Intervention de François Molins

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 9 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition de M. Christophe Béchu ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

François Molins, procureur général près la Cour de cassation :

Pour répondre à Patrick Kanner, je ne pense pas que le département constitue le juste échelon, et j'identifie un vrai problème de cohérence. On demande à l'acteur judiciaire de se spécialiser de manière croissante, depuis les lois Perben de 2004, alors que l'autre acteur, la police, deviendrait plus généraliste. Par ailleurs, certaines enquêtes méritent parfois d'être dépaysées et l'utilité d'un service régional apparaît alors évidente.

Il ne me semble pas illégitime de vouloir réformer et mettre de l'ordre dans le commandement, au regard de la baisse du taux d'élucidation, en particulier en petite et moyenne délinquance. Nous devons toujours chercher à mieux faire. Cependant, si les parquets ne disposent pas de moyens pour les enquêtes qu'ils ordonnent, ils ne pourront pas mettre en oeuvre leur politique pénale. Les expérimentations ont d'ailleurs démontré que le directeur départemental de la police nationale ne saurait jouer le rôle d'arbitre dans les décisions du parquet. Si, par exemple, un procureur de Saône-et-Loire souhaite saisir la direction départementale de sécurité publique d'une enquête amenant à conduire des investigations en région lyonnaise et en Bourgogne, il est peu probable que le directeur départemental acceptera de distraire des effectifs requis par ailleurs au quotidien, pour les consacrer à des enquêtes au long cours dans d'autres départements. Une doctrine d'emploi ne suffira pas dans ce domaine, car elle peut changer au fil du temps.

Selon moi, nous devons maintenir un système préservant le libre choix du procureur, au travers de services zonaux de police judiciaire. Idéalement, les procureurs de la République auraient aussi voix au chapitre en matière d'affectation des moyens dans les enquêtes qu'ils ordonnent.

S'agissant de la réforme du code de procédure pénale, je n'ai pas compris qu'elle s'effectuerait à droit constant. Un tel toilettage ne réglerait d'ailleurs pas la crise de la filière d'investigation. Quand j'étais procureur de Paris, je me plaignais de l'insuffisance des effectifs dans la police judiciaire. Après les attentats, une vague de mutations a eu lieu, de la filière investigation vers le renseignement, à tel point que les créations de postes en police judiciaire ne recevaient parfois aucune candidature.

Les réformes de fond sur la procédure pénale se heurtent avant tout au statut du parquet, qui est bloquant et qui nécessite une réforme. Une autre solution consisterait à augmenter le nombre d'officiers de police judiciaire, bien formés et mieux encadrés. Or nous payons encore aujourd'hui les effets néfastes de la réforme de 1995. Je signale du reste qu'à cette même époque un projet de réforme de la départementalisation de la police nationale hors police judiciaire avait été abandonné au bout de 18 mois.

L'expérimentation actuelle ne me semble pas avoir produit d'effets particulièrement positifs. L'inspection confirmera ou infirmera les premières remontées, mais j'ai entendu que les procureurs se trouvaient marginalisés dans l'élaboration de la politique pénale, et que l'autorité judiciaire était uniquement perçue comme un gestionnaire de flux. Les priorités de politique pénale définies par le parquet ne seraient pas prises en compte. J'ai aussi entendu qu'en Guadeloupe, des magistrats du parquet ne sont plus libres de choisir le service d'enquête, leurs demandes étant filtrées par le DDPN. Enfin, si tout le monde semble d'accord pour améliorer l'information des élus sur l'évolution de la criminalité et ses modes de traitement, les élus n'ont pas nécessairement à être informés directement sur la conduite des investigations. Or certains se saisissent de cette ouverture, via les préfets et directeurs départementaux, notamment dans les outre-mer. Les inspections feront le point sur les avantages et inconvénients de l'expérimentation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion