Intervention de Évelyne Perrot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Crédits relatifs aux transports aériens - examen du rapport pour avis

Photo de Évelyne PerrotÉvelyne Perrot, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien :

Pour la troisième année consécutive, j'ai le plaisir de vous présenter le fruit de mes travaux préparatoires en ma qualité de rapporteur pour avis du projet de budget alloué aux transports aériens, qui porte sur les crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ». De manière sous-jacente, plus de 100000 emplois sont englobés dans le secteur aérien, 260000 dans la construction aéronautique et spatiale et, indirectement, le transport aérien constitue une composante essentielle du tourisme et contribue au rayonnement international de notre pays.

Je vous soumets une analyse placée sous le signe de l'efficacité, à travers cinq thèmes principaux (trois D et deux I) : désendettement, décarbonation, désenclavement, innovation et insonorisation.

Tout d'abord, ce budget annexe avoisine, dans la lignée des précédents, 2,5 milliards d'euros en dépenses et en recettes à structure constante. Il représente un effectif d'environ 10000 personnes et il doit rembourser une dette qui atteint 2,7 milliards d'euros.

L'effondrement du trafic aérien en 2020 et 2021 avait provoqué, par ricochet, celui des recettes du budget annexe essentiellement prélevées en contrepartie des services de navigation aérienne. L'endettement avait alors compensé les pertes de recettes.

L'ampleur de la reprise du trafic aérien en 2022, qui se situe à plus de 80 % du niveau de 2019, a excédé les prévisions estimées l'an dernier à 70 %. La forte reprise du trafic et des recettes a permis, dès 2022, de diminuer plus fortement que prévu le recours à l'emprunt. Les crédits pour 2023 soumis à notre approbation prévoient d'entamer une trajectoire de désendettement à partir de l'an prochain.

Bien entendu, cette construction budgétaire repose non pas sur des certitudes, mais sur une prévision officielle d'un retour à 97 % du niveau de 2019 qu'il me paraît plus prudent de ramener à 90-95 % en prenant en compte deux facteurs minorants.

Cette prévision s'appuie d'abord sur l'absence d'événements imprévus ainsi que la fin de la pandémie ;

Il faut également prendre en compte la sensibilité des consommateurs à l'augmentation du prix des billets. Certes, en 2022, l'épargne des ménages et la volonté de voyager ont pu prendre le dessus, mais aujourd'hui le coût du kérosène dans le contexte de crise énergétique, qui représente traditionnellement 25 à 35 % des charges supportées par les compagnies aériennes, a plus que doublé - passant de 500 à 1200 euros la tonne -. Je rappelle également qu'il faudra incorporer des carburants durables, entre quatre et huit fois plus coûteux que le kérosène fossile.

Les voyageurs devront donc s'acquitter d'un vrai surcoût qui s'ajoute à l'inquiétude climatique, particulièrement intense chez les jeunes générations. Cela incitera nécessairement à réduire l'appétence pour les voyages en avion, d'autant qu'il n'est pas question de « bouclier tarifaire » dans l'aérien. Avec le conflit en Ukraine, les temps de vols vers l'Asie organisés par les compagnies européennes se sont d'ailleurs allongés de plusieurs heures pour contourner les interdictions de survol de la Russie. Pour mémoire, une heure de vol a un coût d'environ 10000 euros à répartir entre 200 passagers ou plus.

Soyons donc lucides, en attendant les ruptures technologiques à venir, la trajectoire de démocratisation et de massification du voyage aérien a peut-être atteint son pic en 2019 avec 4,5 milliards de passagers.

Je formulerai deux brèves observations sur les principaux postes de dépenses du budget annexe prévus pour 2023.

La modernisation du contrôle et de la navigation aérienne nécessite des investissements d'environ 300 millions d'euros par an, en particulier pour acquérir des logiciels plus performants et harmonisés avec ceux de nos voisins européens. L'enjeu est également climatique puisqu'il s'agit, par exemple, de permettre le réglage fin des trajectoires de descente continues qui permettent de moins solliciter les moteurs. Je signale également l'avancée que constitue le programme « free route » ou « cheminements directs » qui favorise, au-dessus de 6000 mètres d'altitude, les économies de carburant en privilégiant la ligne droite ou les trajets avec vent favorable.

