Intervention de Éric Dupond-Moretti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 novembre 2022 : 1ère réunion
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Merci monsieur le président. Le projet de budget que j'ai l'honneur de vous soumettre témoigne, pour la troisième année consécutive, de l'importance qu'attache le Gouvernement au budget du ministère de la Justice. Ce sont 710 millions d'euros supplémentaires qui viendront abonder en 2023 le service public de la justice. Son budget s'élèverait ainsi à 9,6 milliards d'euros pour 2023, hors charges de pension, soit une hausse de 8 %.

Ces moyens importants permettront de nourrir les trois piliers de mon action : l'augmentation de 9 % du budget de la justice judiciaire - je sais que c'est un enjeu sensible pour vous, madame Canayer - afin d'atteindre 3,39 milliards d'euros pour 2023 ; l'augmentation des moyens de l'administration pénitentiaire, monsieur Marc, de plus de 7 %, soit un budget de 3,91 milliards d'euros pour 2023 ; l'augmentation de plus de 10 % des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, qui atteindraient 917 millions d'euros pour 2023, madame Carrère.

Ce projet de budget, si l'on regarde en arrière, représente une hausse de plus de 26 % du budget de la justice depuis mon arrivée en 2020 et d'un peu plus de 40 % depuis l'élection du président de la République.

Je sais que votre commission est particulièrement sensible à la question des moyens. Au-delà des clivages partisans, elle a souvent plaidé pour une considération accrue des politiques gouvernementales en faveur de la justice. Elle avait même plaidé pour une trajectoire de hausse du budget supérieure à celle prévue à l'époque par le gouvernement, en vue de la loi de programmation pour la justice de 2019. Il se trouve que nous avons in fine dépassé les propositions pourtant ambitieuses du Sénat dans l'exécution de cette loi de programmation, avec les deux dernières hausses de 8 % intervenues en 2021 et 2022.

Nous nous retrouvons donc autour de cet enjeu démocratique majeur que constitue la bonne santé de notre justice.

Alors que vous avez été l'une des chevilles ouvrières des États généraux de la justice, monsieur le président et que le Sénat avait organisé l'Agora de la Justice en septembre 2021, je suis venu vous proposer qu'ensemble, nous poursuivions avec responsabilité et ambition cet indispensable effort de renforcement de notre justice, fondement de notre pacte social. C'est donc un nouvel effort budgétaire inédit que je suis venu ce soir vous présenter.

Je persiste et signe, sans aucune acrimonie : ce budget va nous permettre de poursuivre le rattrapage de plus de trente ans d'abandon politique, budgétaire et humain. Nous pourrons mettre en oeuvre les recommandations de grande qualité issues des États généraux de la justice, au premier rang desquelles la proposition d'un plan massif de recrutement (1 500 magistrats, 1 500 greffiers, des contractuels et au total 10 000 personnes qui seront embauchées).

Entrons dans le détail de ces crédits. Ma priorité numéro un est celle du renforcement humain, massif, dont notre justice a besoin. Les crédits de la mission Justice du projet de loi de finances permettront l'amorce d'un plan inédit de recrutement de plus de 10 000 emplois supplémentaires pérennes. Ce plan sera mis en place d'ici 2027.

Certains m'ont reproché l'usage de mots forts mais ceux-ci sont requis pour décrire des actes qui sont forts à plusieurs titres. Si le quinquennat précédent avait permis la création de 7 270 emplois, nous allons faire mieux et plus dans le cadre de ce nouveau quinquennat. Nous augmenterons aussi de 11 % les emplois du ministère d'ici 2027. C'est proportionnellement quatre fois plus que les recrutements réalisés au sein de la police et la gendarmerie nationales : c'est bien un rattrapage que nous avons décidé d'amorcer, conformément aux orientations prises depuis deux ans et aux recommandations du rapport des États généraux.

Nous allons d'ores et déjà créer 1 500 postes de magistrats, 1 500 postes de greffiers supplémentaires sur le quinquennat, afin de renforcer de façon significative les effectifs en juridiction. C'est un effort très important : ces créations représentent le double de ce qui a été fait lors du précédent quinquennat. Les autres emplois seront répartis finement, année après année, en fonction des besoins opérationnels résultant des campagnes de recrutement qui seront mises en oeuvre et de l'avancement des projets immobiliers portés par le ministère de la justice. Je pense en particulier à la construction d'établissements pénitentiaires.

