Monsieur le président, chers collègues, je me permets de vous rappeler que l'avis budgétaire sur le programme 148 « Fonction publique » porte prioritairement sur la fonction publique de l'État et plus précisément sur les actions interministérielles en matière de ressources humaines. Mon propos sera structuré en trois points : je rappellerai d'abord les données relatives aux effectifs, au temps de travail et à la masse salariale ; j'aborderai ensuite le programme 148 en lui-même ; enfin, je ferai un focus sur l'attractivité dans la fonction publique.
Sur les 5,7 millions d'agents publics que compte la fonction publique, 45 % sont employés par la fonction publique de l'État (FPE), 34 % par la fonction publique territoriale (FPT) et 21 % par la fonction publique hospitalière (FPH). S'agissant des effectifs de l'État, il y a eu un changement de paradigme : l'objectif officiel de stabilité de postes a succédé à celui de suppression de postes qui était affiché lors du précédent quinquennat.
Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit même de créer 10 764 équivalents temps plein travaillé (ETP) dans la fonction publique de l'État. Les créations de postes les plus importantes interviendront dans les ministères régaliens (+ 3 069 ETP pour le ministère de l'intérieur et l'outre-mer ; + 2 253 ETP pour le ministère de la justice ; + 1 547 ETP pour le ministère des armées) ainsi que dans le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse (+ 2 000 ETP).
S'agissant de la durée annuelle du temps de travail, je vous rappelle que la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a aligné le temps de travail dans la fonction publique territoriale sur la durée annuelle légale de 1607 heures en abrogeant les régimes légaux dérogatoires de travail antérieurs à la loi n°2001-2 du 3 janvier 2001. L'enjeu budgétaire n'est pas négligeable. La Cour des comptes a estimé en 2016 que cet alignement constituerait un gain net pour la collectivité et pourrait permettre à terme une réduction des effectifs d'environ 3 %. Cela constitue un levier important à la disposition des collectivités pour mieux maîtriser l'évolution de leur masse salariale.
La masse salariale de l'État, hors pensions, augmente de 5,35 % en 2023 par rapport à 2022. Cette augmentation est portée à titre principal par la revalorisation du point d'indice de 3,5 % entrée en vigueur le 1er juillet 2022. Cette mesure générale a un coût estimé en année pleine à 7,473 milliards d'euros pour les trois versants de la fonction publique, dont 3,213 milliards d'euros pour la fonction publique de l'État. Par ailleurs, le solde du glissement vieillesse-technicité (GVT) correspondra en 2023 à une augmentation de 453 millions d'euros tandis que le coût des créations de postes s'élèvera à 341 millions d'euros.
Des mesures complémentaires ont été annoncées : la reconduction de la mesure de garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA) ; la revalorisation des débuts de carrière des agents de catégorie B pour les trois versants de la fonction publique ; la revalorisation et l'extension de la participation de l'État employeur aux frais de restauration ; l'extension du forfait mobilités durables.
En outre, la réforme des rémunérations de la haute fonction publique fera l'objet de discussions prochainement. Une grille indiciaire unique pour le nouveau corps interministériel des administrateurs de l'État - qui intègre les membres des grands corps de l'État mis en extinction - devra voir le jour.
Concernant le programme 148 « Fonction publique » lui-même, il finance les actions interministérielles en matière de formation (38 % du programme), d'action sociale (51 %) et de gestion des ressources humaines (11 %). Il est piloté par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et il est mobilisé en complément des initiatives de chaque ministère.
À noter qu'en 2023, le fonds d'accompagnement interministériel aux ressources humaines (FAIRH), qui avait été créé en 2019 et dont les crédits avaient été intégrés au programme 148 en 2022 pour 20 millions d'euros, est supprimé car son efficacité n'a pas été démontrée et que très peu de budget a été mobilisé. Cette suppression explique la diminution apparente des crédits du programme 148 qui s'établissent à 295 520 062 euros en autorisations d'engagement (AE) et 300 973 842 euros en crédits de paiement (CP). En réalité, à périmètre constant, le montant du programme 148 connaît une augmentation de 4,4 % en autorisations d'engagement.
Les montants des prestations d'action sociale individuelle (chèque-vacances ; chèque emploi service universel pour la garde des jeunes enfants de moins de six ans) et des prestations d'action sociale collective (réservations de logements sociaux), augmentent en 2023, notamment du fait de l'accroissement du nombre de bénéficiaires.
