Intervention de Aija Kalnaja

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 novembre 2022 : 1ère réunion
Audition de Mme Aija Kalnaja directrice exécutive par intérim de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex

Aija Kalnaja, directrice exécutive par intérim de Frontex :

Je vous remercie infiniment pour vos questions. Je tâcherai de répondre à autant de questions que possible et du mieux que je peux. Si vous estimez que je n'ai pas répondu à vos questions, je vous invite à me le faire savoir et nous vous enverrons des compléments d'information par écrit.

Concernant nos ressources et moyens financiers, le règlement qui régit Frontex prévoit que nous soyons forts de 10 000 membres, mais qui ne seront pas uniquement du personnel de l'agence. En effet, il faut distinguer le personnel permanent (3 000 personnes), du personnel détaché par les États membres, soit sur le long terme, soit sur de plus courtes périodes, plus précisément entre un et quatre mois. Actuellement, sont déployés 1 843 officiers dont 605 sont des membres du personnel permanent, 463 des détachés de long terme (pour deux ans) et 815 des détachés de court terme. Il est utile de pouvoir s'appuyer sur ces trois catégories distinctes de personnel, car la situation aux frontières extérieures de l'Europe est mouvante. Cette situation a changé après le déclenchement de la guerre en Ukraine. En effet, nous avions évalué les ressources à mobiliser en 2021 mais sans anticiper la guerre entre l'Ukraine et la Russie. Or, nous avons souhaité renforcer le soutien apporté aux pays se situant en première ligne dans ce conflit. Nous avons d'abord procédé à des redéploiements internes qui ont pu se concrétiser très rapidement. La première vague de redéploiement a concerné la Roumanie et a pu être réalisée en une semaine. Des membres du personnel présents sur des théâtres opérationnels en Espagne, Italie, Grèce, dans les Pays baltes ou ailleurs ont pu être redéployés à l'est de l'Europe, et notamment en Roumanie, en seulement sept jours. Le redéploiement de nos ressources en Moldavie a été organisé en à peine trois jours. Au début de la guerre, nous avions envoyé près de 600 personnes aux frontières ukrainiennes, dont la plupart étaient des détachés de court terme mandatés par les États membres. C'est tout l'avantage de notre dispositif qui est fortement flexible. Dans des contextes difficiles, nous devons nous assurer que la réponse opérationnelle ne sera pas retardée lorsqu'elle est nécessaire, cette flexibilité étant indispensable. L'appel aux ressources des États membres nous permet aussi de répondre aux besoins qui émergent de façon ponctuelle. Lorsque Frontex aura atteint son effectif cible, nous pourrons alors compter sur 3 000 officiers prêts à être déployés. Cependant, lorsque des besoins émergent de manière inattendue, nous utilisons le levier des redéploiements là où nous pouvons le faire, tandis que nos autres besoins sont couverts par les forces détachées par les États membres.

Comme je l'ai déjà souligné, Frontex ne saurait être le seul instrument pour répondre au défi migratoire. Il faut aussi pouvoir compter sur des politiques publiques nationales fortes. Sans cela, Frontex ne pourra pas apporter son soutien aux garde-côtes et garde-frontières. Les décideurs politiques devront donc redoubler leurs efforts pour relever ce défi. La crise ukrainienne a donné un nouvel élan à cette dynamique et j'espère que les efforts fournis seront fructueux. Dans ce nouvel environnement, la gestion des frontières reste une compétence qui relève d'abord des États membres, même si nous leur apportons notre soutien du mieux que nous le pouvons en utilisant le cadre juridique existant.

Par ailleurs, les droits fondamentaux ne sont pas une question bureaucratique et ne s'appliquent pas qu'au personnel de l'agence mais doivent être garantis pour tous les individus. L'application de la réglementation n'est pas arbitraire mais nous appliquons toute la réglementation et respectons tout le droit en vigueur en matière de gestion des frontières.

