Madame Canayer, j'ai demandé quasiment dès mon arrivée le travail sur l'évaluation de la charge de travail. Il faut beaucoup de temps pour le mettre en oeuvre. La direction des services judiciaires (DSJ) estime que ce travail sera terminé d'ici la fin de l'année. Cet outil est indispensable. Nous aurons en 2023 une idée précise des besoins de recrutement de magistrats.
Les chiffres que nous avons annoncés sont-ils les bons ? Ce sont en tout cas les chiffres qui ont été retenus par les États généraux, après un travail réalisé auprès de tous les acteurs du monde judiciaire, à l'exclusion du Garde des Sceaux, d'une certaine façon : je n'ai pas souhaité participer aux différents ateliers. Je ne faisais pas non plus partie du Comité des États généraux, afin qu'on ne puisse pas dire que j'avais orienté les travaux. Je les ai pris tels qu'ils ont été restitués par le président Jean-Marc Sauvé. Nous avons ensuite mené des concertations avec tous ceux qui ont bien voulu y participer, c'est-à-dire avec tous les acteurs du monde judiciaire, à l'exception d'un syndicat. Nous avons retenu un certain nombre de propositions consensuelles. Nous avons ainsi initié une nouvelle gouvernance : nous ne sommes pas partis du ministère pour tenter d'imposer un certain nombre de choses. Nous sommes partis du Comité des États généraux, des ateliers de travail et des concertations. Nous avons retenu les propositions qui étaient consensuelles. Cela me semblait nécessaire. L'Assemblée nationale étant composée comme chacun le sait, je préférais présenter un projet de loi consensuel, du moins à l'échelle de l'ensemble des acteurs du monde judiciaire. Le chiffre retenu ressort des États généraux. Il faudra, sans aucun doute, l'affiner. Je me méfie de ceux qui affirment qu'il faut retenir 1 400, 2 000 ou tel autre chiffre. Nous avons d'ailleurs entendu certains chiffres invraisemblables. Si nous avions mis en oeuvre certaines des propositions entendues, nous n'aurions pas su où faire travailler nos magistrats ou nos greffiers.
Sur le plan des méthodes de travail, un élément est ressorti des États généraux, traduisant un changement de paradigme : la nécessité de mettre en place une équipe autour du magistrat. Nous nous souvenons tous de la tribune signée à l'initiative de jeunes magistrats, puis d'autres magistrats. Des greffiers ont ensuite embrayé pour la signer également. Ils expriment une perte de sens et une forme de solitude. Nous avons mis en place un tutorat, ce qui était sans doute nécessaire mais non suffisant. Cette idée d'équipe a prospéré et tout le monde y est favorable aujourd'hui. Elle serait composée notamment d'universitaires (en particulier en matière civile), de greffiers et de contractuels. Placer un juriste assistant auprès d'un magistrat permet de rendre un jugement deux fois plus vite. Nous allons recruter 300 juristes assistants dès 2023. Ces contractuels sont-ils efficaces en termes de « déstockage » ? Lorsque nous les avons mis en place, on m'a regardé, au mieux, avec beaucoup de circonspection. Au pire, c'était une pluie battante de critiques, notamment dans l'expression syndicale, au motif que nous allions faire appel à des contractuels au lieu de magistrats. J'essayais de répondre, lorsqu'on me laissait le faire, en observant qu'il fallait 31 mois pour former des magistrats. Or il y avait une forme d'urgence. Ces 2 000 contractuels ont d'abord été envoyés au pénal, auprès des procureurs. Puis les civilistes se sont fait entendre. Ce fut pour moi le premier signe confirmant que nous ne nous étions pas trop trompés. J'ai été conforté dans cette conviction lorsqu'on m'a demandé de les pérenniser : les juridictions les réclamaient, démontrant qu'ils étaient indispensables.
Au civil, aujourd'hui, nous observons, entre le 1er janvier 2021 et mi-2022, une baisse des stocks de 15 % à 28 % selon les matières et selon les juridictions. Cette diminution se traduit en particulier par la montée en puissance progressive des moyens alloués dans le cadre du renforcement de la justice de proximité. Le stock des affaires est passé de 1 107 384 dossiers en 2021 à 965 331 dossiers, soit une baisse de 13 %. La baisse s'accentue encore. Je n'ai pas les chiffres définitifs mais nous avons toutes les raisons de penser, sans être d'un optimisme déraisonnable, que la baisse des stocks se poursuit. C'est vrai, dans une moindre mesure, au pénal, ce qui est cohérent : c'est en effet au civil que la hausse des moyens a été la plus importante, ce qui montre que les résultats sont au rendez-vous lorsqu'on augmente les moyens de la justice.