Dès 2023, ce sont 2 253 personnels qui arriveront dans les établissements pénitentiaires, dans les juridictions et au sein des structures de protection judiciaire de la jeunesse, soit trois fois plus que les recrutements réalisés en 2022. Ces 2 253 personnels supplémentaires sont répartis de la façon suivante : 1 220 pour la justice judiciaire, avec notamment 200 magistrats et 191 greffiers ; 809 personnels supplémentaires pour l'administration pénitentiaire ; 92 personnels supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse.

Le reste, soit 132 personnels, bénéficiera à la coordination et à la politique publique de la justice. 60 créations d'emplois sont prévues pour les opérateurs, 26 pour l'École nationale de la magistrature, 19 pour l'agence publique pour l'immobilier de la justice, 15 pour l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

Ma deuxième priorité découle de la première : pour recruter et reconstruire un service public de la justice de qualité, il nous faut attirer et fidéliser les compétences par des revalorisations catégorielles des agents du ministère, qui sont autant de rouages indispensables à son bon fonctionnement. Pour assurer ce niveau inédit de recrutement, je souhaite renforcer encore l'attractivité des métiers de justice par des revalorisations salariales. Nos métiers sont exigeants. Je pense bien sûr à l'engagement des magistrats mais aussi à l'expertise des greffiers, à la délicate et difficile mission des surveillants pénitentiaires, à la compétence de nos cadres, à l'engagement des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ou au dévouement des personnels administratifs et techniques, qui travaillent souvent dans l'ombre, mais sans qui la justice ne fonctionnerait pas.

Le projet de budget 2023 permettra de revaloriser tous les agents de ce ministère de façon inédite, à hauteur de 80 millions d'euros. Nous entrerons tout à l'heure dans le détail.

Il convient, à ce stade, d'évoquer la situation des magistrats. Madame la rapporteure Canayer, j'ai décidé de revaloriser les primes des magistrats à hauteur de 1 000 euros bruts par mois en moyenne, soit une hausse de plus de 16 % de leur rémunération globale. Cette mesure est nécessaire pour maintenir l'attractivité de ce métier et la comparaison avec la rémunération des magistrats de l'ordre administratif. Elle est aussi légitime pour témoigner de notre reconnaissance, de la mienne en particulier, aux magistrats de l'ordre judiciaire, qui travaillent au quotidien au service de notre justice. Je veux prendre ici un exemple concret de l'abandon politique, humain, financier de la justice que j'évoquais. Le régime indemnitaire n'avait pas été augmenté, à part quelques revalorisations spécifiques à certaines fonctions, depuis 1996. Jacques Toubon était alors Garde des Sceaux et non Défenseur des Droits.

S'agissant des fonctionnaires, 2023 sera encore une année historique, avec une enveloppe catégorielle de 50 millions d'euros, soit une hausse de plus de 20 % en un an, et de 66 % en deux ans. C'était 40 millions d'euros en 2022, 30 millions d'euros en 2021. J'amplifierai ainsi l'effort consacré depuis trois ans aux deux objectifs de la politique que je porte : l'attractivité de tous les métiers de la justice, qui sont tous des rouages indispensables, et la fidélisation des femmes et des hommes qui travaillent au service de la justice de notre pays. Je voudrais évoquer ici la poursuite de l'effort inédit consacré à la revalorisation indemnitaire des greffiers et directeurs des services de greffe. Après l'augmentation de 21 millions d'euros obtenue pour 2022, plus de 10 millions d'euros seront consacrés à cette fin en 2023. Pour les greffiers, cela représente une augmentation de 12 %, au total, sur trois ans, avec les hausses prévues en 2023. S'y ajoute la revalorisation, à hauteur de 7 millions, du régime indemnitaire des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, madame Carrère.

Les surveillants pénitentiaires, monsieur Marc, ont bénéficié en 2022 d'une réforme importante de leur statut et de leur rémunération. La fusion des grades de surveillant et de brigadier a permis de simplifier la carrière des agents et de revaloriser de façon importante le salaire indiciaire, notamment en début et en fin de carrière. Mais cette réforme était une première étape. Des travaux seront engagés dès le début de l'année 2023 avec les organisations syndicales pour travailler à une revalorisation d'envergure de leur statut et de leur rémunération. Elle sera mise en oeuvre au cours des années suivantes. Nous devons en effet, pour ouvrir les établissements pénitentiaires du plan « 15 000 », nous donner tous les moyens pour recruter davantage et dans de meilleures conditions afin de fidéliser, là encore, des agents qui exercent des missions nécessaires mais tellement difficiles. Nous le savons évidemment tous.

