Intervention de Sylvie Lemmet

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 novembre 2022 à 9h00
Enjeux de la cop15 biodiversité — Audition de Mme Sylvie Lemmet ambassadrice déléguée à l'environnement

Sylvie Lemmet, ambassadrice déléguée à l'environnement :

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invitée, en compagnie de Virginie Dumoulin de l'Inspection générale de l'environnement au ministère de la transition écologique, avec qui je travaille pour l'ensemble de ces négociations.

La COP15 qui se tiendra à Montréal en décembre a lieu dans le cadre de la Convention sur la biodiversité, une des trois conventions établies à Rio en 1992, avec la Convention sur le climat et la Convention sur la désertification.

Cette Convention repose sur trois piliers : la préservation et la conservation de la nature ; l'utilisation durable des ressources tirées de la nature et le partage des avantages de l'exploitation des ressources génétiques.

À la différence de la COP climat qui se réunit chaque année, la Convention sur la biodiversité a lieu tous les deux ans. L'objectif de la négociation prévue à Montréal est d'établir un cadre décennal, qui succède aux objectifs d'Aichi, qui n'ont pas été atteints ainsi que l'a rappelé le président. Depuis 2010, la biodiversité se dégrade. Des chiffres et des rapports, dont celui de WWF en témoignent.

La dégradation de la biodiversité est liée à cinq causes : le changement d'usage des terres et des mers dû à l'emprise de l'agriculture et de l'urbanisation ; la surexploitation des espèces sauvages avec pour marqueur le plus évident la surpêche ; le changement climatique, dont l'impact sur la biodiversité est de plus en plus important ; la pollution chimique et les espèces exotiques envahissantes.

Le cadre doit se pencher sur chacune de ces causes. Selon les experts, le cadre défini à Aichi a échoué faute de mécanismes d'accompagnement des cibles, de rapportage, de stock-taking ou encore d'état des lieux chemin faisant. Ces mécanismes devraient désormais être inclus dans le cadre mondial.

La question financière est centrale : les pays en développement trouvent, à juste titre, que les mesures liées à la biodiversité sont onéreuses. Un soutien plus volontariste des pays développés sera nécessaire.

Le premier objectif du cadre concerne la réduction des menaces pesant sur la biodiversité avec pour cibles : la conservation, notamment avec la protection de 30 % des terres et des océans - la France et le Costa Rica ont initié une coalition pour la Haute ambition pour la nature et les peuples (HAC) qui compte 110 pays et 5 nouveaux pays ont adhéré lors de la COP27 à Charm el-Cheikh ; l'interdiction du commerce et de l'utilisation des espèces sauvages ; les espèces exotiques envahissantes ; la réduction de la pollution ; le lien entre le changement climatique et la biodiversité.

La deuxième série de cibles se rapporte à la conservation et à l'utilisation durable des ressources notamment via une pêche et une gestion durable des systèmes productifs. En matière d'agriculture, la France et l'Union européenne plaident pour un développement des pratiques respectueuses de l'environnement. Autant de points qui ne font pas non plus l'unanimité parmi les États parties à la Convention sur la diversité biologique.

Le troisième objectif est lié à l'accès et au partage des avantages issus des ressources génétiques, le DSI. Le génome des ressources génétiques a été numérisé. Ces ressources ne sont pas soumises à des redevances pour leur utilisation, ce que les pays en développement trouvent injuste. Les pays développés pensent qu'il est nécessaire que la recherche puisse poursuivre son travail. Les pays africains ont d'ores et déjà annoncé que sans solution sur ce sujet, il n'y aurait pas d'accord à Montréal.

Un dernier objectif a trait aux moyens mis en oeuvre avec une diminution des subventions et une augmentation des financements.

Comme pour l'Accord de Paris, les plans sur la biodiversité devront être élaborés de la façon la plus homogène possible, afin d'être compilables et comparables. À la différence de ce qui existe actuellement, le processus de reporting devra utiliser des indicateurs similaires. Un processus d'état des lieux à mi-chemin devra être réalisé d'ici à 2030, afin de permettre un renforcement de l'ambition si l'état d'avancement est insuffisant. Ce qui figurait dans l'Accord de Paris deviendra donc la norme minimum.

La France et l'Union européenne souhaitent un cadre ambitieux. Le texte et les négociations ont été préparés pour un dernier tour de négociations durant la première semaine de décembre. Les ministres prendront ensuite le relais pour le segment de haut niveau afin de trancher les aspects les plus complexes.