Un premier plan de transformation numérique a été mis en oeuvre. Le Parlement y a alloué 530 millions d'euros, ce qui a permis la mise à niveau et l'adaptation du « socle technique » (58 000 ordinateurs portables, 3 330 visioconférences, la fibre dans toutes les juridictions, le lancement de plusieurs applicatifs dont la procédure pénale numérique). Nous souhaitons, avec ce deuxième plan de transformation numérique (195 millions d'euros en 2023), renforcer le socle, en travaillant notamment sur les débits du réseau. Il s'agit également de poursuivre le travail sur les applicatifs existants (PPN, Portalis). Les 56 millions d'euros restants permettraient de renforcer la sécurité des systèmes d'information - sujet crucial. Ils permettraient également de développer de nouveaux projets suite aux États généraux de la Justice, par exemple une plateforme de gestion des violences intrafamiliales. Au sein du ministère, nous sommes en train de faire bouger un certain nombre de lignes, qui ne l'avaient pas été depuis longtemps. La Cour des Comptes était très critique à notre égard sur ce sujet, mais elle a elle-même révisé son jugement, constatant que des efforts avaient été faits. Nous les poursuivons.
Nous avons un secrétariat général qui est presque exclusivement affecté au numérique. Le nouveau secrétariat général est mobilisé sur ces questions, car nous n'avons pas toujours été les meilleurs élèves de ce point de vue, au ministère de la justice. Cela n'a pas échappé à la sagacité des parlementaires que vous êtes. Nous avons besoin de ces outils, devenus indispensables à la simplification. Je ne doute pas que j'aurai l'occasion de revenir sur la progression de ces efforts.
Monsieur Marc, le budget de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) est en hausse : il passera de 4,6 milliards d'euros en 2022 à 4,9 milliards d'euros en 2023, soit une hausse d'environ 7,5 %.
S'agissant de l'exécution du budget du ministère, moins de 1 % des crédits votés en loi de finances initiale n'ont pas été consommés. Au cours des quinze dernières années, environ 100 millions d'euros n'ont pas été consommés chaque année en moyenne, sur un budget qui s'élèvera à 9,6 milliards d'euros en 2023. C'est une proportion assez faible.
Je reconnais qu'entre 2017 et 2021, environ 13 % des crédits immobiliers alloués à la DAP (soit 226 millions d'euros sur 1,8 milliard d'euros de crédits votés en faveur de la construction du Plan 15 000) n'ont pas été consommés. Je plaide cependant de larges circonstances atténuantes : le début de la mise en oeuvre du programme a été marqué, en particulier, par des recherches foncières. Ce sont parfois ceux qui ont le discours sécuritaire le plus affirmé qui, au moment d'exercer leurs obligations républicaines, c'est-à-dire lorsqu'ils pourraient nous aider à résorber le manque de places et à améliorer les conditions de détention, se montrent les moins allants. Vous le savez. Je puis néanmoins vous assurer que ces difficultés ont été surmontées, puisque l'ensemble des terrains ont été identifiés. Les sous-consommations vont donc fortement diminuer concernant l'immobilier de la DAP.
L'impact de la hausse du coût des matières premières sur le plan « 15 000 » n'est certes pas anodin : l'ensemble des chantiers sont surévalués compte tenu de l'évolution de l'inflation. Pour chaque projet, il existe une enveloppe visant à couvrir les aléas notamment relatifs à l'évolution des prix.
Je vous confirme que, malgré nos efforts, le recrutement des surveillants pénitentiaires demeure très compliqué, ce qui tient à plusieurs facteurs. Il en découle un surencombrement carcéral et une promiscuité qui compliquent les rapports humains et dégradent significativement les conditions de travail des agents pénitentiaires, que je veux ici saluer une nouvelle fois. Ils représentent la troisième force de sécurité de notre pays et font un métier difficile. Les métiers des corps de la filière de surveillance pénitentiaire sont exigeants, peu en phase avec les nouvelles attentes du monde du travail. Il n'y a pas que dans ce secteur que se pose la question de l'attractivité. Les départs à la retraite des agents recrutés à la fin des années 1980 et au début des années 1990 n'améliorent pas la situation.
