise sanitaire. Les transports représentent 31 % des émissions de gaz à effet de serre, dont 94 % pour la route. À distance égale, en Ile-de-France, on consomme 50 fois moins de CO2 en empruntant les transports en commun plutôt que sa voiture - il est clair que la RATP doit conquérir de nouveaux clients.
Pour répondre à l'enjeu climatique, il faut aussi agir pour la sobriété de la RATP. La Régie s'est fixée pour objectif de réduire de moitié ses gaz à effet de serre en 2025 par rapport à 2015, et de 80 % en 2034 ; cela passe par le très ambitieux Plan bus, d'1,8 milliard d'euros, avec l'objectif qu'il n'y ait plus de bus au diesel d'ici fin 2026 - chacun ici, qui a les pieds sur terre, mesure combien c'est considérable. Or, l'objectif est déjà atteint à 57 %, il y a déjà 554 bus électriques, 794 au biométhane, 361 nouveaux bus qui roulent sans diesel ont déjà été introduits cette année - et tout ceci pose, vous vous en doutez bien, des problèmes très difficiles dans cette période pour les achats, les nécessaires reconversions des centres bus, donc des problèmes de permis de construire, de réglementation... Toujours pour sa sobriété énergétique, la RATP agit et doit continuer à agir sur la consommation énergétique de ses bâtiments - l'objectif est ici de 20 %, elle doit augmenter le renouvelable dans l'électricité qu'elle consomme et aussi approfondir le chantier de la publicité et de l'éclairage dans ses espaces.
Les défis ne manquent donc pas, ils me motivent.
Quelles seront mes priorités ? Quelques mots de méthode. Je crois que, dans la vie, il faut faire ce qu'on sait faire - et vous me connaissez, ma méthode passera par de l'écoute, de la concertation et de la proximité.
Il faut écouter les salariés et les usagers de la RATP. Il faut, bien entendu, travailler avec IDFM, qui représente l'essentiel des résultats de la Régie ; je commencerai bien sûr mes visites par la présidente de la région Ile-de-France. Nous avons l'obligation de bien travailler ensemble car, pour les usagers, le fait de savoir si telle difficulté relève de la RATP ou d'IDFM ne compte guère... Mon objectif à court terme, c'est de faire un état des lieux très précis des difficultés pour parvenir rapidement à un plan d'action concerté, et que l'on travaille ensemble au service des Franciliens et de tous les visiteurs. Vous pouvez aussi compter que l'ancien maire que je suis fera le tour des élus, des maires, des présidents de départements, de tous les élus des territoires où la RATP déploie et va déployer son service public. Ce dialogue sera aussi exercé avec les partenaires sociaux de l'entreprise, le dialogue social a une longue histoire à la RATP, il ne faut pas la récuser. Un mouvement de grève est prévu pour ce 10 novembre, on annonce qu'il sera suivi, mais je vois aussi que l'entreprise a signé 25 accords d'entreprise en 2021, c'est dire la vitalité du dialogue social. Et vous savez combien j'y suis attaché, vous avez pu le constater lorsque j'étais Premier ministre, les organisations syndicales l'ont reconnu. Je vais m'employer à faire aboutir les discussions sur le cadre social territorialisé, des négociations longues n'ont pas abouti, une décision unilatérale de la RATP est contestée en justice, une médiation judiciaire est en cours, il faut avancer. Nous devons également anticiper la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires ; elle sera ouverte dès le mois prochain.
J'entends améliorer le travail avec les usagers et leurs représentants - ce n'est pas une critique envers ce qui se fait, mais je veux aller plus loin encore. Les usagers, ou clients, ont des droits d'expression ; les outils d'expression ont évolué, il faut y travailler.
Je veux aussi insister sur la qualité du management à tous les étages, il y a eu des réformes organisationnelles, il faudra les mener à terme. Je suis pour la plus forte déconcentration possible, pour que la ligne hiérarchique soit mobilisée, responsabilisée, pour trouver les solutions au plus près du terrain.
Sur le fond, je ne suis pas pour une retour en arrière sur la diversification et la filialisation, mais ma priorité des priorités c'est le coeur du métier, qui est de répondre aux attentes des usagers par la ponctualité, la régularité, la propreté, la sécurité, la qualité de l'information, la lutte contre fraude, l'amélioration de la billettique : la diversification de l'activité, qui fait sens, ne doit pas détourner la RATP de ses missions fondamentales, le transport collectif. Nous devons résoudre les difficultés de recrutement, l'absentéisme ; la RATP annonce le recours à de l'intérim, je me donne trois semaines pour un diagnostic partagé et pour trouver de nouveaux outils qui permettent d'avancer.
La sécurité préoccupe nos concitoyens sur certaines parties du réseau, en particulier dans le nord-est parisien, où se rencontrent les problèmes du crack, du vol à la tire, d'agressions en particulier envers les femmes. L'une de mes toutes premières visites sera au centre de coordination opérationnelle, mis en place en juillet dernier et placé sous l'autorité de la préfecture de police de Paris. Le Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) a lui aussi du mal à recruter. IDFM a augmenté ses crédits mais la RATP ne parvient pas aux 958 agents prévus pour la fin 2022, mais je crois comprendre que nous serons à 920, il faut avancer. J'attire votre attention sur le fait que, sur les 45 000 agents que compte l'établissement public, 5 500 sont dans les gares et stations, au contact du public : la présence humaine est importante, il faut poursuivre dans ce sens et, alors que la billettique sera encore modernisée, il faut réfléchir à ce que la présence humaine ne disparaisse pas, il faut même renforcer la présence humaine de proximité, qui est au coeur du service, la RATP étant une entreprise de service public.