En fonctionnement, le principal poste de dépenses reste celui des rémunérations - qui représente la moitié du budget annexe.

J'en viens maintenant à la décarbonation et au rôle de notre maillage aéroportuaire territorial.

L'effort de décarbonation est une réalité qui s'impose aussi au secteur aérien. Le débat sur les « jets privés » le reflète à cet égard : le transport aérien privé représente globalement peu d'émissions - de l'ordre de quelques pour cent des rejets de l'aviation - mais, par personne, elles sont excessivement élevées et de moins en moins acceptées par le corps social. Comme l'a récemment souligné le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, devant notre Commission, l'aérien représente 3 % des émissions de la France, mais comme n'importe quel autre acteur du réchauffement climatique, ce secteur doit pleinement participer à l'effort. Tel est bien le cas pour le transport aérien public à l'échelle nationale, européenne et même internationale qui s'est aligné, le 7 octobre dernier à Montréal, sur l'objectif « zéro émission » en 2050.

Dans le débat budgétaire en cours, cela justifie l'augmentation des taxes sur les carburéacteurs prévue par l'article 8 quater du projet de loi de finances pour 2023 que nous allons examiner. Cet alignement fiscal sur les essences routières à échéance 2024 concerne les jets privés d'affaires ainsi que l'aviation de tourisme et de loisirs, y compris les hélicoptères et les ULM. J'observe que le périmètre de cette taxation va au-delà d'une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, soucieuse de freiner des activités aériennes qu'elle a jugées « sans utilité directe pour la société » et qui n'avait pas été reprise dans la loi « Climat et résilience » d'août 2021. J'indique également que l'article 138 de la loi « Climat et résilience » impose aux entreprises de mentionner dans leur déclaration annuelle de performance extrafinancière les conséquences sur le changement climatique de leur activité un ensemble d'informations, dont les émissions liées aux activités de transport en amont et en aval de leur activité ainsi que le plan d'actions visant à réduire les émissions.

Au-delà, le soutien des mesures favorisant le verdissement de ce mode de transport est essentiel. L'électrification des avions pour effectuer des petits déplacements ou servir à la formation des pilotes est une évolution qui va dans le bon sens d'exemplarité. Pour les trajets plus longs, des obligations renforcées d'incorporation de kérosènes durables environ quatre fois plus chers que le carburant fossile - sont nécessaires, ce que prévoit d'ailleurs le projet européen « Fit for 55 », toujours en cours d'adoption et sur lequel notre commission a travaillé en février dernier en collaboration avec la commission des affaires européennes.

Je rappelle également que les Lignes d'aménagement du territoire (LAT) présentent un réel intérêt pour la cohésion de nos territoires ; aucune alternative ferroviaire n'existe le plus souvent. Aujourd'hui, une douzaine de lignes sont financées par une contribution de 26 millions d'euros prévue pour 2023 contre 21 millions l'an dernier.

En ce qui concerne le voyage individuel en transport public, les émissions de l'aérien par personne et par kilomètre sont en moyenne européenne 14 fois supérieures à celles du train, et jusqu'à 40 fois en comparaison de notre TGV. C'est surtout la multiplication des voyages en avion sur des distances importantes qui doit constituer un point de vigilance. Pour que les voyageurs en prennent conscience, de nombreux calculateurs de CO2 sont à leur disposition et les députés proposent de compléter l'offre déjà existante. Cela donne toute son actualité à la recommandation formulée l'an passé de mieux informer les passagers sur les émissions induites par le mode de transport qu'ils choisissent.

Comme l'année dernière, j'évoquerai la dimension internationale du transport aérien, secteur extrêmement concurrentiel.

Le cadre réglementaire « Paquet 55/Fit for 55 » va, à cet égard, constituer un véritable défi pour ce secteur et nécessiter un engagement sur le long terme avec l'extinction progressive des quotas gratuits de CO2 de 2024 à 2027.

Cette année, en lien avec l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, je souhaite souligner les liens entre la décarbonation de l'aviation et notre maillage aéroportuaire. C'est, pour se préparer à l'avion à hydrogène, une problématique un peu analogue à celle des bornes de recharge pour accompagner l'électrification du parc automobile.