On a fait beaucoup depuis 2017. Un plan de requalification a permis à 1 400 agents de catégorie C de passer en catégorie B à partir de 2019. Le corps des surveillants est passé de quatre à trois grades en 2022, tout en maintenant la catégorie C. Des revalorisations indemnitaires importantes sont également intervenues, ainsi que des concours nationaux à affectation locale, assortis d'une prime de fidélisation de 8 000 euros. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a mis en place un plan de lutte contre les violences et a renforcé son dispositif d'accompagnement des personnels victimes d'agression. Une campagne de communication nationale a aussi été déployée.
Il faut évidemment trouver d'autres réponses, statutaires et indemnitaires. Sur le plan de l'amélioration des conditions de travail, 76,8 millions d'euros seront dédiés en 2023 au renforcement de la sécurité des personnels et des établissements pénitentiaires. L'accompagnement des jeunes professionnels dans leur installation fera aussi partie de nos priorités et un accompagnement amélioré des nouveaux entrants en établissement sera mis en place l'an prochain.
En matière d'attractivité se pose bien sûr la question du logement. J'ai initié deux programmes de construction sur des terrains appartenant au ministère de la justice, l'un à Fleury-Mérogis et l'autre à Savigny-sur-Orge, afin de compléter l'offre mise à la disposition des jeunes affectés en Île-de-France, région particulièrement tendue en matière de logement. Nous travaillons aussi à l'amélioration de l'accès à la propriété pour les agents de catégorie C. En outre, sur le plan des réservations, 415 logements seront mis à disposition en Île-de-France en 2022. S'y ajoutent 145 chambres en colocation. Enfin, nous avons augmenté le budget d'action sociale dans les mêmes proportions que celui du ministère de la justice, ce qui représente 31,3 millions d'euros en 2023. Ceci permet de poursuivre les priorités ministérielles, notamment de réduire les écarts de tarifs de restauration qui existent sur le territoire et de prendre en charge l'augmentation de la subvention interministérielle. En matière de logement, cela nous permet d'ajuster le dispositif du prêt bonifié immobilier afin que les agents de catégorie C, notamment, aient accès à la propriété. L'aide à la parentalité est soutenue en réservant davantage de places en crèche. Nous poursuivons aussi et renforçons, autant que de besoin, le dispositif d'accompagnement des agents en difficulté financière - dispositif particulièrement important dans le contexte de crise que nous connaissons.
Je me suis déplacé à Mayotte en mars 2022. Deux projets immobiliers y concernent l'administration pénitentiaire. Je ne peux vous indiquer une date précise car, comme vous le soulignez, la question majeure est celle du foncier. Nous avons mobilisé tous les services afin de trouver les terrains qui conviennent. Il est également prévu la construction d'une cité judiciaire. Pour Mayotte et Cayenne, je rappelle d'ailleurs que nous avons inventé des brigades d'urgence. Il se pose dans ces territoires un problème d'attractivité, qui est mal vécu par tous ceux qui rendent la justice à Mayotte et à Cayenne. Nous permettons, pour une durée de six mois et un jour (les fiscalistes sauront pourquoi cette durée précisément) à des magistrats métropolitains de se rendre en urgence à Cayenne et à Mayotte afin de pallier le manque de magistrats. Ces professionnels ont la certitude de retrouver leur poste au terme de la période de six mois et un jour. Nous avons mis en place un système permettant de faire de ce temps à Mayotte et à Cayenne un tremplin. Se pose aussi la question des greffiers, pour lesquels nous mettons en place des dispositifs similaires. C'était une parenthèse. Vous savez, monsieur Mohamed Soilihi, que si vous souhaitez d'autres précisions, la porte de la Chancellerie est grande ouverte.
Madame Carrère, malgré les difficultés, la continuité du service public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est toujours assurée dans tous les services et dans toutes les structures. Il convient aussi de rendre à ces agents un vibrant hommage. Des évolutions statutaires et indemnitaires importantes ont eu lieu en 2022. En matière d'attractivité, on pense immédiatement au salaire, ce qui est bien naturel. Le passage des éducateurs en catégorie A en 2022 a représenté une évolution importante. Le bénéfice du complément indiciaire a été acté en début d'année 2022 au bénéfice des acteurs du travail social, ce qui représente plus de 2 000 euros par an. Nous poursuivons ces efforts en 2023, par des mesures catégorielles dédiées qui représenteront 11 millions d'euros en 2023. Elles permettront de revaloriser les primes d'encadrement des agents contractuels. Un plan d'action interministériel est également en cours d'élaboration. Les recrutements de la PJJ seront accélérés en passant de 51 effectifs supplémentaires en 2022 à 92 dans le PLF 2023, soit une hausse de plus de 80 % en un an.
