Comme chaque année, je vous présente mon rapport sur deux programmes de la mission « Cohésion des territoires », le 112 et le 162, et sur le compte d'affectation spéciale (CAS) consacré au « Financement des aides à l'électrification rurale » (Facé), ainsi que sur les programmes 119 et 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
Ces programmes concourent, avec 23 autres programmes budgétaires, à la politique d'aménagement et de cohésion du territoire.
Je dirai d'abord un mot sur l'évolution générale des crédits budgétaires affectés à chacun de ces programmes, avant de vous faire part de plusieurs remarques thématiques et d'évoquer les trois propositions d'amendements que je ferai tout à l'heure.
Je commence par vous présenter les crédits.
D'emblée, je tiens à dire, comme je l'ai fait l'an dernier, que la dispersion des crédits concourant pourtant aux mêmes politiques dans des programmes budgétaires distincts ne facilite pas le travail du Parlement et relativise fortement la portée de l'autorisation que nous accordons au Gouvernement.
Ainsi, pour le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire », si l'on retient uniquement le montant des crédits votés en loi de finances initiale pour 2022, on constate une hausse de 35 % en autorisations d'engagement (AE) et de 6,3 % en crédits de paiement (CP).
Toutefois, si l'on prend les crédits votés en 2022 augmentés de ceux inscrits dans la mission du plan de relance et qui ont été transférés en gestion au programme 112, on constate une baisse de 5,4 % en AE et une baisse de 19 % en CP.
Tout est donc affaire de présentation...
Au-delà de ces éléments de technique budgétaire, qui doivent être analysés précisément par nos collègues de la commission des finances, le programme 112 est principalement marqué par deux événements pour 2023.
D'abord, la montée en puissance du volet territorial des contrats de plan État-régions et interrégions (CPER-CPIER), dont les financements augmentent de 80 millions d'euros en AE pour soutenir le lancement de la génération 2021-2027 des CPER. Pour rappel, ce sont au total 28 milliards d'euros de « crédits État » qui ont été contractualisés dans les CPER et CPIER pour la période 2021-2027, dont un peu moins d'un milliard pour le volet territorial, qui est porté par le programme 112.
Ensuite, le budget 2023 consacre un renforcement des pactes de développement territorial, conçus pour soutenir des territoires particulièrement en difficulté, avec une hausse de 36 millions d'euros en AE et de 29 millions d'euros en CP, qui alimenteront les 12 contrats de développement territorial, dont le renouveau du bassin minier ou encore le nouveau plan « Avenir Lourdes », pour lequel on peut parler d'un petit miracle budgétaire.
Si je me réjouis que des crédits initialement fléchés « relance » et à la main du ministère de l'économie, aient été rapatriés, en gestion 2021 et 2022, dans les programmes de droit commun, l'exercice n'a pas été poussé jusqu'au bout.
Ainsi, il demeure encore des crédits de paiement pour 2023 dans la mission plan de relance, notamment une enveloppe de 113 millions d'euros pour le soutien aux actions de développement local, dont la ventilation est illisible, entre les CPER, le plan de transformation de la Corse ou encore les actions de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
En outre, à la complexité créée par la mission « Plan de relance » il y a deux ans, s'ajoute aujourd'hui un nouveau manque de lisibilité, avec la création d'un « fonds vert », qui constitue une bonne nouvelle en soi, mais au sujet duquel nous disposons de trop peu d'informations, sur son fonctionnement et les montants qui seront attribués à chaque action, alors que ce fonds a également vocation à soutenir des politiques de cohésion des territoires.
Je referme cette parenthèse.
L'an dernier, je vous avais indiqué qu'un niveau de 315 millions d'euros environ en AE et CP me paraissait devoir être le niveau « de croisière » du programme 112. Cette année, nous atteignons ce niveau pour les AE, mais il y a un retard de 50 millions pour les CP.
Pour les programmes 119 et 122, je note que les dotations d'investissement - dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) - sont stables à un niveau important d'environ 1,8 milliard d'euros et que les financements pour le traitement des conséquences de la tempête « Alex » sont bien inscrits.