La DGAFP bénéficie aussi d'une enveloppe d'un million d'euros pour la réservation d'environ 135 places supplémentaires en crèche l'an prochain ; pour rappel, on compte aujourd'hui 4 700 places. En outre, le dispositif d'aide à l'installation des personnels de l'État sera ouvert à compter de 2023 aux agents contractuels disposant d'un contrat d'une durée égale à un an au moins.
Un bémol toutefois : je regrette que les deux indicateurs financiers relatifs à l'action sociale interministérielle du programme annuel de performance (PAP) présents dans le PLF 2021 n'aient pas été réintroduits en 2023. En effet, ils permettaient une évaluation précise de l'efficacité et de l'efficience des dispositifs en matière d'aide aux familles, d'aide au logement, de restauration ou encore d'aide au maintien à domicile.
L'indicateur retenu depuis le PLF pour 2022, le « taux de satisfaction des bénéficiaires de certaines prestations d'action sociale », ne permet pas en particulier de connaître les coûts de gestion des prestations d'action sociale, dont la maîtrise demeure un enjeu important : ils s'élevaient à environ 5% l'an dernier. Je vous proposerai donc d'adopter, si vous en êtes d'accord, un amendement qui vise à réintroduire les deux indicateurs de performance préexistants.
En ce qui concerne l'action en faveur de l'égalité professionnelle dans les trois versants de la fonction publique, la loi de transformation de la fonction publique a imposé aux employeurs publics de remettre, au plus tard pour le 1er mars 2021, leurs plans d'action en faveur de l'égalité professionnelle. Le taux d'élaboration de ces plans est encore perfectible dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. En revanche, il atteint 100 % dans la fonction publique de l'État en 2022. Dans ce contexte, je me demande s'il est pertinent de maintenir cet indicateur.
Il est à noter également que le fonds en faveur de l'égalité professionnelle (FEP), initialement créé pour la seule fonction publique d'État, a été étendu aux deux autres versants fin 2021. Il bénéficie d'un financement de près d'un million d'euros sur le programme 148, et permet le cofinancement de projets qui visent à promouvoir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En 2023, il est envisagé le dépôt de 250 à 300 projets pour les trois versants de la fonction publique.
Concernant la formation, outre les fonds dédiés au financement des cinq instituts régionaux d'administration (IRA) pour 42 millions d'euros, de l'institut national du service public (INSP) pour 39,1 millions d'euros et aux actions de formations interministérielles (2,7 millions d'euros), je ferai un focus sur les classes « Prépas Talents » qui ont remplacé les classes préparatoires intégrées (CPI).
Ces classes « Prépas Talents » sont destinées aux étudiants les plus méritants de l'enseignement supérieur pour préparer les concours externes - voire les troisièmes concours - de catégorie A et B qui donnent accès à certaines écoles de service public.
À la rentrée 2022, 1 953 places étaient offertes (contre 1 700 à la rentrée 2021), au sein de 100 classes préparatoires. Le ministre de la transformation et de la fonction publiques a annoncé l'ouverture de 2 000 places supplémentaires en 2023, sur l'ensemble du territoire national. Ces classes préparatoires sont intégrées à des écoles de service public, à des universités, à des instituts d'études politiques, à des centres ou des instituts de préparation à l'administration générale.
Chaque étudiant, sélectionné sous conditions de ressources et de mérite, bénéficie d'un tutorat renforcé par des fonctionnaires en poste ou par des fonctionnaires stagiaires des écoles de service public. Il reçoit une bourse d'un montant de 4 000 euros, soit le double de ce qui était versé précédemment dans le cadre des CPI.
Le financement des « Prépas Talents » et des bourses « Talents » est assuré par la DGAFP au titre du programme 148, au moyen d'une subvention de 6 500 euros par place offerte et effectivement pourvue.
Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148 « Fonction publique » inscrits au projet de loi de finances pour 2023, sous réserve de l'amendement que je vous proposerai ultérieurement.
Je souhaiterais enfin faire un focus sur l'attractivité de la fonction publique, qui apparaît comme un sujet d'actualité prégnant.
Les trois versants de la fonction publique sont confrontés à de fortes difficultés de recrutement, tant par la voie du concours que par celle du contrat. 39 % des employeurs territoriaux ont éprouvé des difficultés à recruter en 2021 ; dans la fonction publique hospitalière, ce chiffre s'élève même à 99 %, et dans la fonction publique de l'État, le nombre d'inscriptions aux recrutements externes a baissé de 11 % en 2020 par rapport à 2019. On note aussi une forte baisse du nombre de candidats aux concours dans les trois versants.