Je voudrais vous dire pourquoi je crois aux centres éducatifs fermés (CEF). Un travail a été réalisé par la PJJ, montrant que 75 % des mineurs délinquants mettent en application leur projet professionnel. 86 % de ceux qui sont passés par un CEF ne récidivent pas. Certes, le CEF constitue une structure lourde en termes d'accompagnement. Je suis néanmoins convaincu que ce dispositif fonctionne. Je veux y ajouter un partenariat entre la PJJ et les militaires, projet que le président de la République a évoqué durant la campagne. Il ne s'agit évidemment pas d'envoyer tous les jeunes qui se trouvent en CEF à l'armée. S'il suffisait de leur faire passer quelque temps dans des casernes, il y a longtemps que nous le saurions. Cela ne peut fonctionner ainsi. En premier lieu, une expertise doit être conduite par la PJJ, car elle est au coeur du dispositif. Si un certain nombre de jeunes ont une appétence pour les valeurs militaires (dépassement de soi, sport, solidarité, etc.), je trouve extrêmement intéressant de les envoyer en stage dans un cadre militaire. Nous avons réalisé une telle expérimentation à Coëtquidan et j'ai été très impressionné par ses résultats. On a estimé que 90 % des jeunes qui y ont participé avaient peut-être subi, dans un premier temps, puis vécu ce stage comme étant susceptible de les arracher à la délinquance. Nous souhaitons étendre ce dispositif en signant prochainement une convention partenariale avec le ministère des armées.
Nous avons, à ce jour, 53 centres éducatifs fermés. J'en inaugurais un nouveau il y a deux jours, à Saint-Nazaire. En outre-mer, trois centres éducatifs fermés relèvent actuellement du domaine associatif. S'agissant du CEF de Mayotte, nous discutons encore du cadre à retenir, associatif ou non. Cette décision sera prise très prochainement. Nous nous sommes en tout cas engagés à la création de ce centre. Nous échangerons naturellement sur cette question. Je sais combien elle vous tient à coeur, monsieur Mohamed Soilihi. Je vous tiendrai informé au fur et à mesure des évolutions du projet.
Le chiffre de 1 500 magistrats est-il le bon, me demandez-vous, madame Lherbier. Il ne sort pas de nulle part puisqu'il est issu des États généraux, qui ont réuni l'ensemble du monde judiciaire. Il y a deux façons de rendre une justice plus protectrice et plus rapide. Nos compatriotes ont versé un million de contributions aux États généraux et deux sujets en ressortent de façon récurrente. En premier lieu, la justice n'est pas suffisamment connue - ce qui est vrai. Si l'on demande aux enfants, et même à quelques adultes, qui préside une cour d'assises, ils répondront « votre honneur ». La justice mérite d'être mieux connue et je rejoins sur ce point l'avis de nos compatriotes. Vous avez voté la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui prévoit la mise en place de la justice filmée. J'observe d'ailleurs que la première diffusion des audiences pénales, sur France 3, à 23 heures, a rassemblé 600 000 téléspectateurs. La deuxième diffusion, concernant le civil, en pleine période de congés scolaires, a rassemblé 350 000 téléspectateurs. Le service public estime que ce sont de bons scores. Nous nous efforçons d'apporter, autour de ces diffusions, un certain nombre d'explications pédagogiques. Nous mettons aussi en place avec le ministre de l'Éducation un passeport « Educ'droit ». J'aimerais qu'il soit question de la justice lors du cours d'instruction civique, pour mieux la faire connaître. Je suis souvent effaré d'entendre ceux qui appellent à la désobéissance civile, c'est-à-dire à la violation de la loi que vous avez votée. Il y a aussi ceux qui appellent à la destruction, par le truchement de leur audience médiatique, de l'État de droit, ce qui est encore plus inquiétant. Si nous franchissons ces limites, nous allons tomber bien bas. Des personnes de plus en plus nombreuses en viennent à considérer qu'il n'est peut-être pas anormal de se rendre justice soi-même. Des idées de cette nature circulent en ce moment, en particulier parmi la jeunesse. Cela me rend très inquiet, et je crois qu'il faut activement faire connaître la justice.