En outre, je retiens deux éléments. D'une part, le montant de ces dotations n'inclut pas les effets de l'inflation, donc le même volume de financements mobilisés ne permettra pas à nos territoires de faire la même chose qu'un ou deux ans plus tôt. Cela me paraît à cet égard problématique. D'autre part, je note que les dépenses d'investissement des collectivités ont connu une très forte progression, de presque 10 %, entre 2017 et 2021, alors que le niveau des dotations est resté stable depuis 2016.
S'agissant du financement des aides à l'électrification rurale, porté par un compte d'affectation spéciale (CAS), les montants sont globalement stables, à 360 millions d'euros, mais 2 millions d'euros supplémentaires ont été alloués à la transition énergétique et aux appels à projets innovants dans les zones non-interconnectées.
Récemment, un rapport de la Cour des comptes a porté un jugement sévère sur le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (Facé) », relevant une gestion défaillante qui ne permet pas d'évaluer l'efficacité des crédits, tout en soulignant que, du fait de l'inflation, les crédits affectés sont insuffisants par rapport aux enjeux. Je partage ce dernier point, même si les 50 millions d'euros supplémentaires inscrits dans le plan de relance en 2021, qui seront engagés d'ici la fin de l'année, sont une première réponse.
Enfin, je termine ce tour d'horizon avec le programme 162, dont les CP sont en baisse de 40 % et les AE en hausse de 7,5 %, si l'on inclut les fonds de concours attribués au programme en cours de gestion.
Ces évolutions résultent principalement d'un redimensionnement du plan de transformation et d'investissement pour la Corse, d'une hausse du soutien à l'investissement en Guyane ainsi que de la création d'une nouvelle action pour lutter contre la prolifération des algues sargasses aux Antilles. Cette dernière action est dotée de 5 millions d'euros pour 2023 et devrait au total mobiliser 40 millions d'euros sur 5 ans, à la fois sur un volet préventif et curatif. En Guadeloupe, 14 communes sont concernées et 9 communes le sont en Martinique.
Au cours des précédents exercices budgétaires, j'ai concentré mon travail sur cinq sujets principaux : l'extinction programmée par le Gouvernement de la prime d'aménagement du territoire (PAT), la création de l'ANCT, le nouveau plan chlordécone dans les Antilles pour 2021-2027 et la reconquête de la qualité des cours d'eau dans la région Pays de la Loire et, bien sûr, les zones de revitalisation rurale (ZRR).
Cette année, je concentrerai mon propos sur quatre remarques.
D'abord, l'État doit veiller à ne pas fragiliser l'ANCT et à ce que ses opérateurs partenaires jouent le jeu de la coordination et de la rationalisation.
Les crédits inscrits dans le budget 2023 sont stables pour l'ANCT, alors même que l'agence assume un nombre croissant de missions, à l'image de la gestion du fonds « France très haut débit », doté de 3 milliards d'euros et qui est transféré sans renfort humain, mais aussi à l'image du plan Avenir montagnes, des programmes de revitalisation, etc.
De même, la hausse du plafond d'emplois est une mesure de pure cohérence, puisqu'il s'agit en réalité d'intégrer à l'agence des postes conçus pour exercer des missions nouvelles ou pour internaliser des missions exercées précédemment par des partenaires extérieures. En outre, elle est confrontée à de vraies difficultés d'attractivité pour le recrutement.
Depuis sa création, l'ANCT a été saisie de 1 080 projets, dont les deux tiers émanent de communes. La moitié des collectivités ayant eu recours à l'agence ont une population inférieure à 3 500 habitants. Au 30 septembre 2022, près de 15 millions d'euros ont été engagés au titre du budget ingénierie de l'année sur 20 millions d'euros, et pour 2023, il est prévu de reconduire cette somme de 20 millions d'euros. Or, d'après les informations qui m'ont été communiquées au cours des auditions, l'agence se trouve dans une situation financière critique, avec une incapacité structurelle à financer les missions qui lui sont confiées au fil de l'eau par l'État et pour intervenir à la demande de ses partenaires.