La poursuite des actions menées pour revaloriser le régime indemnitaire des agents de catégorie C est tout aussi nécessaire. Je n'oublie pas les cadres de ce ministère : près de 10 millions d'euros seront consacrés cette année à une revalorisation de leur régime indemnitaire et indiciaire. Nous travaillons à la construction de parcours professionnels plus attractifs, plus variés et plus riches. C'est une évolution légitime que nous leur devons au regard de leur investissement quotidien aux côtés de chacun et chacune.

Mon troisième axe budgétaire est simple : il nous faut assurer l'effectivité de notre réponse pénale et améliorer les conditions de travail des agents et de détention des détenus, question à laquelle nous sommes, ici, tous sensibles. Pour ce faire, je souhaite doter notre pays d'au moins 15 000 places de prison nettes supplémentaires à l'horizon 2027. Ce plan lancé par le président de la République a été marqué, à ses débuts, par des difficultés inhérentes aux recherches foncières, parfois pour des raisons de faisabilité technique (par exemple environnementales, du fait de la découverte d'espèces animales protégées). Je gage que de nombreux élus locaux voient de quoi je parle. Je me dois également de redire que ce fut parfois aussi pour des raisons d'acceptabilité par les élus et les riverains. Ce plan a aussi été entravé par des démarches contentieuses lourdes, dont certaines ne sont d'ailleurs pas terminées (Muret, Tremblay-en-France, Orléans). Maintenant que les terrains nécessaires au lancement de l'ensemble des projets sont tous identifiés, les opérations entrent dans leur phase active et le rythme des livraisons va s'accélérer progressivement, afin de s'échelonner jusqu'en 2027. En 2023, plus de 441 millions d'euros sont budgétés pour la réalisation du plan « 15 000 ». Je tiens à vous rassurer : si certaines sous-consommations de crédits ont pu être constatées ces dernières années, s'agissant de crédits immobiliers, elles ne devraient plus avoir lieu à l'avenir, car tous les terrains sont identifiés. Je vous rendrai compte naturellement de l'évolution de ces sous-consommations et, j'en suis convaincu, de leur disparition.

En 2023, ces 441 millions d'euros permettront de finaliser la livraison de dix établissements pénitentiaires, soit un cinquième du plan « 15 000 ». Il s'agit d'abord de sept structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), qui verront le jour à Avignon, Valence, Meaux, Osny, Le Mans et Caen. Il s'agit enfin des trois centres pénitentiaires qui ouvriront à Caen, Fleury-Mérogis et Troyes-Lavau, que j'ai pu visiter en juillet dernier. Dès 2024, la moitié des établissements du plan « 15 000 » seront opérationnels, sur la cinquantaine de chantiers actuellement en cours. De plus, ce sont déjà 18 opérations qui sont en chantier avancé dans toute la France, par exemple la nouvelle construction des Baumettes à Marseille, avec 740 places, ou la réhabilitation de l'ex-centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, qui permettra la création de 408 nouvelles places.

Je souhaite engager les opérations de réhabilitation des établissements pénitentiaires les plus vétustes. Il s'agit en particulier de l'opération majeure et prioritaire de réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes. Contrairement à ce que certains ont pu dire, c'est tout sauf le « Club Med ». Je crois d'ailleurs que les parcs de loisirs et l'hôtellerie ont permis de colorer les fantasmes de certains. Celui qui tient de tels propos est au mieux totalement ignorant de l'univers carcéral, au pire motivé par des intentions bassement démagogiques. Je dis ces mots devant une commission qui, depuis des années, a porté à la question carcérale une attention toute particulière. Je veux ici l'en remercier. Je suis d'ailleurs très fier d'avoir porté la loi Buffet du 8 avril 2021, qui a créé le recours pour conditions indignes de détention. C'est dans ce même esprit que nous renforcerons nos budgets de rénovation du parc carcéral déjà existant.