C'est aussi par l'investissement, qu'on fera face aux défis du quotidien et que l'on préparera l'avenir.
Il faut continuer d'investir dans les femmes et les hommes qui travaillent dans les 271 métiers de ce service public. Je poursuivrai ici trois objectifs. D'abord, améliorer la vie au travail. Comme je prends le métro, des agents qui me reconnaissent m'abordent désormais, ils me racontent leur vie au travail, leurs difficultés : nous avons besoin d'améliorer la qualité de la vie au travail, en déployant de nouveaux outils ; ce sera l'une de mes priorités. Deuxième objectif : la gestion prévisionnelle des emplois ; elle est indispensable pour lever les difficultés de recrutement qui ont impact direct sur la continuité du service, nous avons une obligation en la matière. Enfin, je veux mettre l'accent, en particulier à travers la formation, sur la diversité, l'excellence, la technicité des métiers de la RATP, qui vont de l'industrie, à l'accueil des usagers et des clients : il faut faire valoir tout cela, ce sont des chantiers porteurs pour l'avenir.
Les investissements sont aussi dans les matériels, ils sont décisifs pour la sécurité, la qualité, la sobriété du réseau. Si l'on veut transporter davantage de gens, il faut accroître l'offre, il n'y a pas de secret. Prenez l'exemple de l'automatisation, installée sur la ligne 1 : que vous preniez les critères de la ponctualité, de la sécurité, du nombre d'incidents, tout s'est amélioré. Il faut généraliser cela, petit à petit, mais le cap est tracé. Des investissements très importants ont été réalisés pour le RER A qui est, avec 1,4 million de voyageurs par jour, la ligne la plus fréquentée au monde : les efforts d'IDFM et de la RATP ont eu une incidence directe sur la ponctualité et sur les indices de satisfaction des usagers, même s'il reste beaucoup à faire. Nous allons investir pour renouveler 60 % du matériel roulant de la RATP d'ici 2035, c'est considérable mais indispensable pour avoir un matériel qui protège mieux, qui soit plus sobre et moins polluant. Le RER B va recevoir 146 trains entre 2025 et 2030, c'est considérable.
Les investissements de la RATP se sont accrus de 70 % entre 2017 et 2022 avec, pour 2021, une enveloppe de 2,7 milliards d'euros, dont 1,2 milliard sur fonds propres, le contrat avec IDF Mobilités porte sur des investissements à hauteur de 8,4 milliards d'euros, le contrat État-région (CPER) prend en charge le quart des investissements. Il faut dégager des ressources nouvelles et supplémentaires par rapport à ce qui a été prévu par la loi d'orientation sur les mobilités (LOM), vous avez raison de le souligner, Monsieur le rapporteur. Je me permets de rappeler que, comme Premier ministre, j'avais accru de 870 millions d'euros la part de l'État dans le CPER, essentiellement grâce au plan de relance, pour la porter à 2,330 milliards d'euros. La politique de diversification et de filialisation doit participer pleinement à la valorisation des investissements, dans la cohérence du groupe. Le métro automatique a démontré ses atouts, il y a des parts de marché à conquérir. Et nous avons besoin d'une vision intégrée des transports, c'est aussi un atout pour la RATP.
Dans ces conditions, nous pourrons relever le défi de l'ouverture à la concurrence ; je suis convaincu que le service public est capable d'y faire face. La réorganisation achevée, nous pourrons passer du statut de monopole à celui d'opérateur choisi ; il manque encore des textes, ce qui génère de l'incertitude pour les salariés, je vais m'y atteler - et pour rassurer ceux qui y verraient une difficulté, je précise que le ministre qui chapeaute les transports, Christophe Béchu, n'était pas dans mon Gouvernement, et qu'il n'y aura donc aucun accroc aux réserves de la HATVP. Enfin, sur la concurrence, je crois que nous devons suivre de très près ses effets et que nous avons besoin d'un observatoire, pour examiner en particulier l'incidence sur la qualité de service.
Je veux dire ma lucidité face aux défis qui sont les nôtres, ma confiance dans les collaborateurs de la RATP, ma détermination à mettre mes expériences au service de l'entreprise et de ses clients usagers ; je crois au service public, aux valeurs du service public qui sont parfaitement conciliables avec la compétitivité, la performance et la concurrence - à condition que celle-ci soit nécessaire, juste et équitable. Je dis aussi mon expérience du dialogue social dans les différentes fonctions qui ont été les miennes, l'impérieuse nécessité du dialogue social, de la considération et de l'écoute. Je dis encore mon expérience pour préparer les grands événements qui attendent Paris et la France, et auxquels la RATP doit apporter son entier concours. J'ai aussi l'expérience du terrain, du concret, des exigences de la vie quotidienne à la fois comme ancien maire et comme utilisateur historique et constant des transports en commun. Et j'ai aussi l'expérience des situations difficiles telles que celles que j'ai pu connaître comme Premier ministre. Enfin, j'ai le sentiment que j'ai encore beaucoup à apprendre dans ce nouveau défi et que mon enthousiasme pour le faire est absolument intact.