Nos compatriotes nous ont dit par ailleurs, lors des États généraux, que la justice était trop lente : ils ne comprennent pas ses délais, ou pourquoi une affaire est renvoyée. Cela pose la question des moyens. Nous y répondons notamment par le dispositif d'équipe autour du magistrat. C'est aussi la simplification des procédures civiles et pénales. Tout le monde est d'accord avec ces principes (forces de sécurité intérieure, magistrats, avocats). Les justiciables le sont aussi, pourvu qu'on leur explique la logique de ces dispositions. Un certain nombre de mesures civiles vont permettre de raccourcir, à mon avis drastiquement, les délais du procès.
En matière d'attractivité, comme je le soulignais, la première mesure à laquelle on songe est d'ordre salarial ou indiciaire. 1 500 recrutements de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ont eu lieu depuis 2018, ce qui a permis de réduire le nombre de dossiers suivis par agent, qui est passé de 80 à 71 en moyenne.
Nous avons également mis en place, pour aider nos CPIP, des organigrammes de référence. Ils disent très objectivement que ces recrutements les ont aidés. Les CPIP ont par ailleurs bénéficié du passage en catégorie A et d'une revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022. Si des réformes interministérielles ont été engagées depuis 2017, aboutissant à une revalorisation des salaires des conseillers, ce ne fut pas le cas des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP). Il en est de même pour les directeurs des services de la protection judiciaire de la jeunesse. En ce qui concerne les DPIP, le ministère s'engage à revaloriser en 2022 les primes à hauteur de 700 000 euros, lesquels vont s'ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021. En 2023, la hausse des primes sera portée à 20 millions d'euros. S'y ajoutera une réforme du statut afin de faciliter la promotion professionnelle et proposer des parcours de carrière plus attractifs. Nous prévoyons enfin une revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d'euros. Là aussi, si vous souhaitez davantage de précisions, la porte de la Chancellerie est grande ouverte.
Monsieur Sueur, vous me posez la question qui est évidemment la plus difficile. C'est moi qui suis interrogé ce soir. Telle est la règle du jeu. J'aurais néanmoins envie de vous retourner la question, en vous demandant ce que vous me proposez. Il ne vous a pas échappé que d'aucuns formulent un jugement rapide à mon égard, considérant que « c'est Taubira en pire », « c'est un laxiste » et autres avis de cette nature. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui, cet après-midi, à l'Assemblée nationale, me reprochaient la surpopulation pénale, laquelle témoigne plutôt de l'absence de laxisme. Les chiffres démontrent à l'évidence, sans aucune ambiguïté possible, que la justice est plus sévère aujourd'hui qu'auparavant, qu'il s'agisse des peines correctionnelles (rendues par des magistrats professionnels) ou des peines criminelles, rendues par les jurys populaires. Certains ne veulent pas l'entendre, car cela ne convient pas à leur discours populiste, mais telle est la réalité. Nous ne sommes certes pas les premiers à nous poser la question. J'ai lu, en tant qu'étudiant en droit, puis en tant qu'avocat, de nombreux ouvrages sur cette question de l'incarcération et sur ses alternatives éventuelles. Les théories foisonnent en la matière. La réalité à laquelle nous nous heurtons nous interdit la fantaisie : il faut être réaliste. Les réponses passent par la création de places nouvelles.
Il n'y a pas que cela mais il y a cela aussi. La semaine dernière, j'étais en présence d'un grand journaliste, que je crois proche de votre obédience ou de votre sensibilité - ce qui n'est aucunement une injure dans ma bouche. Il me disait « plus vous allez construire de prisons, plus cela se remplit, car la nature judiciaire a horreur du vide ». Que me proposez-vous ? Lui ai-je rétorqué, de ne plus en construire ? Comment résoudre alors le problème de la surpopulation ? Je crois que plusieurs actions doivent être conduites en parallèle. Outre la création de nouvelles places, il y a l'application du « bloc peine », les aménagements ab initio et le travail d'intérêt général, auquel je crois et qui fonctionne. ATIGIP 360, l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle, est un bel outil, dont on ne s'empare pas suffisamment à mes yeux. Vous savez par ailleurs que la justice est indépendante. Je peux évoquer tel ou tel sujet auprès des procureurs, formuler des suggestions. Je ne peux faire beaucoup plus : pour le reste, les juges du siège sont souverains dans le prononcé des peines. La justice de notre pays est indépendante - et il faut qu'elle le reste. Peut-être y a-t-il aussi une certaine augmentation de la délinquance, encore que tout doit être nuancé : selon les chiffres qui m'ont été communiqués, la délinquance des mineurs semble en baisse. On ne peut pour autant affirmer que le code de justice pénale des mineurs, que vous avez voté à l'unanimité, a permis cette baisse. Ce ne serait pas sérieux de présenter les choses ainsi. Nous ne pouvons tancer les populistes et brandir des chiffres lorsqu'ils nous conviennent, sans s'appuyer sur une expertise suffisamment fine. Il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre d'indicateurs permettent de penser que la délinquance des mineurs est en baisse.