Quatrièmement, il faut aussi prévoir et préparer l'accueil des recrutements que j'ai évoqués, par des investissements massifs dans l'immobilier de nos juridictions. C'est un enjeu essentiel, pour une justice de qualité, afin de mieux accueillir les justiciables (car c'est d'abord pour eux que la justice travaille) et pour améliorer les conditions de travail des agents actuels et des renforts humains qui viendront au cours des cinq années à venir. En la matière, le projet de budget permettra en 2023 de poursuivre les opérations d'ampleur qui ont été engagées lors du quinquennat précédent. Il s'agit notamment de poursuivre les chantiers des palais de justice de Lille, de l'Île de la Cité à Paris, de Bayonne et d'autres projets. Il s'agit aussi de poursuivre les études des projets de Cayenne, de Bussey, de Meaux, de Moulins, de Nancy, Nantes, Perpignan et d'autres encore. Il s'agit enfin de permettre de lancer de nouvelles opérations immobilières, comme à Argentan, Chartres, Colmar, Saint-Brieuc ou Verdun.

Ma présentation serait incomplète si je n'évoquais des mesures importantes que je compte porter dans le cadre de ce budget. Une enveloppe de 660 millions d'euros sera prévue pour renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice, soit une hausse de 12 millions d'euros supplémentaires, ce qui porte à 170 millions d'euros l'effort consenti pour ces moyens depuis mon arrivée. Il contribuera notamment à faciliter le « déstockage » des affaires d'ores et déjà en cours.

Les crédits d'investissement informatique constituent un enjeu essentiel pour notre ministère. Ce n'est pas votre collègue Dominique Vérien qui me démentira. Ces crédits seront portés à 195 millions d'euros dans le cadre de la poursuite de la mise en oeuvre du plan de transformation numérique ministériel. Ils concernent principalement la mise en oeuvre des grands projets informatiques comme Astrea, ATIGIP 360, Portalis ou encore PPN (la procédure pénale numérique). Parallèlement, la mise à niveau technique des infrastructures telles que les centres de production et le réseau sera renforcée. Des informaticiens et techniciens seront déployés massivement dans toutes les juridictions.

Les crédits de l'accès aux droit et à la médiation vont s'élever à 713 millions d'euros en 2023, ce qui représente une hausse de 33 millions d'euros par rapport à 2022 (+ 5 %), avec 641 millions d'euros pour les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle, ce qui équivaut à une hausse de 25 millions d'euros en une année. Nous lancerons d'ailleurs prochainement un grand plan de l'amiable, dans la suite des États généraux, afin de faire basculer la culture judiciaire française en faveur d'une véritable culture du règlement amiable. J'aurai l'occasion de vous en reparler lors de la présentation du plan d'action issu des États généraux de la Justice que nous sommes en train de finaliser.

Quarante-trois millions d'euros iront à l'aide aux victimes, soit une hausse de 7 %, ce qui traduit l'importance que nous portons tous et que je porte à cette politique. Celle-ci constitue bien sûr une priorité gouvernementale. 16,1 millions d'euros, dans cette enveloppe, seront consacrés aux violences intrafamiliales, ce qui représente plus qu'un doublement du budget annuel consacré à ces violences, qui était de 8 millions d'euros à mon arrivée en 2020.

Le projet de budget 2023 approche désormais 10 milliards d'euros pour la justice. Il nous permettra de poursuivre le renforcement indispensable de notre justice, avec une ambition inédite, tout en ayant la certitude, pour les services de mon ministère, d'exécuter au mieux ce projet de budget. Ambition et responsabilité, tels sont les deux mots qui résument ce projet de budget. Nous le devons aux magistrats, aux greffiers, aux agents pénitentiaires, aux avocats, aux adjoints administratifs, aux juristes assistants et à tous les acteurs du monde judiciaire, qui rendent chaque jour possible le contrat social. Je parle ici de préserver la paix sociale, par la confiscation du droit à la vengeance à travers la loi pénale et le règlement de tous les litiges du quotidien qui minent la société.

Cette ambition et cette responsabilité, nous la devons avant tout aux justiciables, c'est-à-dire nos concitoyens, qui paient aujourd'hui les abandons et les renoncements du passé. J'espère pouvoir compter, comme les deux années précédentes, sur votre appui. Avant cela, je répondrai naturellement et avec plaisir à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

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