Les opérations conjointes menées actuellement par Frontex sont très bien suivies grâce au dispositif mis en place. Le système actuel reposant sur des notifications fonctionne. Le personnel de l'agence est bien formé en matière de droits fondamentaux et compétent. Des rapports sont systématiquement établis lorsque sont constatées des atteintes aux droits fondamentaux. Cependant, quel que soit le système en place, il ne pourra jamais être complètement étanche. Ce que nous avons mis en oeuvre, c'est un mécanisme qui tient compte des atteintes aux droits fondamentaux, que ces violations soient le fait du contingent permanent ou d'autres parties prenantes. Il est fort probable que nous serons amenés à constater à nouveau de telles violations et c'est pour cela qu'il nous faut un système en mesure de les signaler. Si vous le souhaitez, nous pourrons apporter ultérieurement davantage d'informations sur le cadre disciplinaire qui s'applique dans ces situations et sur les sanctions associées.

Il nous faut aussi coopérer avec les pays d'accueil et analyser l'efficacité des opérations de Frontex sur les territoires de ces pays. L'année dernière, nous avons mis en place de nouveaux indicateurs clés de performance qui affichent des résultats satisfaisants dans les pays qui reçoivent le soutien de Frontex. J'attends avec impatience les retours des États membres qui nous permettront d'orienter nos activités opérationnelles pour répondre aux besoins, car je le rappelle encore : Frontex est à la disposition des États membres et non l'inverse.

Une de vos questions portait sur le retard pris dans la constitution du contingent permanent de Frontex. Nous avons fait au mieux pour répondre aux exigences de recrutement conformément aux principes fixés dans le règlement. Deux groupes d'officiers du contingent permanent sont actuellement en formation pour être opérationnels en janvier 2023. À partir de cette date, Frontex pourrait déployer 1 000 personnes, les autres ressources étant déployées par les États membres conformément à ce que prévoit le règlement (détachements de long terme et de court terme).

Vous avez aussi évoqué les difficultés de Frontex en tant qu'employeur ainsi que le déséquilibre dans la représentation des nationalités des États membres au sein de son personnel. Je veux rappeler que l'agence peut mobiliser des personnels dotés de prérogatives de puissance publique dans plus de 200 endroits différents simultanément, prouesse que ne pourraient assurer ni les États membres ni les organisations internationales, ceci grâce à la souplesse conférée par nos trois catégories de personnel.

Nous pouvons aussi être amenés à changer l'affectation de nos effectifs parce que le travail est plus difficile dans certaines régions ou parce que le contingent permanent doit être renforcé. Nous organisons un roulement du personnel en déplaçant nos officiers d'une zone à une autre, parfois plusieurs fois par an. J'ai même vu des officiers du contingent permanent être redéployés quatre fois en un an et demi. Le plus souvent, ces derniers acceptent cette mobilité permanente en début de carrière mais elle peut ensuite apparaître difficile à vivre, en particulier lorsque nos officiers vivent en couple et ont des enfants. Nous ne pourrons donc jamais apporter la garantie que notre personnel restera dans la même zone opérationnelle pendant cinq ans. Pouvoir apporter cette garantie serait certes un confort pour la vie de famille. Mais Frontex a besoin de la souplesse de redéploiement de son contingent permanent pour faire face aux imprévus et aux urgences opérationnelles. Cette situation limite l'attractivité de Frontex. Nous sommes donc en train d'étudier les solutions que nous pourrions proposer pour une scolarisation des enfants du personnel à proximité des théâtres d'opérations.

Je souhaite également préciser que le coefficient indemnitaire correcteur qui s'applique aux rémunérations des agents des institutions européennes installés hors de Bruxelles afin de prendre en considération les différences de niveau de vie sur le lieu d'affectation n'est pas favorable aux officiers de Frontex. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a également eu pour conséquence de limiter l'attractivité des postes offerts par Frontex.

Enfin, nous nous attachons à recruter des personnels issus de l'ensemble des États membres, mais cette tâche est difficile. Nous en avons fait part au Parlement européen, à la Commission européenne et aux États membres. En interne, nous avons aussi recruté deux officiers à la diversité pour prendre en compte ces difficultés.