Si la faiblesse des dépenses réalisées en 2020 du fait de la pandémie a permis à l'agence d'étaler son action et le décaissement des crédits, l'ANCT risque en 2023 de ne pouvoir assumer que des paiements liés à des engagements antérieurs ou, pire, de piocher sur la ligne dédiée à l'ingénierie « sur mesure » pour financer du fonctionnement !
Toutefois, je ne vous proposerai pas d'amendement sur ce sujet, car je considère qu'il y a des marges de manoeuvre à moyens constants. À cet égard, je rappelle que l'ANCT est liée à des opérateurs partenaires que sont le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) par le biais de conventions dont l'existence a été inscrite dans la loi. Après une première phase de trois ans, ces conventions doivent être révisées. Aussi, je considère que cette révision doit être l'occasion de remettre sur la table le sujet de la coopération entre ces opérateurs et de la mise en cohérence de leurs actions avec l'ANCT, y compris dans une perspective plus large de réforme de la gouvernance de ces opérateurs et de rationalisation de leur périmètre d'intervention.
Il pourrait être intéressant que ces nouvelles conventions, qui seront finalisées fin 2023 ou début 2024 soient présentées officiellement aux commissions compétentes du Parlement, et que nous creusions ce sujet au Sénat.
L'ANCT ne peut pas durablement devenir une caisse alimentée au coup par coup par des financements dispersés et ne s'intégrant pas dans une stratégie construite avec les opérateurs que j'ai cités.
Deuxième sujet : le réseau des maisons France Services est en phase de stabilisation, mais il faudra amplifier ce mouvement, comme je le disais déjà l'an dernier.
Nous atteindrons prochainement le nombre de 2 600 structures labélisées, dont les deux tiers sont portés par les collectivités et permettent désormais à 100 % de la population d'être à moins de 30 minutes d'une maison France Services, ce qui reste toutefois important et nécessite un développement supplémentaire du réseau. On compte également 127 bus « France Services » déployés à ce jour.
En outre, le Président de la République a annoncé, le 10 octobre dernier, l'ouverture ou plutôt la réouverture de six sous-préfectures, et une soixantaine d'opérations de relocalisations de services publics ont été décidées ces dernières années, concernant 7 500 agents et 50 départements.
Par ailleurs, un premier plan de renforcement de l'administration territoriale de l'État se dessine, avec une annonce de 350 emplois supplémentaires d'ici 2027.
La prise de conscience sur l'importance du sujet de l'accès aux services publics en ruralité progresse.
Toutefois, cette annonce ne pourra pas compenser la réduction de 14 %, soit 11 000 postes supprimés, qui a été décidée et menée entre 2012 et 2020 pour l'administration territoriale de l'État.
À cet égard, je partage la plupart des 25 propositions récemment formulées par l'Association des maires ruraux de France (AMRF) sur le réseau France Services, qui poussent à une augmentation du nombre de sites labélisés, et, surtout, au renforcement des liens avec les services des communes.
Je partage également les orientations définies par mon collègue Bernard Delcros, dans son rapport de juillet 2022 sur le financement du réseau France Services. Avec un coût de fonctionnement annuel moyen de 110 000 euros, le reste à charge moyen pour un porteur de projet, une fois décompté le forfait de 30 000 euros mis par l'État et les opérateurs, est de 80 000 euros et même davantage pour une structure portée par le service postal, soit 75 % du coût, ce qui reste important.
Notre collègue Bernard Delcros proposait ainsi de porter le financement forfaitaire à 50 000 euros, soit une hausse de 20 000 euros par maison pour un coût total de 25 millions d'euros pour l'État et 25 millions d'euros pour les opérateurs sur la base de 2 500 structures France Services. Un amendement procédant à la moitié de l'augmentation proposée a été adopté dans le deuxième PLFR pour 2022 il y a quelques jours, à l'initiative de Bernard Delcros ; je soutiendrai les initiatives de même nature.
Dans le contexte de la création de « France Travail », il me semble également nécessaire de renforcer les liens entre France Travail et France Services, pour mieux traiter les problématiques d'emploi, au plus près des territoires. C'est une nécessité pour enfin territorialiser notre politique de soutien à l'emploi et permettre la rencontre entre les besoins des employeurs et les recherches des demandeurs d'emplois.