Tout d'abord, au cours des auditions, les compagnies aériennes ont insisté, à propos des carburants durables (dits S.AF pour Sustainable Aviation Fuel), sur le choc auxquelles elles sont confrontées avec, d'un côté, des obligations d'incorporation qui augmentent et, de l'autre, une très grande difficulté à s'en procurer. Le ministre de la Transition écologique, Christope Béchu entendu la semaine dernière nous a rappelé que l'État consacrera 200 millions d'euros de crédits pour des appels à projets destinés à ce que les acteurs français s'emparent du sujet. La France a cependant pris un certain retard.

Par comparaison, les États-Unis, grâce à l'ampleur des surfaces cultivées, ne font pas cette distinction et subventionnent massivement non seulement la production, mais aussi la consommation de ces biocarburants d'aviation dits « 1G » pour première ou ancienne génération.

Le sujet des biokérosènes est crucial, car l'avion électrique ne pourra physiquement transporter, en plus de ses lourdes batteries, qu'une vingtaine de passagers au maximum sur des distances courtes inférieures à 400 km. Le rayon d'action de l'avion à hydrogène sera limité au moyen-courrier soit environ 4 000 km avec 200 personnes et des réservoirs quatre fois plus volumineux que sur nos appareils à kérosène. Pour les vols intercontinentaux, il n'y a pas d'alternative en vue aux carburants durables, même à l'horizon 2050.

Je soulignerai également que nos aéroports sont, pour leur part, très actifs dans leurs efforts de décarbonation. À court terme, ils visent le « zéro émission » pour les opérations au sol. Les aéroports se transforment également en centres de production et de distribution d'énergies renouvelables. En particulier, leur grande superficie leur permet de déployer des panneaux solaires qui serviront à produire de l'hydrogène vert sous forme gazeuse pour les engins au sol et de l'hydrogène liquide pour les futurs avions à hydrogène dont nos avionneurs garantissent la mise en service en 2035.

J'en viens maintenant à la question de la lutte contre les nuisances sonores. J'ai en effet entendu des représentants de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa), afin de prendre la mesure des réalités vécues par les riverains et de leur sensibilité. Tout d'abord, contrairement à une idée reçue, la diminution du trafic aérien n'a pas pour autant réduit la perception des nuisances, car certains des riverains des aéroports ont davantage recours au travail à domicile. Les tensions n'ont donc pas diminué, d'autant que le fret aérien est revenu à son niveau de 2019 et que les vols de nuit atteignent leur plafond réglementaire.

Enfin, la généralisation des « descentes continues » permet de moins solliciter les moteurs, elle implique cependant de voler plus longtemps à basse altitude, ce qui élargit le périmètre des riverains concernés par les nuisances sonores. Il faut donc adapter les efforts de soutien à l'isolation acoustique et, dans l'immédiat, résorber les trop nombreux dossiers d'insonorisation en attente. Cela nécessite de compenser les pertes de taxe sur les nuisances sonores aériennes qui financent ces travaux et je vous propose d'adopter un amendement en ce sens, comme l'année dernière.

En conclusion, avant le conflit en Ukraine, le secteur aérien a subi le choc de la pandémie qui a engendré d'importantes difficultés financières pour de nombreux opérateurs du secteur aérien. Le soutien bienvenu des pouvoirs publics a, dans certains cas, alors été conditionné à des impératifs de décarbonation prolongés et confirmés par le législateur européen. La France a joué un rôle majeur dans l'impulsion de ce processus qui mérite d'être salué en s'engageant dans une voie d'équilibre.

Aujourd'hui, dans la période ouverte par le conflit en Ukraine, l'aviation subit des hausses de prix qui changent la donne économique tant pour les compagnies aériennes que pour les consommateurs.

J'ajoute qu'il est important de souligner la volonté réelle des aéroports de devenir respectueux de l'environnement, même s'ils sont inquiets quant au stockage des futurs biocarburants, qui représenteront des volumes importants, notamment pour les aéroports de province. Ces « petits aéroports » doivent être maintenus, car ils constituent des relais importants entre les territoires. La durée de vie d'un avion est cependant de 40 ans et la flotte ne pourra pas être entièrement renouvelée rapidement sans un colossal effort d'investissement.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports aériens, sous réserve de l'adoption de l'amendement relatif au financement de l'insonorisation acoustique.

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