Disons-le, la société est aussi de plus en plus dure, et demande de plus en plus de répression. Cela a aussi une traduction judiciaire, qu'on le veuille ou non. Je crois tout à fait qu'il faut développer les dispositifs de travail d'intérêt général. Je me déplace beaucoup pour signer des conventions partenariales afin qu'on nous propose de plus en plus de choses en la matière. Nous avons déjà beaucoup plus de TIG disponibles aujourd'hui qu'auparavant. J'ai connu le travail d'intérêt général à sa création. Lorsqu'il était prononcé, on ne savait même pas s'il pourrait être exécuté. Aujourd'hui, nous le savons car nous disposons d'une plateforme, à laquelle les avocats ont d'ailleurs accès. J'ai souhaité qu'ils y accèdent afin qu'ils puissent plaider pour une peine de travail d'intérêt général avec un dispositif taillé sur mesure pour leur client. Monsieur Sueur, si vous avez la solution miracle, courez me voir. Vous avez d'ailleurs posé votre question avec beaucoup de nuances. Je vous en remercie, car le sujet est infiniment compliqué.
La régulation existe aussi, mais ne peut se faire n'importe comment. J'entends souvent l'extrême-droite affirmer que des personnes sortent de prison au motif que nous l'aurions demandé, faute de places. C'est absolument faux ! Vous ne trouverez aucune circulaire ni aucun écrit de ma part demandant de renoncer à l'incarcération au motif de la surpopulation. En revanche, il y a un certain nombre de choses qui nous sont proposées et qui me font « tiquer », comme le dit l'expression, par exemple l'interdiction de l'incarcération au motif que les prisons sont pleines. Une telle mesure serait d'abord anticonstitutionnelle.
Monsieur Mohamed Soilihi, comme je l'indiquais, nous cherchons le terrain pour le nouvel établissement pénitentiaire. Tous les feux sont au vert. En ce qui concerne la cité judiciaire, je pense que nous avons trouvé. Lorsque je me suis rendu à Mayotte, nous sommes parvenus à convaincre le président du département.
Nous avons tout de même réussi cela. Ce n'était pas acquis. Les choses avancent. Je ne saurais néanmoins vous indiquer une temporalité pour le reste. La situation, à Mayotte, est trop sérieuse pour indiquer des dates sans être certain de pouvoir les tenir.
Madame de La Gontrie, la question des juridictions spécialisées dans le traitement des violences intrafamiliales est éminemment complexe. Les Espagnols ont créé une juridiction spécialisée. Ils n'en sont pas entièrement satisfaits. Pour des raisons géographiques notamment. C'est la raison pour laquelle la Première ministre a lancé une mission confiée à des parlementaires, dont madame Dominique Vérien. Nous allons attendre les conclusions de ces réflexions. Je n'ai aucun a priori sur la question. Si je suis convaincu que telle est la meilleure des solutions, je m'y rangerai. Je m'efforce d'être pragmatique. Je ne suis pas un idéologue.
La création d'une juridiction spécialisée ne demande pas de financement supplémentaire. Les magistrats sont déjà là. Ils traitent déjà les violences intrafamiliales. Ce serait une « super-spécialisation » mais cela n'aurait probablement pas d'impact budgétaire.
Nous attendons le travail parlementaire et nous verrons. Je pense d'ailleurs que nous verrons cette question ensemble, car elle est importante. Les crédits consacrés aux victimes de violences intrafamiliales se monteront à 16,2 millions d'euros en 2023. C'est une hausse de 5 % par rapport à 2022 et de plus de 50 % par rapport à 2021. Nous allons déployer tout au long de l'année 5 000 téléphones « grave danger » (TGD) supplémentaires et généraliser l'évaluation des besoins de protection, en particulier au moment de la sortie de détention des auteurs de violences. Comme vous le savez, j'ai pris un décret afin que, de façon obligatoire, les femmes soient averties de la sortie de leur compagnon ou ex-compagnon violent. Nous prévoyons aussi de renforcer l'accompagnement et le suivi des victimes bénéficiant du TGD ou du bracelet anti-rapprochement (BAR). Nous allons enfin développer les permanences spécialisées des associations dans les lieux tiers tels que les commissariats, les brigades de gendarmerie et les hôpitaux.