Troisième sujet : comme l'an dernier, je regrette le faible dynamisme de l'action de l'État sur la reconquête de la qualité des cours d'eau dans les Pays de la Loire.
Cette action ne bénéficie que de 700 000 euros depuis trois ans alors qu'il faudrait massivement accompagner les agriculteurs dans leur transition et que seulement 11 % des masses d'eau régionales apparaissent en bon état. La région a besoin d'être soutenue de façon plus volontariste par l'État sur ce sujet difficile. Je vous proposerai un amendement sur ce sujet.
Enfin, un mot des 25 dépenses fiscales portées par le programme 112, ce qui me permettra d'aborder la question des zonages.
Ces dépenses fiscales représentent 700 millions d'euros et une grande partie est imputable à des exonérations en faveur de la Corse. Sur ce total, les zones de revitalisation rurale (ZRR) représentent environ 300 millions d'euros et bénéficient à un peu plus de 33 000 entreprises. Comme vous l'avez entendu lors des auditions du ministre Christophe Béchu et de la secrétaire d'État à la ruralité Dominique Faure, nous aurons l'occasion de travailler sur ce sujet prochainement.
Parmi ces dépenses fiscales, deux zonages créés par la loi de finances pour 2020, sur proposition du Gouvernement retiennent mon attention : les zones de revitalisation des commerces en milieu rural (Zorcomir) et les zones de revitalisation des centres-villes (ZRV). Faute d'une compensation suffisante de la part de l'État - les exonérations portent sur les impôts fonciers compensées seulement à 30 % -, ces deux dispositifs pourtant intéressants n'ont eu que trois bénéficiaires... alors même que nous connaissons tous des chefs d'entreprises ou des artisans qui ont besoin de ce type de soutien.
Ces éléments montrent qu'il est grand temps de remettre à plat nos zonages de soutien à l'attractivité et au développement rural.
À ce sujet, je regrette encore une fois la disparition de la prime d'aménagement du territoire (PAT), qui constituait un dispositif complémentaire puissant, en s'adressant à des activités industrielles. Il faudra réfléchir à se doter d'un instrument spécifique au soutien à la relocalisation industrielle lors de la révision des zonages.
Je terminerai en évoquant les amendements que je propose à la commission d'adopter.
D'abord, dans le prolongement des travaux de notre commission menés en 2019, par Hervé Maurey, Patrick Chaize et Michel Dagbert, et en 2022, par Bruno Belin, sur le sujet des ponts et des ouvrages d'art, nous vous proposerons, avec mon collègue Hervé Gillé, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports routiers, trois amendements pour mettre des moyens à la hauteur des enjeux sur ce sujet essentiel. Ces amendements reprennent les conclusions du rapport de suivi de Bruno Belin de juin dernier, qui a identifié l'important retard accumulé à la fois sur le diagnostic des ouvrages en mauvais état et sur leur réparation.
Ensuite, je vous proposerai un amendement modeste, d'un montant de 1 million d'euros, pour faire en sorte que l'État s'investisse davantage dans la reconquête de la qualité des cours d'eau dans la région Pays de la Loire, compte tenu du fait que cette action est très peu dotée depuis sa création et ne présente pas encore de résultats satisfaisants, alors qu'il s'agit d'un sujet central pour la qualité de vie de nos concitoyens, pour la transition écologique et pour l'adaptation au changement climatique.
En conséquence, j'émets un avis d'abstention à l'adoption des crédits des programmes 112 et 162 de la mission « cohésion des territoires », 119 et122 de la mission « relations avec les collectivités territoriales » et du compte d'affectation spéciale « Facé » compte tenu des difficultés de fonctionnement de l'ANCT et du contexte d'inflation.
Toutefois, si le Gouvernement acceptait les amendements sur les ponts que nous proposerons collectivement, et je salue notre collègue Bruno Belin ici présent, je serais favorable à l'adoption des crédits de la mission « cohésion des territoires ».