Concernant la réponse à la crise ukrainienne, je crois que l'Union européenne a démontré sa capacité d'accueil des ressortissants ukrainiens. Les États membres ont été solidaires. En pratique cependant, ces populations souhaitent rester dans les pays proches du leur, tels que la Pologne, les Pays baltes, la Roumanie ou la Slovaquie, dans l'espoir de pouvoir retourner rapidement en Ukraine à la fin de la guerre. Il faudra rester vigilant sur l'impact de ce choix sur les pays d'accueils : l'arrivée de ces populations ukrainiennes a parfois conduit à une forte augmentation du prix de l'immobilier.

Une de vos questions portait sur les enseignements que nous tirons de la crise migratoire née de la guerre en Ukraine. Le premier fait que je souhaite mettre en avant est que nous avons su faire la démonstration de notre grande flexibilité et de notre réactivité. Nous avons prouvé que nous pouvions nous déployer et nous redéployer en très peu de temps lorsque cela est nécessaire. Nous avons aussi donné la preuve de notre capacité à appuyer les États membres pour gérer les flux considérables qui arrivaient à nos frontières.

Je souhaite ajouter aussi quelques mots sur la montée des violences. Les premiers faits de violences ont été enregistrés en 2020 sur la frontière de l'Évros. Puis, nous avons continué à enregistrer des tirs d'armes à feu contre nos dispositifs tous les ans. Nous notons aussi des violences entre les différents groupes de migrants. Les représentants hongrois nous ont fait visionner des vidéos prouvant ces accès de violences à la frontière avec la Serbie. Lundi dernier, comme je l'ai déjà mentionné, c'est un garde-frontière qui a été tué par un tir. C'est le premier décès que nous enregistrons à la frontière. Ce garde a été visé à la tête, par un tir qui était tout sauf accidentel. Nous avons donc renforcé les équipements de protection de notre personnel, que nous fournissons aussi aux personnels détachés par les États membres lorsque ceux-ci sont moins bien équipés.

Je ne suis pas en mesure, en cet instant, de vous transmettre des données fiables sur l'origine géographique des migrants reconduits par nos opérations de retour, mais je vous ferai suivre cette information par écrit. Je peux d'ores et déjà préciser que, parmi les principaux pays concernés, figurent le Pakistan et l'Inde et l'Irak. Des retours volontaires ont aussi été organisés pour des personnes de pays tiers à la suite de la crise en Biélorussie, vers l'Irak notamment, et pour ceux voulant échapper à la guerre en Ukraine.

Sur la crise humanitaire et diplomatique entre la France et l'Italie, je ne peux que constater que le règlement des différends relève de la prérogative des États membres. Il leur revient de décider comment ils gèrent leurs frontières extérieures. Toutefois, selon moi, le forum de Schengen devrait être l'un des outils de la gouvernance du contrôle des frontières.

Vous avez aussi raison de souligner l'augmentation significative des traversées de la Manche. Nous appuyons ici les autorités françaises en charge de la gestion des frontières au moyen d'une surveillance aérienne dans le cadre d'une opération conjointe appelée « Opal Coast ». Nous continuerons à la mener en 2023, car la Manche est l'une des zones où nous constatons la plus forte augmentation de la pression migratoire.

Je terminerai mon propos en précisant que le signalement d'incidents graves comprend deux volets : un signalement par le personnel de Frontex et un signalement par les États membres. Les États membres saisissent tous les incidents constatés aux frontières dans le système dit Joint Operations Reporting Application (JORA) qui est utilisé comme base d'évaluation des risques aux frontières. Ces doubles signalements permettent une identification fiable des incidents graves. Si l'on soupçonne une violation des droits fondamentaux, l'officier aux droits fondamentaux est alors chargé du suivi du dossier.

Enfin, concernant la coopération avec les pays tiers, je veux préciser qu'aucun accord de statut n'est conclu sans une évaluation préalable de la situation dans ces pays au regard des droits fondamentaux.

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