La France et l'Union européenne insistent pour que figurent dans le texte : l'augmentation de la surface des écosystèmes naturels, leurs connectivités et leur intégrité ; le taux et le risque d'extinction des espèces ainsi que la diversité génétique des espèces.

La France souhaite également que la vision du cadre pour 2030 soit claire et communicable. Il est proposé a minima : d'arrêter et d'inverser le déclin de la biodiversité - certains pays estimant qu'inverser ce mouvement en huit ans est impossible ; la protection de 30 % des terres et des mers ; la restauration de 3 milliards d'hectares de terres dégradées ; une réduction quantifiée des risques et des usages liés aux pesticides et aux engrais ; une augmentation des pratiques agroécologiques ; un point sur les flux financiers - en dehors du montant transféré du Nord vers le Sud, un alignement des flux financiers avec les acteurs privés ou publics dans le monde est nécessaire. L'article 2C de l'Accord de Paris indiquait déjà que les flux financiers devaient être alignés avec une trajectoire compatible avec ledit accord. Cet article a impacté les développements européen et français, privés comme publics ; une obligation pour les entreprises de faire connaitre leur impact et leurs dépendances en matière de biodiversité ; une mobilisation de l'ensemble des sources de financement.

Les pays en développement souhaitent que le DSI, c'est-à-dire l'accès et le partage des avantages issus des ressources numériques, soit pris en compte et qu'un financement plus important soit mis en oeuvre du Nord vers le Sud.

Où en est-on aujourd'hui ? Je dirais que nous sommes encore assez loin de l'atteinte d'un accord ambitieux. Montréal n'est pas une promenade de santé, mais une véritable négociation, qui peut réussir, mais également échouer. Les forces en présence à la COP15 et les exigences de chacun sont très complexes. Un certain nombre de pays, à l'image du Brésil, sont peu ambitieux et peu aidants sur le sujet de la biodiversité. Le Brésil a beaucoup pesé dans les négociations pour diminuer la plupart des objectifs tout en demandant d'importants financements supplémentaires.

Une alliance des pays du Sud, en particulier l'Afrique et quelques pays d'Amérique latine, demande la création d'un fonds mondial en matière de biodiversité, comme il en existe sur le climat. La plupart des pays donateurs sont contre dans la mesure où il existe déjà le fonds mondial pour l'environnement, récemment augmenté, et dont une part importante est consacrée à la biodiversité.

Les pays du Sud plaident pour que les pays développés leur transfèrent 100 milliards par an. Actuellement, l'ensemble de ces transferts est de 6 milliards. Le fossé est important et les pays donateurs sont dans l'incapacité de répondre à cette demande.

De nombreuses solutions sont proposées pour le DSI venant compliquer le protocole de Nagoya, difficilement mis en oeuvre au niveau national.

La guerre en Ukraine a ravivé les tensions géopolitiques, réduisant les marges de manoeuvre des pays donateurs. Le renchérissement des prix agricoles n'incite pas à plus d'ambition en matière d'agroécologie. La mobilisation politique sur la biodiversité n'est pas au niveau de la mobilisation en matière climatique, sauf peut-être en France et en Europe.

Les résultats des élections au Brésil ne changent pas la donne. Le président Lula, même s'il est plus ambitieux en matière environnementale, ne modifiera pas le rôle que le Brésil entend jouer en tant que porte-parole des pays non alignés.

Les États-Unis ne font pas partie de la convention sur la biodiversité, ce qui complique les choses pour l'Europe, qui se retrouve en première ligne, regardée comme un « vilain donneur de leçons ». Des coalitions de pays ambitieux se créent néanmoins, y compris avec des pays d'Amérique latine qui ne sont pas alignés avec le Brésil.

Concernant la mobilisation des ressources financières, la France a anticipé la COP15 en doublant son financement en matière de biodiversité à travers l'Agence française de développement (AFD), et en augmentant de 40 % sa contribution au Fonds pour l'Environnement mondial (FEM).

Actuellement, seuls 17 % des territoires sont protégés dans le monde. L'accompagnement vers les 30 % devrait se faire via la Coalition de la haute ambition qui s'est dotée d'un secrétariat et pourra proposer des appuis en matière de formation, d'assistance technique, mais aussi de financement en mettant en relation les pays ambitieux et les donateurs prêts à les financer.

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