La baisse de l'attractivité de la fonction publique n'est pas seulement conjoncturelle, mais s'explique également par des facteurs structurels bien identifiés. La méconnaissance des métiers est réelle, les niveaux de rémunérations sont souvent inférieurs à ceux du secteur privé, et les conditions de travail sont parfois dégradées. Il y aussi le « fonctionnaire bashing », c'est-à-dire le dénigrement de la fonction publique, et le manque de reconnaissance éprouvé par les agents.
On note également un changement de paradigme : les jeunes n'ont plus d'attrait pour « l'emploi à vie » ni pour le statut de fonctionnaire. En revanche, ils attachent une importance croissante à la qualité du management ainsi qu'à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée.
À cette situation commune aux trois versants de la fonction publique, s'ajoutent des difficultés propres à chaque fonction publique.
Au sein de la fonction publique territoriale, certains métiers n'attirent plus (tels les métiers de secrétaire de mairie et de policier municipal, ainsi que les métiers de la petite enfance, de l'animation, de la filière médico-sociale et de la filière technique), tandis que d'autres métiers souffrent d'une concurrence avec le secteur privé, où les rémunérations sont généralement plus élevées (métiers d'ingénieurs, de techniciens et d'informaticiens).
De plus, il y a aussi une forte concurrence entre les collectivités territoriales, de nature financière (compte tenu des différences de régime indemnitaire), géographique (l'Ouest est plus attractif que l'Est) ou encore selon la taille de la collectivité (les grandes collectivités urbaines sont plus attractives que les petites collectivités rurales). Par ailleurs, les métiers dans la fonction publique territoriale exposent davantage les agents, et notamment ceux de catégorie C, aux risques professionnels. Enfin, les modalités de recrutement propres à la fonction publique territoriale, selon lesquelles les lauréats d'un concours ne sont pas automatiquement affectés à un poste, mais inscrits sur une liste d'aptitude, peuvent apparaître complexes et aléatoires à certains candidats.
La fonction publique hospitalière est quant à elle confrontée à une pénurie de soignants formés : 5,6 % des postes d'infirmiers (soit environ 15 000 postes) et 2,5 % des postes d'aides-soignants (soit environ 5 000 postes) sont ainsi vacants dans les hôpitaux publics en 2021. Les accords du Ségur de la santé ont permis une accélération de la progression indiciaire qui peut favoriser la fidélisation à long terme des agents ; en revanche, le nombre d'inscriptions dans les écoles de soignants est loin d'être suffisant. Le Ségur n'a pas réglé la question des conditions de travail, pourtant nécessaire pour pallier le déficit d'attractivité de la fonction publique hospitalière.
Dans ces conditions, comment attirer des talents vers la fonction publique ? Si le « noyau de l'attractivité reste la rémunération » selon le rapport sur l'attractivité de la fonction publique territoriale remis en janvier 2022 par Philippe Laurent, la crise des vocations que traverse le secteur public nécessite une approche ambitieuse et globale, qui porte à la fois sur la visibilité de l'emploi public, ses modalités d'accès, les conditions de travail, les perspectives d'évolution offertes aux agents, ainsi que la reconnaissance par la société de l'engagement public.
Je souhaite suggérer quelques pistes de réflexion et d'action.
Par exemple, il serait possible de réformer les carrières et les rémunérations. Le système actuel montre ses limites. Une réforme en profondeur est à imaginer pour mieux valoriser les métiers et les filières professionnelles. La politique de rémunération indiciaire ne peut pas tout résoudre ; afin d'assurer l'attractivité de certains métiers, accorder une part importante au régime indemnitaire est nécessaire. Les associations d'élus ont souligné l'importance de donner davantage de marge de manoeuvre aux employeurs territoriaux dans la rémunération des agents. Ils sont souvent corsetés par une grille indiciaire. Il faut promouvoir une politique de rémunération qui permette de valoriser les talents au-delà des dispositifs indiciaires et de mieux récompenser l'engagement individuel et collectif.
Autre piste : l'amélioration de la qualité de vie au travail, qui doit être au coeur des préoccupations des employeurs publics. De la qualité de vie au travail dépend la qualité du travail, qui assure la performance des services publics ; la santé au travail est également étroitement liée à cet enjeu. Par ailleurs, l'amélioration de la visibilité de l'emploi public auprès des candidats est indispensable. Au sein même de Pôle emploi, le panel des métiers de la fonction publique n'est pas connu ! Le développement de la marque employeur du service public et la publication prochaine du référentiel des métiers de la fonction publique pourraient contribuer à améliorer cette connaissance, et devraient également favoriser les projets de mobilité des agents entre les versants grâce à une meilleure identification des métiers transversaux.
Je vous dirai à présent quelques mots sur l'apprentissage, qui constitue une voie d'insertion dans l'emploi public à renforcer.
En 2021, 19 800 nouveaux contrats d'apprentissage ont été signés dans l'ensemble de la fonction publique, dont 58 % dans la fonction publique territoriale. L'apprentissage constitue en effet une composante à part entière de la politique des ressources humaines des collectivités territoriales, notamment pour les métiers spécifiques et/ou en tension (petite enfance, restauration et entretien des bâtiments).
Les deux dernières années ont également été marquées par l'augmentation du nombre d'apprentis dans la fonction publique d'État. L'objectif ambitieux de recruter 14 940 apprentis en 2021-2022 a été atteint ; en 2022-2023, il a été porté à 17 000 apprentis.
Il y a un moyen d'améliorer significativement l'accès des apprentis à la fonction publique à l'issue de leur apprentissage. Cela consisterait à assimiler l'expérience acquise au cours du contrat d'apprentissage dans la fonction publique à une durée de service public effectif. Un apprentissage de deux ans, ce n'est pas rien ! Cela leur permettrait plus facilement de passer les concours par la voie interne. Le Gouvernement s'y était engagé lors du précédent quinquennat mais il n'a rien entrepris en ce sens. J'espère que le Gouvernement actuel favorisera une telle évolution.
Je vous rappelle que le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) finance la totalité des frais de formation des apprentis dans la fonction publique depuis la loi de transformation de la fonction publique, en contrepartie de l'instauration d'une cotisation de 0,1 % sur la masse salariale des collectivités territoriales.
France compétences verse au CNFPT une contribution d'un montant annuel maximal de 15 millions d'euros, tandis que l'État s'est engagé à verser lui aussi 15 millions d'euros dans le cadre de la convention annuelle d'objectifs et de moyens en 2022. Dans le PLF pour 2023, cet engagement a été renouvelé.
En revanche, le Gouvernement a déposé un amendement pour supprimer le caractère annuel de la convention d'objectifs et de moyens signée entre l'État et le CNFPT, ce qui fragilise, à mon sens, l'équilibre du dispositif pour les années à venir. En effet, s'il y a désengagement de l'État et de France compétences, le financement de l'apprentissage incombera aux collectivités territoriales. J'envisage de déposer un éventuel amendement en ce sens sur les crédits non rattachés.
Il s'agit aussi de poursuivre la réflexion engagée sur les concours. Il n'est pas question de revenir sur le principe du concours, qui garantit l'égalité des candidats devant le recrutement et l'objectivité des procédures, ni d'amoindrir la sélectivité des recrutements.
Toutefois, il parait nécessaire de revoir la nature, le contenu et le rythme des épreuves afin de mettre un terme aux décalages qui peuvent persister entre certaines épreuves et la nature des missions que le candidat sera amené à exercer ainsi que les compétences dont il devra faire preuve. De plus, il faut adapter les épreuves aux besoins des employeurs publics, notamment dans les collectivités territoriales. La DGAFP a indiqué que la réflexion sur le sujet était en cours, en particulier s'agissant des concours de la haute fonction publique.
Il me semble qu'il faut aussi renforcer la formation continue des agents pour favoriser leur évolution professionnelle. Dans le cadre du schéma directeur de la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de l'État, une plateforme interministérielle de formation en ligne, qui s'appelle « Mentor », a été lancée et offre à ce jour 80 formations.
Il faut favoriser les mobilités entre les versants de la fonction publique. En dépit des dispositifs qui ont été introduits par la loi de transformation de la fonction publique afin de lever les freins à la mobilité, très peu d'agents changent de versant ; ils n'ont été que 24 100 entre fin 2019 et fin 2020. Le développement de la mobilité entre les versants apparaît pourtant à la fois comme un facteur de la fidélisation des agents et comme un outil de mise en oeuvre d'une stratégie territoriale des ressources humaines équilibrée.
Il y a sans doute bien d'autres pistes de réflexion à mener pour renforcer l'attractivité de la fonction publique et fidéliser davantage les agents - certaines collectivités font d'ailleurs preuve de beaucoup créativité en la matière. Il y va de la pérennité de la fonction publique, et avec elle, de la qualité du service public apporté aux concitoyens.
Je vous remercie de votre attention.